Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Taglioni (les) (suite)

Paul ou Paolo Taglioni, dit Paul le Grand (Vienne 1808 - Berlin 1884), danseur également, remporta de grands succès aux côtés de sa sœur ou de sa femme, la danseuse Amalia Galster. Doué de grandes qualités techniques et ayant assimilé le style aérien que recherchait son père, il fut également un chorégraphe de grande notoriété. On lui doit le premier ballet dans lequel la lumière électrique ait été utilisée (Electra, 1849). Sa fille Maria la Jeune (1833-1891) fut aussi une danseuse réputée.

« La Sylphide »

Ballet-pantomime en deux actes, argument d’Adolphe Nourrit d’après Trilby, conte de Charles Nodier, musique de J. Schneitzhöffer, décor de Ciceri, costumes d’Eugène Lami, chorégraphie de Filippo Taglioni ; créé à l’Académie royale de musique (Opéra) de Paris le 12 mars 1832 avec Maria Taglioni et Joseph Mazilier.

Dansé à l’Opéra avec des interruptions, le ballet connut 151 représentations jusqu’en 1860. Maria Taglioni le présenta à Londres en 1832 et à Saint-Pétersbourg en 1837, où elle remporta un triomphe.

La mise en scène — surtout au second acte et au finale — et la réalisation d’un ballet « aérien » laissent une place importante à la machinerie. Reprise en 1841 à la Scala de Milan, mais remontée par Antonio Cortesi pour Fanny Cerrito, puis par Marius Petipa au Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg en 1892, la Sylphide s’est maintenue au répertoire de l’Opéra royal de Copenhague dans la version d’August Bournonville* (mais avec une partition de H. Lovenskjold), qu’Harald Lander reconstitua en 1953 (dansée par Rosella Hightower et Serge Golovine), puis en 1955 (par Alicia Markova, puis Margrethe Schanne, et Poul Gnatt). Une reconstitution fut réalisée en 1972 par le chorégraphe français Pierre Lacotte et dansée à l’Opéra de Paris par Ghislaine Thesmar et Michael Denard.

Premier ballet romantique par son thème légendaire (un mortel épris d’un être surnaturel), par l’immatérialité de son style (la danseuse glisse ses pas, monte sur les pointes et semble se fondre dans l’espace), par son costume (la robe de voile blanc), la Sylphide a profondément modifié la danse qui, dès ce moment, s’est trouvée spiritualisée. Symboles d’une tradition nouvelle, le tutu long et les chaussons de pointes — apparus à cette époque — sont voués à un culte qui n’est pas près de s’éteindre.

H. H.

Tagore (Rabindranāth)

Écrivain indien (Calcutta 1861 - Śantiniketan, près de Bolpur, Bengale, 1941).


Pendant la seconde moitié du xixe s., la société indienne de Calcutta est en pleine transformation. Toute une génération d’Indiens de la classe aisée ont déjà reçu et assimilé l’enseignement britannique (Hindu College fondé en 1817). Les meilleurs, dont fait partie Rabindranāth Tagore, ne négligent pas pour autant l’étude des textes sanskrits classiques, de la poésie kriṣṇaïte du Moyen Âge et des œuvres en bengali. La famille Tagore occupe une place privilégiée qui lui permet d’ignorer les tabous sociaux. Plusieurs de ses membres se sont déjà révélés artistes, poètes et musiciens. L’activité du Brahmo Samāj, mouvement de réforme religieuse et culturelle, un moment défaillante, reprend sous l’influence de Devendranāth Tagore (1817-1905), père du poète. Les sentiments nationalistes exacerbés par l’ostracisme des administrateurs britanniques et le projet de partition du Bengale se manifestent déjà. Le jeune Rabindranāth, quatorzième enfant d’une grande famille, est souvent confié aux domestiques ou à un précepteur. L’école le rebute, car il a besoin de liberté, et son grand amour de la nature l’entraîne au dehors.

S’il est un domaine où Tagore apparaît concrètement comme un précurseur, c’est bien celui des voyages. À une époque où les déplacements sont encore relativement difficiles, il vient plusieurs fois en Angleterre, aux États-Unis, parcourt les continents européens et asiatiques, prenant contact avec des hommes de lettres (Yeats, Romain Rolland), des savants (les indianistes Sylvain Lévi et Moriz Winternitz), donnant des conférences pour mieux faire connaître l’Inde, exposer son point de vue de synthèse entre deux civilisations et travailler au rapprochement de l’Orient et de l’Occident. Ce poète engagé dans l’action rassemble des fonds pour son université internationale, prêche contre le nationalisme étroit et, planant au-dessus de son temps, se voit souvent incompris et critiqué, car sa hauteur de vue l’entraîne à négliger le parti que l’on peut tirer d’apparentes contradictions entre ses actes et sa pensée.

L’œuvre littéraire de Tagore est à l’échelle de sa pensée : immense. Il a composé dans tous les genres littéraires. Près de mille poèmes lyriques, de deux mille chansons, des épigrammes, des histoires en vers, une trentaine de pièces de théâtre tragiques et comiques, des essais philosophiques, politiques, pédagogiques, des ouvrages didactiques, des traités scientifiques de vulgarisation, des histoires littéraires ou de philologie bengali. Il faut ajouter une douzaine de romans, des contes et des nouvelles, des impressions de voyages et une abondante correspondance. Il a lui-même traduit en anglais un grand nombre de ses œuvres, dont Gītāñjali (Song Offerings), qui lui valut le prix Nobel de littérature en 1913.

Dans son enfance, le jeune Rabindranāth avait souffert de la discipline inspirée par l’école et du système d’éducation étroit, rigide et passif auquel étaient soumis les élèves. En 1901, il fonde Śantiniketan sur le principe de la participation de l’enfant à la vie et à la nature qui l’entoure. Les travaux champêtres et ceux de la maison, la musique, la danse, le dessin qui éveillent et développent la sensibilité constituent le fondement de ses méthodes éducatives. Il y ajoute la pratique de l’éducation mixte, de la vie et de la prière en commun dans une ambiance de liberté et de confiance.

La chanson est une forme poétique répandue au Bengale depuis les temps anciens. L’originalité de Tagore dans ce domaine est d’avoir tenté une synthèse entre la musique de type occidental et la musique indienne folklorique. Il essaie d’utiliser la notation syllabique et même de l’accompagner au son d’instruments européens. La peinture était pour lui un autre moyen d’expression de sa sensibilité. Il avait toujours admiré les œuvres des maîtres japonais et européens, y compris la peinture moderne non figurative. En 1918, il fonda le Kālabhavana, école d’arts plastiques. Lui-même commence à peindre en 1928 et son art, libération du subconscient, apparaît comme un complément à son œuvre poétique consciente.