Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Suisse (suite)

Le 7 août 1815, les anciens gouvernements des cantons conclurent un nouveau pacte fédéral. Ce pacte ne créait pas un véritable pouvoir confédéral : la Diète restait une simple réunion d’ambassadeurs ; le directoire fédéral était exercé tour à tour et pendant deux ans par Zurich, Berne et Lucerne ; le seul organe permanent était la chancellerie fédérale. Quant aux cantons, ils gardèrent des gouvernements conservateurs, et les nouveaux venus renoncèrent même, partiellement, à la démocratie représentative.


Libéralisme et démocratie
La Constitution de 1848

Après 1815, la Suisse connut une époque de prospérité économique. Elle commença à construire des machines pour ses filatures et développa ainsi l’industrie métallurgique. L’horlogerie fut en essor. Quant à l’amélioration du réseau routier, il contribua tout à la fois à l’essor industriel et au développement de l’agriculture. C’est à cette époque que le tourisme et son complément, l’hôtellerie, firent leur apparition en Suisse. Les étrangers — Britanniques surtout — vinrent nombreux admirer les paysages pittoresques et accidentés que célébraient les écrivains et les peintres romantiques.

Mais la situation politique restait préoccupante : l’aristocratie avait rétabli l’Ancien Régime, renversé par la Révolution, la Diète n’avait que des pouvoirs très réduits, et la Suisse, devenue le refuge de nombreux proscrits politiques, connaissait des difficultés avec ses voisins français et autrichiens, qui ne pouvaient admettre de voir la Confédération se transformer en foyer révolutionnaire et qui obtinrent de la part des cantons des mesures sévères à l’encontre des réfugiés.

Encouragée par la révolution parisienne de 1830, l’opposition libérale obligea certains cantons (Thurgovie, Argovie, Saint-Gall, Schaffhouse, Zurich, Soleure, Lucerne, Berne, Vaud, Fribourg) à « se régénérer » en adoptant diverses libertés, en acceptant l’élection d’un Grand Conseil au suffrage universel et en substituant l’impôt direct aux redevances féodales. En revanche, les libéraux échouèrent à Neuchâtel et à Bâle. Dans ce dernier canton, les citadins refusèrent l’émancipation des ruraux et on dut créer deux demi-cantons : Bâle-Ville et Bâle-Campagne. Dans plusieurs cantons, les animosités confessionnelles reprirent et l’intolérance religieuse se manifesta de nouveau (suppression des couvents dans le canton d’Argovie ; à Lucerne, lutte contre les Jésuites, que le gouvernement avait appelés pour leur confier la direction de l’enseignement secondaire).

Les libéraux furent bientôt débordés par la Jeune-Suisse, d’inspiration mazzinienne, et par les radicaux anticléricaux et partisans d’une démocratisation totale. Inquiets, les sept cantons conservateurs et catholiques de Lucerne, Uri, Schwyz, Unterwald, Zoug, Fribourg et Valais constituèrent en 1845 une « Alliance défensive séparée » (Sonderbund), tenue d’abord secrète. Les chefs de l’alliance demandèrent et obtinrent l’appui des gouvernements réactionnaires autrichien, sarde et français. L’opinion publique, irritée de cet appel à l’étranger, exigea la dissolution du « Sonderbund » et l’expulsion des Jésuites. Les radicaux prirent le pouvoir dans plusieurs cantons (Lausanne, 1845 ; Genève [James Fazy], 1846) et, en 1847, obtinrent la majorité à la Diète, qui déclara le « Sonderbund » incompatible avec le pacte fédéral et en prononça la dissolution. Les cantons catholiques refusèrent de se soumettre, et la Diète ordonna une intervention armée. Une brève campagne des milices fédérales, commandée par le général genevois Guillaume Henri Dufour (1787-1875), contre les troupes catholiques d’Ulrich de Salis-Soglio se termina par la capitulation des chefs-lieux du « Sonderbund » Fribourg, Zoug et Lucerne (nov. 1847). Les cantons dissidents réintégrèrent la Confédération et expulsèrent les Jésuites. En septembre 1848, une nouvelle constitution fit de la Suisse un véritable État fédéral, doté d’un gouvernement central siégeant à Berne, et non plus une simple confédération d’États : le pouvoir, qui appartenait jusqu’ici presque exclusivement aux cantons, est désormais partagé entre ceux-ci et l’État fédéral.


L’évolution pacifique

Au lendemain de 1848, la Suisse connut la stabilité, et les graves divergences qui avaient opposé les uns et les autres lors de la guerre du Sonderbund s’estompèrent peu à peu. Des mesures libérales permirent la disparition des péages intérieurs, la liberté d’établissement des Confédérés dans tous les cantons, la liberté de l’industrie et du commerce, la création de chemins de fer et les progrès de l’industrialisation. La vie intellectuelle connut un remarquable essor, en particulier grâce à l’activité des universités : celle de Bâle existait depuis 1460 ; Berne et Zurich avaient fondé les leurs après 1830 ; à Genève, Lausanne et Neuchâtel existaient des académies qui, au cours du xixe s., furent transformées en universités ; à Fribourg une université catholique fut fondée en 1889. L’École polytechnique de Zurich (1855) devint un centre important de recherches scientifiques. La fondation de la Croix-Rouge*, en 1863, due à l’initiative du Genevois Henri Dunant, donna un sens positif et altruiste à la neutralité suisse.

En 1848, les libéraux avaient proclamé la république dans la principauté de Neuchâtel, possession des rois de Prusse depuis 1707 ; en 1856, une contre-révolution royaliste avait été étouffée grâce à l’intervention fédérale. Frédéric-Guillaume IV, ne voulant pas abandonner les royalistes qui avaient combattu pour lui, avait préparé une expédition armée contre la Confédération. Grâce à l’entremise des puissances européennes (Napoléon III et la Grande-Bretagne), l’incident put être réglé pacifiquement. À la conférence de Paris (1857), le roi de Prusse renonça à ses droits sur le canton, et Neuchâtel resta république et canton suisse.

En 1860, l’annexion de la Savoie à la France suscita l’inquiétude du canton de Genève, qui craignait l’encerclement français. Le gouvernement fédéral tenta en vain d’obtenir de Napoléon III la cession de la Savoie du Nord, que désirait une partie de la population.

En 1870-71 pendant la guerre franco-allemande, la Suisse mit sur pied l’armée fédérale pour protéger sa neutralité ; après la défaite de l’armée française de l’Est (sous Bourbaki), elle accueillit un contingent de plus de 80 000 hommes, qui furent internés jusqu’à la fin des hostilités.