Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sumatra (suite)

Le milieu

Sous un climat équatorial à pluies continues toute l’année, qui a donné initialement un couvert forestier, l’île oppose une longue échine montagneuse orientée N.-O. - S.-E. à l’ouest et une grande plaine à l’est. Elle est donc dissymétrique, et tous les fleuves importants coulent d’ouest en est, vers le détroit de Malacca.

L’échiné montagneuse (les monts Barisan) forme un ensemble dissymétrique, aux aspects très divers, mais massif et lourd, en dépit de l’existence d’une dépression longitudinale qui fend en quelque sorte la montagne, le Median Graben : le rebord occidental est un mur raviné par des rivières violentes, au-dessus de médiocres plaines alluviales ; le rebord oriental est plus doux, précédé d’une ligne de collines de piémont. Les paysages sont ici très divers : plateaux de tufs entaillés de larges vallées à fond plat ou de gorges extraordinaires (chutes de l’Asahan) ; cônes volcaniques ; karst à pitons (au sud du volcan Kerinci) ; longs escarpements rectilignes et très frais. Enfin, la montagne est assez difficilement franchissable et mal aérée, le Médian Graben n’est bien dessiné que par endroits et il est en outre constamment interrompu par des appareils volcaniques et parfois complètement obstrué, notamment par l’« intumescence Toba ». Les monts Barisan sont un élément important de l’« arc interne » de l’Insulinde, de cette guirlande d’orogenèse très récente et de volcanisme actuel. Ils sont dus à des mouvements plio-pléistocènes. Cependant (différence fondamentale avec Java), ces mouvements ont affecté non pas un matériel très jeune et tendre mais des terrains anciens du « pseudo-socle de la Sonde », plissés une dernière fois au Crétacé et riches en granites intrusifs, et également des terrains volcaniques et des granites miocènes rigides. L’orogenèse plio-pléistocène, dans ces conditions, s’est traduite essentiellement par des failles (en particulier celles qui sont responsables du Médian Graben), failles très jeunes qui donnent des escarpements très frais ; les mouvements ne sont pas terminés : des coraux quaternaires ont été surélevés ; des failles ont fracturé l’intumescence quaternaire du Toba ; les séismes sont fréquents sur la côte orientale. Il en résulte un relief non volcanique vigoureux, qui rend la montagne beaucoup moins pénétrable qu’à Java.

La plaine orientale, large de 200 km à hauteur de l’équateur et de Palembang et très monotone, a été construite par des fleuves très chargés en alluvions, aux lits constamment changeants (Asahan, Rokan, Kampar, Indragiri, Hari, Musi) ; ces fleuves sont remontés par la marée, qui provoque une inondation biquotidienne ; aussi la plaine est-elle en grande partie amphibie et occupée par la mangrove ou la forêt inondée d’arrière-mangrove, très riche en palmiers, et cela sans parler des marécages proprement dits. Les alluvions masquent une structure géologique très complexe, qui apparaît d’ailleurs par endroits : terrains tertiaires et terrains du pseudo-socle de la Sonde. Les terrains tertiaires forment une zone de collines de piémont au pied des monts Barisan, des hauteurs isolées (monts Gumai, Cïlalani), et surtout des collines alignées et parallèles, qui apparaissent dans la région de Palembang ; ces collines d’altitudes insignifiantes (de 30 à 60 m de haut) sont des anticlinaux affectant une série très épaisse (5 000 m) de terrains tendres, anticlinaux aplanis par l’érosion en même temps qu’ils se formaient, mais restant en relief par suite de la persistance du mouvement ; les mêmes terrains sont masqués par les alluvions entre Jambi et Pakanbaru : ils sont très riches en pétrole. Les terrains du pseudo-socle de la Sonde apparaissent aux monts Tigapuluh, qui coupent presque l’île à hauteur de Jambi en inselberg (monts Batu, près de Palembang), et dans les îles de Belitung (Billiton) de Bangka, de Lingga (1200 m) et de Riau.

Sumatra a un climat équatorial. Les pluies sont très abondantes : 3 831 mm à Padang (1° de lat. S.), 2 170 mm à Medan ; elles tombent toute l’année, avec deux minimums peu marqués, en février et en juin-juillet (sans que les précipitations soient inférieures à 100 mm), et deux maximums, l’un modeste d’avril-mai, l’autre considérable d’octobre-novembre. Palembang, au sud, et l’extrême Nord ont des climats un peu plus secs, mais, dans toute l’île, la végétation naturelle est la forêt dense sempervirente ; à une altitude variable, mais normalement entre 1 500 m et 1 800 m, apparaît la forêt « moussue » (nebelwald). Les immenses zones de savane à Imperata (alang-alang) sont l’œuvre des hommes.

J. D.


L’histoire

Considérablement moins peuplée que sa voisine, Java, et mise en valeur d’une façon moins systématique, la grande île de Sumatra nous a livré moins de vestiges archéologiques ; cela ne veut pas dire qu’elle a joué un rôle historique moindre, et il ne se passe guère d’années sans qu’on retrouve dans ses forêts ou dans ses brousses quelque nouvelle inscription ou quelque nouvelle sculpture.

Si on laisse de côté les grossières figures de pierre de la région de Pasemah (Sumatra-Sud), difficilement datables, mais peut-être de période protohistorique, l’histoire commence ici avec les célèbres inscriptions de Śrīvijaya, retrouvées dans la région de l’actuelle ville de Palembang, dans l’île de Bangka et plus récemment dans l’extrême sud du pays lampung ; il s’agit de textes rédigés en vieux malais (avec une forte proportion de mots sanskrits) et gravés sur pierre dans une écriture qui rappelle les écritures utilisées en Inde aux vie et viie s. ; ces inscriptions, exactement datées (683-686), évoquent les campagnes victorieuses d’un souverain qui se donne à lui-même le titre de mahārājā de Śrīvijaya, et révèlent une atmosphère fortement teintée de bouddhisme mahāyāniste.

Se fondant sur ces inscriptions, ainsi que sur divers passages de sources arabes et chinoises, qui mentionnent également la présence d’une grande puissance dans la région du détroit à cette époque, l’orientaliste français George Cœdès a insisté sur le rôle joué du viie au xie s. (et peut-être même jusqu’au xiiie s.) par les rois de Śrīvijaya, qui, installés à proximité d’une des plus grandes routes maritimes de l’Asie, développèrent à Sumatra, mais aussi en péninsule malaise, une culture florissante, dont seuls quelques bronzes, quelques statues (comme le Bouddha de 3 m de haut retrouvé près de Palembang) et quelques ruines (près de Jambi notamment) portent témoignage.