Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

stylistique (suite)

La stylistique générale

Gaston Gilles Granger fait apparaître la notion de style en dehors de la littérature comme résultat d’un travail. « Le passage de l’amorphe au structuré n’est jamais le résultat de l’imposition d’une forme venue toute constituée de l’extérieur. [...] Toute structuration résulte d’un travail qui met en rapport tout en les suscitant forme et contenu du champ exploré. » Le style est ainsi la solution individuelle apportée aux difficultés que rencontre tout travail de structuration ; il est l’individuel comme côté négatif des structures, la résultante d’une expérience à la pratique structurante d’une écriture. Il est présent dans toutes les constructions scientifiques ; on peut donc envisager une stylistique générale, théorie des œuvres, qui a sa place entre l’épistémologie et l’esthétique.

B. G.

➙ Poétique / Sémantique / Sémiotique / Structuralisme.

 C. Bally, Traité de stylistique française (Klincksieck, 1909 ; 2e éd., 1929). / L. Spitzer, Stilstudien (Munich, 1928, 2e éd., 1961, 2 vol. ; trad. fr. Études de style, Gallimard, 1970). / P. Guiraud, la Stylistique (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1954 ; 7e éd., 1972) ; Essais de stylistique (Klincksieck, 1970). / G. G. Granger, Essai d’une philosophie du style (A. Colin, 1968). / C. Muller, Initiation à la statistique linguistique (Larousse, 1968). / P. Guiraud et P. Kuentz, la Stylistique. Lectures (Klincksieck, 1970). / H. Meschonnic, Pour la poétique (Gallimard, 1970). / M. Riffaterre, Essais de stylistique structurale (Flammarion, 1971). / J. Sumpf, Introduction à la stylistique du français (Larousse, 1971).

Styron (William)

Écrivain américain (Newport News, Virginie, 1925).


Dès la parution de son premier roman, Lit de ténèbres (Lie clown in Darkness, 1951), on classa Styron comme romancier sudiste et disciple de Faulkner*. On retrouve en effet chez lui le baroque des grandes damnations faulknériennes et sudistes : inceste, impuissance, viol, alcoolisme et une vicieuse et lancinante nostalgie de pureté. On retrouve aussi la lourde rhétorique du péché, le sens d’une culpabilité transmise de génération en génération. Le Sud est la mauvaise conscience des États-Unis. C’est là que, de Poe* à Faulkner et à Styron, l’Amérique a cherché ses héros hantés, comme les Atrides, et l’« agonie et la rhétorique » d’un style obsédé et figeant. Or, Styron est né dans un État sudiste, en Virginie, en plein pays Wasp, où le petit Blanc rêve de lynchage. « J’avais l’impression, écrit-il, d’être entouré de nègres sans pourtant jamais entrer en contact avec eux. » Styron s’installa dans le Nord, suivit les cours de creative writing de William Blackburn et vécut en Europe. Mais il n’oublie jamais que le problème noir est la tragédie américaine. Son œuvre lui est consacrée. Refusant l’optimisme de commande d’une société où le bonheur est obligatoire, il choisit de rendre l’Amérique consciente de sa tragédie.

« Nous ramènerons, écrit-il, la tragédie au pays du Coca-Cola. Plus de pop-corn, plus de rivières enchantées, plus de Walt Disney. De la tragédie, Bon Dieu : voilà ce qu’on va leur donner. » C’est tout le programme de Styron qui réveille les fantômes de l’histoire américaine comme Nat Turner.

Le thème de Lit de ténèbres et sa technique faulknérienne de retours en arrière sont typiquement sudistes. L’héroïne, Peyton Loftis, s’est suicidée. Son père et sa mère, divorcés, suivent séparément le corbillard et se souviennent, dans la chaleur du Sud, parmi les cantiques des Noirs. Lentement les consciences remontent le temps à la recherche de la faute, dans une atmosphère de tragédie grecque où rôdent la fatalité et l’inceste. Mais cette damnation sudiste est au fond une tragédie de la Grâce, de nature métaphysique, qui oppose le désarroi suicidaire du Blanc et la joie liturgique du Noir. Le chemin de la Grâce est aisé pour le Noir innocent. Le Blanc, lui, ne peut le trouver qu’au terme du calvaire de ses péchés. Le Christ n’a pas racheté les Sudistes. Ceux-ci doivent vivre leur propre vendredi saint. Ce paradoxe puritain du salut dans le mal, traité avec l’emphase d’un Bernanos*, fait un premier roman qui tient à la fois de la tragédie antique, du mélodrame romantique et du roman policier.

En 1953, Styron publie une longue nouvelle, la Longue Marche (The Long March), inspirée par son rappel sous les drapeaux, pendant trois ans, lors de la guerre de Corée. Très différent dans son dépouillement, ce texte, écrit à Paris, rappelle l’antimilitarisme de James Jones (né en 1921) et de Norman Mailer*. C’est l’histoire d’une brimade, une marche forcée qui oppose Mannix, l’officier de réserve juif, et Templeton, le colonel de carrière. L’œuvre, assez mince, marque un tournant du Sudiste, ancien « marine », vers la gauche libérale.

En 1960, la Proie des flammes (Set This House on Fire) reprend les thèmes obsédants et le style flamboyant du roman sudiste. Ce très gros roman, écrit en neuf ans, se veut une somme de la conscience américaine. Sous l’apparence d’un fait divers, ce n’est pas un criminel qu’on recherche dans ce roman policier, mais le Mal. Mason, milliardaire américain, s’est suicidé près de Naples, après avoir violé et tué une paysanne. Mais un crime originel explique le drame. Styron enquête et débride la plaie. Dans son enfance, Mason a lynché un Noir. Le péché originel que les Américains fuient dans l’alcool et l’entreprise, c’est le racisme. Tout a commencé « en l’année 1619, quand le premier esclave noir fut débarqué en Caroline du Sud. Nous payons ce jour-là et nous continuerons à payer indéfiniment. » Chaque descendant doit vivre son chemin de croix, car le Christ n’est pas mort pour les négriers. Il faut que le héros soit la « proie des flammes » pour être sauvé. Le roman, exploitant l’angoisse séculaire et la lucidité psychanalytique, est une tentative de thérapeutique littéraire. Il s’agit, comme la tragédie grecque, de purger les passions américaines. Le héros de cette enquête socio-psychanalytique porte le nom symbolique de « Kinsolving » : celui qui résout les problèmes de sa race. Styron essaie de sortir le Sud de sa malédiction et de délivrer la conscience américaine du fantôme qui la hante. En ce sens, la Proie des flammes, perfection et dépassement du roman sudiste, est une « tragédie optimiste ».