Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

structuralisme (suite)

Le structuro-fonctionnalisme anglo-saxon, quelles que soient les critiques qu’on peut lui adresser, n’en a pas moins fait progresser l’anthropologie sur des plans différents et complémentaires : empirique en Grande-Bretagne, il a produit d’excellentes monographies ; méthodologique aux États-Unis, il a permis de poser les fondements d’une science des phénomènes socioculturels. Il appartenait au Français Lévi-Strauss d’opérer la synthèse de ces deux courants.


Le structuralisme de Lévi-Strauss

Lévi-Strauss*, s’inspirant des progrès de la linguistique structurale (notamment des travaux de F. de Saussure, de R. Jakobson et de N. Troubetskoï), des mathématiques et de la logique modernes, s’est attaché à faire du structuralisme une méthode aussi rigoureuse que celle des sciences exactes, choisissant pour objet d’étude la « pensée sauvage », telle qu’elle s’exprime dans les classifications totémiques, les relations de parenté, les rites et les mythes. Pour lui, le structuralisme ne peut être scientifique que s’il rompt avec le fonctionnalisme et renonce à l’explication causale ou finaliste comme à l’explication génétique ou historique. L’explication structurale se suffit à elle-même : elle consiste à remonter des phénomènes à leur structure cachée, par l’intermédiaire de modèles, permettant l’expérimentation, la prévision et la vérification.


Principaux concepts et principes

• Structure et modèle. Par structure, Lévi-Strauss désigne les rapports invariants (de corrélation ou d’opposition) qui rendent intelligible l’organisation du système et en expriment les propriétés essentielles. Cependant, « la notion de structure sociale ne se rapporte pas à la réalité empirique, mais aux modèles construits d’après celle-ci ». Elle n’est donc pas directement observable, tout en ayant « un fondement objectif en deçà de la conscience et de la pensée » : elle est le réel rendu intelligible par une organisation logique, qui ne fait que rendre manifeste l’ordre implicite qui le sous-tend. Lévi-Strauss s’oppose ainsi à la fois à l’empirisme anglo-saxon, qui fait de la structure une donnée observable, et à l’idéalisme formaliste, qui réduit la structure à un simple schéma conceptuel.

Le modèle est un système symbolique, construit d’après la réalité empirique, de façon à rendre compte de ses principaux aspects : c’est par son intermédiaire que l’on accède à la structure. Il peut prendre les formes les plus diverses, allant du modèle mathématique (c’est en général le cas des modèles utilisés dans les Structures élémentaires de la parenté) à un simple ensemble de propositions liées les unes aux autres par des symboles logico-mathématiques (la plupart des modèles utilisés dans l’analyse des mythes appartiennent à cette catégorie). Lévi-Strauss distingue les modèles conscients (qui correspondent aux interprétations et aux théories élaborées au sein d’une culture) des modèles inconscients (construits par le chercheur). L’ethnologue doit préférer ses propres modèles à ceux que lui propose la société qu’il étudie, qui ont pour fonction « de perpétuer les croyances et les usages, plutôt que d’en exposer les ressorts ».

Les modèles représentent le principal instrument d’investigation du structuralisme. C’est grâce à eux que celui-ci peut être une méthode expérimentale et scientifique.

• Le principe d’immanence. Il signifie que tout objet d’étude doit être considéré comme un système clos, qui porte en lui-même son intelligibilité, et peut être expliqué dans son état actuel en faisant abstraction des facteurs extérieurs, notamment des facteurs historiques ou géographiques. Dans les Mythologiques, cependant, Lévi-Strauss l’interprète de manière plus souple et plus nuancée qu’il ne l’avait fait auparavant, ayant fréquemment recours aux informations que peuvent lui fournir l’histoire et surtout l’ethnographie pour orienter, étayer ou confirmer son analyse des mythes.

• Priorité du tout sur les parties. Ce principe est inclus dans la définition même du système, comme ensemble significatif d’éléments interdépendants, qui, étant pris isolément, sont dénués de signification et n’en acquièrent qu’au niveau du tout.

Dans un tel système, par conséquent, les éléments composants ne peuvent avoir qu’une signification différentielle et contextuelle : pour comprendre leur sens, il est nécessaire de confronter les différents contextes dans lesquels ils figurent. Le contexte, pour Lévi-Strauss, non seulement désigne l’énoncé du discours, mais aussi inclut les différentes expressions culturelles de la société dont provient le système étudié.

D’autre part, le système et ses éléments ne deviennent intelligibles qu’envisagés dans leur ensemble. C’est ainsi que Lévi-Strauss a été amené à examiner plus de huit cents mythes sud- et nord-américains pour parvenir à en expliquer un seul, le sens d’un mythe (des termes, des séquences et des épisodes qui le constituent) étant accessible non pas au niveau du mythe lui-même, mais au niveau du système global auquel il appartient, qui doit être progressivement reconstitué : limité d’abord à un mythe et au groupe de ses variantes, il s’étend ensuite à d’autres groupes apparentés et finit par inclure de proche en proche tout le corpus mythique des Indiens d’Amérique.

Le structuralisme apparaît dès lors comme une méthode de connaissance relationnelle et différentielle fondée sur la comparaison : il est amené à privilégier la notion de rapport.

• Primauté des rapports sur les termes qu’ils unissent. Ce principe est la conséquence directe du principe de priorité du tout sur les parties.

L’analyse structurale implique une transcription des données empiriques en termes de rapports. Cette opération d’ordre logique s’effectue par un « appauvrissement sémantique ». Il s’agit d’abord d’isoler les éléments susceptibles de constituer des couples d’opposition, et pour cela d’en éliminer d’autres ; il s’agit ensuite de réduire le sens des termes ainsi isolés à la fonction qu’ils remplissent dans le système où ils figurent. L’exemple suivant permet d’éclairer les modalités d’une telle démarche. Les mythes américains mentionnent parfois des arbres, désignés comme « prunier » ou comme « pommier ». « Mais, affirme Lévi-Strauss, il serait également faux de croire que seul le concept « arbre » est important et ses réalisations concrètes arbitraires, ou encore qu’il existe une fonction dont un arbre soit régulièrement le « support ». L’inventaire des contextes révèle, en effet, que ce qui intéresse philosophiquement l’indigène dans le prunier, c’est sa fécondité, tandis que le pommier attire son attention par la puissance et la profondeur de ses racines. L’un introduit donc une fonction : « fécondité » positive, l’autre une fonction : « transition terre-ciel » négative, et tous deux sous le rapport de la végétation. » On définira ainsi progressivement un « univers du conte » analysable en paires d’oppositions, diversement combinées au sein de chaque personnage, lequel, loin de constituer une entité, est, à la manière du phonème, tel que le conçoit Roman Jakobson, un « faisceau d’éléments différentiels ».