Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

surréalisme (suite)

L’imagination au pouvoir

Comment retrouver ce savoir des sens anéantis par cette morale, savoir que seules les sociétés dites « primitives » peuvent encore connaître ? D’abord par l’imagination. Celle-ci doit prendre le pouvoir sans craindre la folie, qu’elle risque d’entraîner : « Ce n’est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l’imagination. » Elle est consciencieusement cultivée dans le sommeil éveillé, le rêve, l’écriture automatique. Là, elle ne connaît pas de bornes et s’exprime en toute liberté, et, par là même, l’homme peut se délivrer de toutes les entraves et être libre : « Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. »

Pour laisser libre cours à l’imagination, les surréalistes ont porté une attention particulière à la vie inconsciente, au rêve, le suscitant par tous les moyens, dont l’hypnose. Ils voulurent retirer les barrières qui séparent la réalité du rêve, le conscient de l’inconscient. Le rêve devient un moyen de connaissance et non plus, comme chez Freud, dont ils s’inspirent, le lieu où la conscience refoule ce qu’elle ne peut admettre. Il permet à l’imagination de s’enrichir d’images toujours renouvelées, de sensations qui ne sont pas passées par le tamis de la réflexion... Il s’agit non seulement du rêve opposé à la veille, mais du rêve éveillé, état second qui peut surgir, volontairement ou non, qui déplace et déforme les objets de la réalité objective pour en faire paraître de nouveaux qu’ils masquaient. Le rêve réitère l’homme des commencements. Il le remet, comme le précise Breton, « en communication avec les forces élémentaires » avant que celles-ci n’aient été analysées par la logique, détournées par le langage et l’habitude.

L’écriture automatique est aussi un moyen pour permettre à l’imagination de retrouver ses droits imprescriptibles. Le scripteur ne fait qu’enregistrer, comme un sismographe, les mots qui viennent. Il doit s’obliger à ne pas penser, à se mettre à l’écoute de ce qui se présente, sans plus de contrainte, pas même celle d’un langage. « Fiez-vous au caractère inépuisable du murmure », a dit Breton, murmure continu, non organisé, que les mots, dans la phrase, s’efforcent de rendre tel quel, mots inscrits au fur et à mesure de leur présentation. Il n’est pas question de relire et de corriger le résultat ainsi obtenu. Celui-ci est le produit, à l’état brut, de l’inconscient. Cette réceptivité passive permet de promouvoir une « pensée parlée », concrétisée par les mots. La définition de l’écriture automatique sert d’ailleurs, dans le Manifeste, de définition au surréalisme : « Surréalisme, n. m., automatisme psychique par lequel on se propose d’exprimer soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. »

Faire ainsi le vide donne toutes les possibilités pour acquérir le plein, pour recevoir la réalité non censurée par la culture, par l’éducation, par la morale établies.

Le Cadavre exquis

Jeu inventé par les surréalistes afin de donner au hasard la toute autorité dans la confection d’un poème, d’un dessin. Plusieurs personnes sont réunies et se passent un papier sur lequel chacune, à tour de rôle, écrit une phrase, une image dont elle masque le contenu avant de le passer à son voisin, qui fait de même. On obtient de cette manière des textes parfois invraisemblables, le plus souvent étonnant de « réalité », comme si le résultat obtenu avait été voulu. « Qu’est-ce qu’une lune ? Un vitrier étonnant. »


« Le surréalisme est à la portée de tous les inconscients. »

Mis à part le rêve et l’écriture automatique, capables de redonner à l’homme son état d’innocence, les surréalistes ont prôné toutes les formes de la dé-raison, et la plus radicale entre toutes : la folie. La folie n’est pas autre chose que le rêve prolongé, entretenu par le « malade » pour échapper à la pression d’une réalité inacceptable. Dalí, plus précisément, s’est fait le défenseur de la folie dans ce qu’il a appelé la « paranoïa-critique » : « Tous les médecins sont d’accord pour reconnaître la vitesse de l’inconcevable stabilité fréquente chez le paranoïaque, lequel, se prévalant de motifs et de faits d’une finesse telle qu’ils échappent aux gens normaux, atteint des conclusions souvent impossibles à contredire [...] et qui, en tous cas, défient toute analyse. » La paranoïa-critique est, selon Dalí, une méthode spontanée de connaissance irrationnelle qui ne connaît pas les limites ou les règles d’un savoir, quel qu’il soit. Le domaine du psychisme humain se trouve élargi jusqu’aux frontières de l’impossible, là où le rêve, pour le « malade », devient réalité, là où l’infini ne cesse d’être saisi, même si les conséquences de ce « voyage » sont graves, puisque ce dernier se termine dans un asile d’aliénés. La folie permet de laisser libre cours à la « toute-puissance du désir ». Le merveilleux, le fantastique, l’incroyable sont à portée de main, n’était la répression exercée sur le « malade » qu’on enferme, à qui l’on interdit d’exprimer des désirs qui paraissent aberrants.

Pour trouver le fantastique, le merveilleux, dans des normes raisonnables, il ne reste qu’à fréquenter les œuvres littéraires, le seul merveilleux légitimement accordé à l’être humain, à son imagination, toujours désireuse de créations nouvelles : « C’est seulement à l’approche du fantastique, en ce point où la raison humaine perd son contrôle, qu’a toutes les chances de se traduire l’émotion la plus profonde de l’être humain. » C’est là que l’extraordinaire peut espérer s’insérer dans le quotidien, là où l’être qui ne se reconnaît plus risque de se connaître enfin. C’est pourquoi les surréalistes ont particulièrement prisé le roman noir anglais (Melmoth le Vagabond de Charles Robert Maturin, Ambrosio ou le Moine de M. G. Lewis). Ils ont remis en vogue le roman populaire français : les Mystères de Paris d’Eugène Sue. Ils ont mis en lumière les réalisations extravagantes, comme le château du facteur Cheval, que celui-ci construisit durant trente années.