Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Stresemann (Gustav) (suite)

Lorsque, l’Empire tombé, se dessine un grand parti démocratique, que Hjalmar Schacht (1877-1970), Alfred Weber (1868-1958), Theodor Wolf (1861-1943) voudraient élargir jusqu’à lui, Stresemann se dérobe et fonde (15 déc. 1918) le « parti populiste » (deutsche Volkspartei ou DVP), avec « Liberté et Patrie » pour devise ; ce parti de droite, cryptomonarchiste, refuse de ratifier Versailles. Toutefois, le député d’Osnabrück, chef d’une « fraction » de quelques dizaines de membres, manifeste une habileté, un jugement et une souplesse qui contrastent avec la lourdeur de sa silhouette autant qu’avec sa raideur de naguère. Il refuse toute filiation avec la droite des « nationaux allemands » et envisage un cartel gouvernemental avec les socialistes comme avec le centre (Zentrum) afin de résoudre le problème de l’Allemagne, qui n’est pas celui de son régime, mais celui de sa survie et de son redressement. En 1921 déjà, il se considère comme un candidat au poste de chancelier et prend même des contacts avec le représentant de la Grande-Bretagne en vue de fixer un programme facilitant, en l’allégeant, l’exécution du traité de Versailles, mais son parti ne l’appuie pas. En novembre 1922, au point le plus aigu de la crise franco-allemande, il envisage un « cabinet d’union » sous sa direction, avec Wilhelm Cuno (1876-1933), transféré de la chancellerie aux Affaires économiques, et des socialistes. Second échec, peut-être voulu par un Ebert resté méfiant et intimidé par un Cuno à réputation d’homme fort. Ces deux années, 1921 et 1922, ont été vraiment les années de maturation politique de Stresemann. L’étude des patriotes prussiens de l’époque napoléonienne lui a fait mieux admettre la nécessité de certains compromis vis-à-vis de la France et le danger d’une politique du pire.

C’est en pleine catastrophe que Stresemann accède à la chancellerie et aux Affaires étrangères (août 1923) : installés dans la Ruhr, « gage productif », depuis janvier, les Franco-Belges asphyxient l’économie allemande, et c’est tout le Reich qui se disloque : ruine de la monnaie, troubles sociaux, mouvements séparatistes. Constitué sur une base large — les socialistes déléguant Rudolf Hilferding (1877-1941) aux Finances —, le cabinet Stresemann entreprend une tâche impossible, guetté par le « Casque d’acier » (Stahlhelm) et par le général Hans von Seeckt (1866-1936) à droite, par les communistes et par les socialistes à gauche. Et néanmoins, « en cent jours » (il est chancelier du 13 août au 30 octobre, puis du 6 au 23 novembre), il étouffe les séparatismes, restaure l’ordre, prépare le miracle du « Rentenmark » (émis le 15 novembre) et surtout, décidant la fin de la résistance passive et de la bataille sans issue de la Ruhr, ouvre la porte à une réévaluation des obligations de l’Allemagne en matière de réparations. C’est le sauvetage de l’Allemagne en détresse, qui, à lui seul, « assure à Gustav Stresemann une place dans l’histoire de l’Allemagne et une position parmi les hommes d’État de l’Europe » (E. Eyck).

Pourtant, il ne s’agit là que d’une préface : le grand chapitre de Stresemann, c’est son ministère des Affaires étrangères, du 23 novembre 1923 à sa mort, le 3 octobre 1929.

Au départ, la préoccupation et l’objectif de Stresemann se résument dans une phrase passionnée : « La France ne veut pas l’or du Rhin, la France veut le Rhin lui-même », c’est-à-dire qu’elle cherche à maintenir et à accentuer sur les deux rives du grand fleuve l’empiétement de souveraineté que lui permet le traité de Versailles. Pour « faire lâcher prise à nos étrangleurs », comme il écrira au Kronprinz, Stresemann multiplie les initiatives, les unes de portée très générale (approbation du protocole de Genève sur l’arbitrage [sept. 1924]), les autres beaucoup plus diplomatiques (une négociation berlinoise avec lord d’Abernon (1857-1941) en vue de reconnaître le nouveau statu quo sur le Rhin, moyennant des atténuations sérieuses au régime de surveillance exercé par les Alliés [déc. 1924 - janv. 1925]). Finalement, il s’adresse directement à la France par le fameux mémorandum du 9 février 1925, offrant un pacte de garantie territoriale sur le Rhin qui lierait toutes les puissances intéressées dans un engagement de ne pas se faire la guerre. C’est reconnaître, cette fois volontairement, les changements territoriaux de Versailles auxquels la France tient le plus (Alsace et Lorraine) et, compte tenu du maintien de la démilitarisation de la zone rhénane, c’est apporter à une France consciente de son infériorité démographique et économique une garantie substantielle. Mais le projet suscite deux vagues symétriques d’opposition ou de contradiction. En France, Herriot* n’entend pas s’enfermer dans une négociation bilatérale et surtout il désire obtenir la reconnaissance par l’Allemagne de ses frontières de l’Est aussi, sans quoi l’équilibre et la paix de l’Europe pourraient être rapidement détruits. En Allemagne, les nationalistes ne veulent pas d’une évolution vers l’Occident, coupable d’abandonner l’Alsace-Lorraine et de sacrifier la politique amorcée en 1922 à Rapallo, cette entente avec l’U. R. S. S., l’autre paria international, qui peut permettre de faire front à des partenaires hostiles.

Stresemann s’est battu, sous le regard méfiant du vieux maréchal Hindenburg*, récemment élu à la présidence de la République. À la commission des Affaires étrangères du Reichstag, il a plaidé la nécessité de s’entendre « avec les pays détenteurs de capitaux » : le pacte avec la France facilitera les prêts américains. Au contraire, « tant que le bolchevisme règne là-bas, je n’attends pas beaucoup du côté russe ». Aux partenaires français, il oppose l’hostilité foncière du peuple allemand à tout engagement concernant les frontières de l’Est, qui ont séparé tant d’Allemands de la mère patrie ; il objecte aussi la garantie du statu quo que représente déjà pour la France son entente politique avec la Pologne et la Tchécoslovaquie, et aussi l’existence de la Petite-Entente. C’est la formule stresemannienne de « la question occidentale seule » qui l’emporte, à partir du moment où Briand*, successeur d’Herriot, l’accepte sur les instances de Londres. Ainsi se préparent la conférence et les accords de Locarno (oct. 1925). Succès allemand majeur, car les engagements souscrits par la France, la Belgique, l’Italie et la Grande-Bretagne interdisent pratiquement à l’avenir toute intervention militaire et politique des Français en Rhénanie, quelle que soit la plainte des créanciers.