Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Auguste (suite)

Auguste ne se contenta pas de définir une élite dans la société romaine ; il organisa avec minutie un second ordre dans l’État, l’ordre équestre. Les chevaliers existaient depuis longtemps ; ils avaient joué un rôle politique important à partir du iie s. av. J.-C. Or, leurs contours étaient mal définis, certains étant très proches du genre de vie des sénateurs. Désormais ils ne vivent plus que de la possession du sol, et, pour faire partie de l’ordre, il faut posséder au moins 400 000 sesterces de capital. Mais le choix des chevaliers est réservé à l’empereur. L’ordre devient une pépinière de hauts fonctionnaires, qui ne se distinguent de l’ordre sénatorial que par l’infériorité relative de leurs fonctions et de leurs responsabilités.

Cette société est donc hiérarchisée, mais elle est aussi très souple, car n’importe quel citoyen peut, s’il a le cens et l’aval du prince, entrer dans l’ordre équestre, y faire une partie de sa carrière, puis accéder aux fonctions de rang sénatorial. Toutes les ambitions sont permises, à condition d’accepter le nouvel état de choses.

Ces deux ordres n’étaient ouverts qu’aux citoyens romains. Auguste rendit plus strictes les conditions d’accès à la citoyenneté. À la fin de son règne, l’accroissement du nombre des citoyens n’a été que de 900 000 unités (4 947 000 citoyens en 14 apr. J.-C.). Cette faible augmentation est due au sentiment profond chez Auguste que le droit de cité est une dignité qui ne peut être accordée que comme récompense. Ce fut le moyen de rallier à Rome les notables locaux et de hâter la romanisation des provinces, ainsi que de montrer leur loyauté. En revanche, les masses barbares ne pouvaient plus espérer accéder en bloc à la citoyenneté romaine.

Une autre source de l’accès au droit de cité était l’affranchissement des esclaves. Sous la république, tout esclave affranchi par un citoyen devenait citoyen. Auguste se contenta de limiter dans sa portée réelle ce très ancien principe de droit. Plusieurs lois, édictées à l’instigation du prince, limitèrent d’abord l’affranchissement par testament (responsable des affranchissements massifs), puis obligèrent les citoyens qui voulaient libérer leurs esclaves à le faire dans les formes légales et solennelles pour que les affranchis puissent recevoir le droit de cité. De plus, elles empêchèrent toute une catégorie d’affranchis (ceux qui avaient été condamnés avant leur libération) de passer dans la catégorie des citoyens de plein droit.

Auguste a ainsi créé une pyramide sociale dans le cadre d’une citoyenneté mieux définie. Mais ce n’était pas pour figer la société ; tout au contraire, les promotions prirent le caractère de récompenses légitimes. L’empereur a suscité un rythme d’évolution régulier dans une société hiérarchisée.

Cet équilibre retrouvé ne pouvait être fondé que sur une restauration des mœurs, qui avaient connu dans les tourmentes intérieures un affaiblissement et un abaissement considérables. Auguste exigea d’abord une bonne tenue générale dans les manifestations publiques, religieuses en particulier. La « gravité » romaine devait être ressentie par tous ; les citoyens se virent obligés de paraître en toge au spectacle ; chacun y eut sa place selon son rang (les sénateurs occupaient les premiers bancs) et tout désordre fut exclu (les femmes furent reléguées dans les rangs supérieurs, qui leur étaient strictement réservés). Ce n’était encore que peu de chose. La réforme des mœurs reposa en fait sur deux points : le retour aux traditions antiques et la restauration du groupe familial.

Le retour aux traditions antiques n’est que le reflet d’un courant général du temps dans une opinion lassée des turpitudes et du manque d’équilibre d’une société perpétuellement à la recherche du plaisir et de la richesse. Le retour sur le passé est marqué par la critique du luxe, que l’on trouve chez un poète comme Horace, et qu’Auguste traduit dans sa vie de tous les jours par la simplicité de sa maison, de son habillement, de ses goûts, par une frugalité qui passe pour être celle du « vieux Romain ». L’effet ne fut pas totalement convaincant, mais le luxe se fit, pendant quelque temps, moins provocant. Il en fut de même quand Auguste voulut remettre en honneur les anciennes vertus militaires ; l’empereur, pourtant lui-même médiocre soldat, fit du service militaire une condition nécessaire pour accéder aux magistratures. La restauration souhaitée par Auguste devait aussi passer par le retour à une juste appréciation des valeurs de la terre, qui avaient fait la puissance de Rome ; le travail de la terre était le réceptacle des anciennes vertus de Rome. Virgile sut utiliser et répandre ce thème ; la reconstitution morale de la cité devait passer par cette idéologie de la terre. De plus, ce fut un moyen pour Auguste de faire admettre les dons de terre, en Italie, à ses vétérans.

Auguste attribuait une importance capitale à la restauration de la cellule familiale. Plusieurs lois, prises sur proposition de l’empereur lui-même, limitèrent les héritages des célibataires (les femmes furent même soumises à un impôt spécial) ; les citoyens avaient le devoir non seulement de se marier, mais aussi d’avoir des enfants ; des avantages pouvaient être accordés aux pères de famille. De plus, Auguste porta le fer dans une des plaies purulentes de la société de son époque, l’adultère, qui se pratiquait sans gêne dans l’aristocratie (le prince lui-même l’avait pratiqué au temps de sa jeunesse) ; désormais, la relégation dans les îles et la confiscation des biens attendaient les coupables.


Auguste relève la religion

La divinisation post mortem de son père par l’élan populaire avait fait comprendre à Octave combien le sentiment religieux pouvait servir sa politique. D’ailleurs, sa carrière est jalonnée par son accession aux sacerdoces les plus importants ; dès 48, César l’avait fait entrer dans le collège des pontifes ; entre 42 et 40, il est augure, puis, avant 35, il pénètre dans le collège des Quindecemviri sacris faciundis. Entre 24 et 16, il fait partie de tous les autres grands collèges : épulon, fétial, frère arvale en particulier. Enfin, en 12 av. J.-C., il devient grand pontife. Il est ainsi le chef de la religion traditionnelle et le garant des plus anciens cultes de la cité. C’est le couronnement de l’aspect sacré de sa personne, mais l’empereur n’en avait pas eu besoin pour réaliser ses principales réformes religieuses ; l’aura sacrée que lui avait conférée le titre d’Augustus lui avait permis de tout entreprendre dans ce domaine ; de plus, depuis 29, ne possédait-il pas le droit de créer tous les prêtres, et même d’en nommer en surnombre ?