Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

symphonie (suite)

Les origines de ce modèle classique ainsi cerné sont confuses à cause de l’imprécision du terme de symphonie et de la difficulté d’identifier la première partition digne de ce nom. Au Moyen Âge, le mot a été définitivement déchu de son sens étymologique grec de « consonance des intervalles » pour désigner un instrument, sorte de vielle à roue, appelée par déformation chifonie. Par la suite, il a servi à définir toute composition pour les instruments, par opposition à toute œuvre destinée aux voix, en s’enrichissant progressivement des éléments constitutifs du concept classique. Dans l’ancienne suite instrumentale, qui peut être tenue pour la préhistoire de la symphonie, se sont fondus deux genres musicaux d’intérêt voisin, mais de nature esthétique très dissemblable : la sinfonia italienne en trois mouvements (fugato rapide — fugato lent — danse vive homophone), servant de préambule à l’opéra dès le xviie s. ; l’ouverture à la française, également en trois sections (grave en valeurs rythmiques pointées — fugato rapide — retour au grave souvent tronqué), composée, elle aussi, pour précéder une représentation d’opéra, et ce dès avant Lully.

La synthèse de ces trois structures à vocation symphonique s’est accomplie lentement au cours de la première moitié du xviiie s., à l’occasion d’une extraordinaire internationalisation des styles en Europe, contre laquelle les romantiques réagiront assez vigoureusement.

C’est en Italie que les premiers échantillons de véritables symphonies ont fait leur apparition. Alessandro Scarlatti* et Antonio Vivaldi* ont engagé la sinfonia dans deux directions nettement distinctes. À la première voie de l’ouverture d’opéra ont souscrit Jean-Baptiste Pergolèse (1710-1736), Baldassare Galuppi (1706-1785), Niccolo Jommelli (1714-1774), puis Domenico Cimarosa*, Tomaso Traetta (1727-1779) et Antonio Sacchini (1730-1786), tandis que la sinfonia de concert, cousine germaine du concerto grosso, s’imposait plus difficilement à la suite de Giovanni Battista Sammartini*, avec le Padre Martini*, Jean-Chrétien Bach*, le Bach de Londres et Luigi Boccherini*.

Dans les autres centres musicaux d’Europe, la symphonie semble s’être intégrée très vite aux usages. À Paris, très tôt désolidarisée de la suite de danses grâce à Michel Richard Delalande*, à Jean Joseph Mouret (1682-1738), à Jacques Aubert (1689-1753), à Gabriel Guillemain (1705-1770), à Charles Henri de Blainville (1711-1777), puis à J. Papavoine et à André Grétry*, elle a joui d’une immense faveur, au point que plus d’un millier de symphonies ont été identifiées par Barry S. Brook entre 1730 et 1789. Le créateur le plus avancé et le plus attachant reste François Joseph Gossec*, dont la tardive Symphonie à dix-sept parties (1809) domine toute la production du xviiie s. français. Les concerts sous l’Ancien Régime, dont Michel Brenet a étudié le fonctionnement et retrouvé les programmes, ont accueilli largement les partitions des musiciens de Mannheim*, que le prince-électeur du Palatinat Charles-Théodore avait rassemblés vers 1750 pour former l’un des meilleurs orchestres d’outre-Rhin. Parmi ces instrumentistes et compositeurs figurent les noms de Johann et Carl Stamitz, de Franz Xaver Richter, d’Ignaz Holzbauer, de Johann Christian Cannabich, de Franz Beck et d’Anton Filtz, dont les symphonies ont définitivement consacré des techniques de forme et d’instrumentation jusqu’alors facultatives. À Vienne, la capitale où s’édifia le grand art classique de la fin du xviiie s., Mozart a été immédiatement précédé par des compositeurs fort prolifiques, tels Mathias Georg Monn (1717-1750), Georg Christoph Wagenseil (1715-1777), Jan Křtitel Vaňhal (1739-1813), Carl Ditters von Dittersdorf (1739-1799) et Johann Michael Haydn*. Tous ces pionniers ont contribué à asseoir la symphonie sur des bases stables : une forme sûre et assez souple pour recevoir une inspiration même débordante, des thèmes soigneusement profilés en vue de développements intelligents et sensibles, une instrumentation banalisée, qui, si elle sacrifiait souvent à des impératifs commerciaux bien compréhensibles, n’en possédait pas moins des qualités incontestables.

Ainsi préparés, Joseph Haydn* et Mozart* ont embelli l’art de la symphonie et l’ont porté à un tel état de perfection qu’après eux d’autres itinéraires étaient impérativement à découvrir. Après les sommets que représentent les trois symphonies de 1788 de Mozart et les douze « londoniennes » de Haydn (1791-1795), Beethoven* reçoit le rôle délicat d’élargir le dispositif symphonique classique pour y inscrire les éléments d’un nouveau langage. Aboutissement ou point de départ, les symphonies de Beethoven ont retenu, dans leur diversité, l’exemple classique tout en ouvrant de larges brèches dans l’avenir. Avec Haydn s’est éteinte la race de ces puissants symphonistes qui écrivaient jusqu’à cent symphonies. Beethoven et, à sa suite, les romantiques se contenteront de la dizaine en s’appliquant à donner à chacune d’elles une individualité marquée. Ce changement radical de l’esprit de la symphonie s’est accompagné d’une transformation des moyens d’expression. La division quadripartite s’est maintenue, mais le contenu de chaque mouvement s’est étoffé et l’instrumentation s’est amplement modifiée. Les symphonies de Beethoven n’ont pas arrêté les compositeurs dans leur élan ; elles ont, au contraire, stimulé leur esprit créateur.

Du tronc commun que constitue la trinité Haydn-Mozart-Beethoven a jailli une double génération de musiciens. Dans la descendance directe du maître de Bonn se situent Mendelssohn*, Bruckner* et Brahms*, Schubert* et Schumann* ayant évolué hors circuit vers une formule propre. À cette lignée se rattachent dans les nations de l’Europe du Nord et de l’Est Sibelius* en Finlande, Dvořák* en Tchécoslovaquie et Tchaïkovski* en Russie. Parallèlement et malgré les vastes incursions de Berlioz* (Symphonie fantastique) et de Liszt* (Faust-Symphonie) dans le domaine de la symphonie à programme, la France a repris tardivement la tradition classique à son compte. À côté de Gounod*, de Bizet*, de Saint-Saëns* et de Lalo*, une nouvelle école symphonique française s’est créée sous l’impulsion géniale de César Franck*, qui a donné naissance aux chefs-d’œuvre d’Ernest Chausson (1855-1899), de Vincent d’Indy*, d’Albéric Magnard (1865-1914), de Dukas*, etc. Franck a imaginé une refonte totale des structures internes de la symphonie en les associant à une nouvelle conception des relations tonales. De 1890 à 1910, Gustav Mahler* amplifia la symphonie en un ensemble à la fois gigantesque et composite, où s’associent dans une polyphonie tentaculaire et un chromatisme harmonique étrangement prophétique le choral allemand, le lied romantique, vocal ou instrumental, et l’esprit de la musique à programme, tout cela sous l’égide de la grande variation beethovénienne.