Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Suisse (suite)

La musique en Suisse


Du Moyen Âge au xixe siècle

Jusqu’à la fondation de la Confédération, c’est surtout la religion qui influence la vie musicale. Les centres importants sont le couvent de Saint-Gall, l’abbaye de Saint-Maurice ainsi que, un peu plus tard, les chœurs des cathédrales et les universités. Dès la formation des cantons, l’absence d’unité politique, linguistique et confessionnelle conduit à des activités et à des traditions locales, qui se maintiennent vivaces jusqu’à nos jours. C’est ainsi que Berne, capitale politique de l’État, n’a pas plus d’importance en musique que Zurich, Bâle, Lausanne, Genève.

Le cloisonnement a longtemps réduit les compositeurs à eux-mêmes, a empêché leur rayonnement et a fait obstacle à la pénétration en Suisse des formes musicales créées à l’étranger. Dès le xvie s., les musiciens suisses ont l’impression que la musique se fait ailleurs. Ils quittent leur patrie pour chercher des impulsions dans les pays environnants : Ludwig Senfl (v. 1490 - v. 1543) va à Munich, Jean-Jacques Rousseau à Paris.

Au xixe s., un effort de centralisation apparaît avec l’agrandissement de la Confédération. En 1808 se fonde la « Société de musique helvétique », en 1842 la « Société fédérale de chant », en 1900 l’« Association des musiciens suisses ». La musique pénètre dans des couches plus profondes de la population. La mode est aux Festspiele (festivals) et aux fêtes de chant, car déjà à cette époque le Suisse préfère chanter ou jouer d’un instrument collectivement plutôt qu’individuellement. Bien que le folklore soit relativement pauvre, le chant choral constitue l’activité principale. Son répertoire subit fortement l’influence germanique, même en Suisse romande.


L’essor de la musique au xxe siècle

Depuis le début du siècle, la musique fait un bond prodigieux. On constate une grande activité orchestrale grâce à 126 orchestres dont 34 formations symphoniques. Dans le secteur choral, on compte environ 150 000 chanteurs pour l’ensemble du pays, ainsi que 70 000 instrumentistes groupés dans 1 850 fanfares et harmonies. La tendance générale est de transformer les chœurs d’hommes en chœurs mixtes. Dans les villes, ceux-ci deviennent des formations professionnelles ou semi-professionnelles inscrivant à leurs programmes surtout des oratorios. Les concerts par abonnement se développent, ainsi que les récitals de virtuoses. Dans l’entre-saison, des festivals atteignent un public formé non seulement d’auditeurs du pays, mais d’étrangers en villégiature, ainsi à Lucerne, à Montreux, à Zurich, à Lausanne, à Sion.

Bien que le cantonalisme culturel soit un obstacle à la diffusion de la musique, que le mécénat soit rare, qu’il existe peu d’échanges entre la Suisse romande et la Suisse alémanique, que l’enseignement musical dans les écoles soit encore lacunaire, les autorités centrales se préoccupent toujours davantage du problème de la coordination et de la diffusion des sources musicales. À l’intérieur du pays, l’« Association des musiciens suisses » et le « Conseil suisse de la musique », fondé en 1964, œuvrent pour faire connaître interprètes et compositeurs. À l’extérieur, cette tâche est réservée à « Pro Helvetia », institution patronnée par le conseil fédéral lui-même.

Avec Émile Jaques-Dalcroze (1865-1950) et Gustave Doret (1866-1943), la Suisse romande laisse pénétrer l’influence française. Une impulsion est donnée par Igor Stravinski*, lors de son séjour en Suisse de 1910 à 1919. Il collabore avec Charles Ferdinand Ramuz pour l’Histoire du soldat, Renard, les Noces. Le théâtre du Jorat, créé par René Morax (1873-1963), constitue une forme intéressante de théâtre lyrique populaire avec le Roi David et Judith d’Arthur Honegger*, la Servante d’Évolène de Gustave Doret. Des chefs d’orchestre comme Ernest Ansermet (1883-1969) et Paul Sacher (né en 1906) modernisent le répertoire.

Il n’est donc pas étonnant qu’une pléiade de compositeurs de valeur soit apparue, à leur suite, sans toutefois former une école, tant leur sensibilité et leur tempérament sont différents. Au premier rang, il faut citer Arthur Honegger et Frank Martin*, qui ont atteint une audience internationale grâce à une synthèse féconde des qualités latines et germaniques. Outre sa collaboration déjà citée avec le théâtre du Jorat, Arthur Honegger a trouvé son inspiration dans les paysages et les rythmes de notre pays, ainsi dans Pastorale d’été, l’oratorio Nicolas de Flue, la quatrième symphonie (les Délices de Bâle). Son influence a été très grande sur toute une génération de jeunes compositeurs, d’autant plus que Paul Sacher a créé la majorité de ces pages symphoniques à Bâle ou à Zurich.

Influencé par Jaques-Dalcroze et ses investigations rythmiques, Frank Martin, d’origine genevoise, mais établi en Hollande dès 1946, s’est acquis un style personnel en l’enrichissant des conquêtes sérielles. Son inspiration noble et austère est au service d’une foi ardente décrivant les conflits de la chair et le drame du pécheur implorant la grâce du Tout-Puissant et imaginant le calvaire du Christ. C’est dans ses oratorios, le Vin herbé, Golgotha, le Mystère de la Nativité, son Requiem que son art est le plus saisissant ; mais le cycle de mélodies d’amour et de mort du Cornette de R. M. Rilke comme ses pages de musique pure, dont la célèbre Petite Symphonie concertante, montrent les diverses faces de son message vibrant d’humanité et d’espoir. Martin est l’une des figures les plus attachantes de la musique contemporaine.

Maître du lied de langue allemande, Othmar Schoeck (1886-1957) est un digne continuateur de Schubert* et Hugo Wolf*. Son lyrisme s’est épanché dans des centaines de mélodies, ainsi que dans de nombreuses œuvres symphoniques et des opéras dont les plus connus sont Penthesilea et Massimilla Doni. Romantique plein de tempérament et capable de véhémence, Schoeck est reconnu dans les pays de langue germanique comme un des plus grands mélodistes de la première moitié du xxe s.