Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Strindberg (August) (suite)

Bien différent, le drame intitulé la Danse de mort (1901) rejoint le théâtre naturaliste des années 80 et reprend le thème du vampirisme, mais avec un élément de mystère et de surnaturel. C’est la lutte éternelle du couple : le capitaine et Alice, après vingt-cinq ans de mariage, se trouvent attachés l’un à l’autre par la haine qui naît de l’amour, et seule la mort pourra défaire ces liens.

Trois drames sont publiés en 1902. La Mariée parée d’une couronne, avec pour décor la Dalécarlie, abonde de merveilleux ; la religiosité paysanne qui en émane va dans le sens de la pénitence acceptée et de la purification. Blanche-comme-cygne est une pièce à la gloire de l’amour : « au pays des rêves », l’amour d’un prince et d’une princesse triomphe de tous les obstacles. Cet optimisme reflète le bonheur des premiers mois du troisième mariage de Strindberg. Le Songe, enfin, est inspiré de la philosophie bouddhique ; le monde n’est qu’illusion et les souffrances sont libératrices, telle est la conception esquissée dans la pièce, qui ne comporte aucune intrigue, mais des épisodes se succédant comme dans un rêve, avec des personnages et un décor dépourvus de toute consistance. Le Songe est une pièce curieuse, sans doute la plus originale de toute l’œuvre de l’écrivain.

Dès 1899, Strindberg se met à composer, avec une fécondité étonnante, la série des drames historiques, dans lesquels la peinture des personnages et l’action sont peut-être plus vivantes que dans ses autres œuvres, la personne de l’auteur s’effaçant devant les héros qu’il fait revivre. Le premier drame, la Saga des Folkungs (1899), met en scène le roi Magnus, dernier de la dynastie des Folkungs, qui règne en Suède aux xiiie-xive s., et traite du problème du mal et de l’expiation. Le drame suivant, Gustave Vasa (1899), bâti autour d’un souverain qui sacrifie tout à la mission qu’il s’est donnée, s’achève sur l’ampleur de son succès ; Gustave Vasa a organisé l’État, fondé une dynastie et fait adopter la Réforme. Dans Erik XIV (1899) apparaît son fils, qui lui succède, mais qui, détrôné, finit ses jours en prison. Psychologie et politique alternent tout au long du drame. Avec Gustave Adolphe (1900), Strindberg retrace l’épopée de la guerre de Trente Ans et esquisse le destin tragique du roi, absorbé dans une tâche qui se définit au niveau de l’« histoire universelle ». Engelbrekt (1901) évoque la période de l’Union Scandinave, confirmée à Kalmar (1397), et montre un héros qui doit renoncer à un idéal sans, toutefois, en être récompensé. Dans Charles XII (1901), au contraire, les entreprises guerrières du héros menacent de ruiner le pays. La Reine Christine (1903) dépeint la femme trop intellectuelle et trop égoïste, qui se désintéresse de sa vraie mission de reine, et Gustave III (1903) est l’histoire du complot ourdi contre le despote éclairé. Pour le Rossignol de Wittenberg (1903), Strindberg s’inspire de la vie de Luther et s’efforce de dégager des faits et des existences individuelles une valeur universelle de symbole. Le Dernier Chevalier et l’Administrateur du royaume, écrits en 1908, ont pour cadre la période qui précède l’avènement de Gustave Vasa, tandis que le Jarl de Bjälbo (1909) se situe au début du règne des Folkungs.

Cependant, avec l’aide d’un jeune directeur audacieux, August Falck, Strindberg crée le Théâtre-Intime, dont la séance inaugurale a lieu le 26 novembre 1907. Son dessein est de transposer au théâtre les atouts de la musique de chambre (comme il l’explique dans le Mémoire aux membres du Théâtre-Intime de la part du régisseur, adressé aux acteurs en 1908). Devant un public limité, Strindberg veut un jeu de scène concis, dans un décor simplifié, où la valeur symbolique des objets a un caractère suggestif. Il écrit lui-même pour ce théâtre quatre « pièces intimes » qui ont en commun le thème de l’illusion, du mensonge qui entoure la réalité, du sommeil qui engourdit les sens. Dans Orage, le passé du héros, un vieillard solitaire, resurgit devant lui et menace son repos ; mais l’orage passe sans éclater. La Maison brûlée dévoile les secrets honteux qui, à la suite d’un incendie, ne peuvent plus rester dans l’ombre : la prétendue respectabilité n’était faite que de mensonges et de délits. La Sonate des spectres mêle à la réalité un monde fantastique ; l’intrigue a la consistance d’un cauchemar dans lequel les personnages sont mis à nu et leurs crimes révélés un à un jusqu’à épuisement. Cette pièce fascinante possède toutes les qualités de l’art dramatique, mais elle est pourtant loin des conventions habituelles. Le Pélican, enfin, est d’un pessimisme non moins violent ; l’auteur y reprend le thème de l’enfance malheureuse et celui de l’épouse et de la mère indigne.

Strindberg écrit encore deux légendes dramatiques : l’une, intitulée le Gant noir (1909), est un conte de Noël qui rappelle la manière de Dickens ; l’autre, les Babouches d’Abou Kassem (1908), emprunte des motifs orientaux aux Mille et Une Nuits. Son dernier drame, la Grand-Route (1909), se compose de tableaux dont chacun représente une halte au cours du voyage qu’entreprend le héros, le Chasseur, qui n’est autre que Strindberg, vieilli, indépendant, assailli par les souvenirs.

J. R.

 K. L. G. Lindblad, August Strindberg conteur (en suédois, Stockholm, 1924). / A. Jolivet, le Théâtre de Strindberg (Boivin, 1931). / V. Børge, la Femme dans la vie et l’œuvre de Strindberg (en danois, Copenhague, 1936). / M. Lamm, August Strindberg (en suédois, Stockholm, 1940-1942 ; 2 vol.). / M. Gravier, Strindberg et le théâtre moderne (I. A. C., Lyon, 1949). / E. Sprigge, The Strange Life of August Strindberg (New York et Londres, 1949). / G. Brandell, la Crise d’Inferno de Strindberg (en suédois, Stockholm, 1950). / H. Lindström, le Combat des cerveaux (en suédois, Uppsala, 1952). / C. R. Smedmark, Maître Olof et la chambre rouge (en suédois, Stockholm, 1952). / E. Poulenard, August Strindberg, romancier et nouvelliste (P. U. F., 1962). / G. Vogelweith, Psychothéâtre de Strindberg (Klincksieck, 1973).