Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Stein (Gertrude) (suite)

Née en Pennsylvanie d’une riche famille israélite d’origine autrichienne qui a gardé ses attaches européennes, elle passe ses premières années à Vienne et à Paris. Elle fait des études de philosophie au Radcliffe College de Cambridge (Massachusetts), en particulier aux cours de William James, puis elle commence des études de médecine, qu’elle abandonne. Elle se fixe à Paris en 1903 avec son frère Leo (1872-1947), amateur de peinture. Elle passe des après-midi rue Lafitte, chez Vollard, le marchand de tableaux, et lui achète un Cézanne, encore peu connu, sur lequel elle écrit le poème « Vollard and Cézanne ». Au premier Salon d’automne, elle acquiert, avec son frère, la Femme au chapeau de Matisse, que le public voulait lacérer. Elle se lie avec le peintre et lui permet de commencer la Joie de vivre, où il déforme les formes pour intensifier les couleurs, « comme, écrit-elle, on se sert en musique des dissonances et en cuisine du vinaigre ». Dès 1904, elle se lie avec Picasso, encore inconnu, qui fera son portrait deux ans plus tard. Elle pose pendant près de quatre-vingts séances. Ce portrait de Stein marque le tournant de l’œuvre de Picasso : le peintre passe des Arlequins à ce qu’Apollinaire appellera le « cubisme ». C’est chez G. Stein que Matisse et Picasso se rencontrent, découvrent l’« art nègre », puis se brouillent au sujet de Braque et de Derain. Le Douanier Rousseau, Juan Gris, Max Jacob et Cocteau se joignent souvent au groupe, et le salon du 27 rue de Fleurus devient l’un des centres de la vie artistique et littéraire de Paris.

G. Stein avait commencé par traduire Trois Contes de Flaubert, exercice qui lui inspire son premier livre publié, Three Lives (Trois Vies, 1909), trois nouvelles solides, qui racontent la vie d’une gouvernante, Anna, d’une domestique, Lena, et d’une métisse, Melanctha. Réalistes et poétiques, ces nouvelles peignent les caractères par le rythme de leur langage. Sherwood Andersen, Hemingway et Richard Wright reconnaîtront son influence. De 1906 à 1908, G. Stein compose la longue chronique de sa vie familiale, The Making of Americans (Américains d’Amérique), qui ne trouve éditeur qu’en 1925. S’inspirant de Picasso, elle tend à renoncer à la « représentation » pour utiliser les mots séparément de leur signification. En 1914, Tender Buttons : Object, Food, Rooms constitue une série de natures mortes littéraires cubistes.

Pendant la Première Guerre mondiale, G. Stein s’engage dans le corps des ambulances. En 1920, une nouvelle vague d’écrivains et d’artistes américains débarque chez elle. Ceux-ci la considèrent comme la patronne des « Expatriés ». G. Stein leur donne le nom de « Génération perdue ». À côté de Fitzgerald, d’Eliot, de Pound, il y a Hemingway, qu’elle décide à écrire et dont elle forme le style en litote.

Elle poursuit sa carrière littéraire avec Geography and Plays (1922), recueil expérimental, à la manière de Tender Buttons. En 1933, l’Autobiographie d’Alice B. Toklas remporte un gros succès aux État-Unis. G. Stein devient célèbre et fait une série de conférences. On publie ses manuscrits : Portraits and Prayers (1934), Narration (1935), où elle expose son « art poétique », The Geographical History of America (1936), où elle développe ses théories littéraires. Dans Everybody’s Autobiography (1937), G. Stein raconte sa tournée de conférences en Amérique en 1933. Mais elle reste attachée à la France, à son pittoresque, à sa liberté, comme elle dit dans Paris, France (1940). Pendant l’Occupation elle se retire à Bilignin, dans l’Ain. À la Libération, elle recueille de simples conversations avec des soldats américains (Brewsie and Willie, 1946). Elle y utilise la langue parlée. Ses livres sont de plus en plus des sténographies exemptes d’« arrangement ». G. Stein abuse un peu de la répétition. Il y a du procédé dans son refus des substantifs, des conjonctions, des adjectifs, voire de la ponctuation.

Ses techniques ont vieilli, mais G. Stein reste un pionnier, un animateur et un mémorialiste sans égal. Elle sait voir et écouter. Et elle veut faire avec les mots ce qu’ont fait Braque et Picasso avec la peinture. Elle écrit comme on parle. Comme les peintres ses amis supprimaient la perspective spatiale, elle supprime dans ses livres la perspective temporelle, pour choisir l’essentiel, le « premier plan » d’un présent continu : une sténographie de la réalité parlée opposée à tout académisme. Dans l’excès même de ses procédés de libération, G. Stein témoigne d’une époque lasse des conventions, avide de trouver des sources neuves d’expression. Personne ne fut mieux à la charnière de deux siècles, de deux continents et de deux arts.

J. C.

 D. Sutherland, Gertrude Stein, a Biography of her Work (New Haven, Connect., 1951, nouv. éd., 1972 ; trad. fr. Gertrude Stein, Gallimard, 1973). / E. Sprigge, Gertrude Stein (Londres, 1957). / J. M. Brinnin, The Third Rose : G. Stein and her World (Boston, 1959). / F. J. Hoffman, G. Stein (Minneapolis, 1961). / A. B. Toklas, What is remembered (New York, 1963). / R. Bridgman, G. Stein in Pieces (Fair Lawn, N. J., 1970).

Steinbeck (John)

Écrivain américain (Salinas, Californie, 1902 - New York 1968).


Le prix Nobel de littérature en 1962 et le succès de certains de ses livres, Des souris et des hommes, les Raisins de la colère, ont longtemps valu à Steinbeck une réputation égale à celle de Faulkner* et d’Hemingway*, ses contemporains, mais qui résiste mal au temps et à une analyse sérieuse. Steinbeck est probablement l’un des meilleurs romanciers régionalistes américains. C’est son principal, voire son unique mérite. Son histoire est un peu celle du paysan corrompu par la ville. Steinbeck le fruste, le romancier de l’élémentaire, de l’immanence absolue n’aurait jamais dû quitter son village qui l’inspire si bien. Il connaît parfaitement cette « grande vallée » de Salinas, en Californie, qui descend vers le Pacifique, à 200 km au sud de San Francisco, avec ses champs fertiles, ses immenses ranches et les pêcheurs mexicains de Monterey. C’est là qu’il est né, en 1902, d’une famille très simple d’origine irlandaise : père fonctionnaire, mère institutrice. C’est là qu’il a ses « racines », son « poney rouge » (ce sera le titre d’une nouvelle qui paraîtra en 1937), sa cabane en bois. Après de brèves études à l’université Stanford, près de San Francisco, c’est à Salinas qu’il tâte de tous les métiers : maçon, bûcheron, ouvrier agricole, comme les « paisanos » de Tortilla Flat et les fermiers de Pâturages du ciel. Le meilleur de son œuvre est là. Steinbeck n’est pas un grand visionnaire, ni un grand créateur comme Faulkner. C’est un peintre naïf. Le Yoknapatawpha est en Faulkner. Steinbeck, lui, est dans Salinas. Son génie simple, c’est de regarder, d’entendre, de sentir la terre, les hommes et les bêtes de Salinas, sans omettre un détail, pas même que les paysans n’y prononcent le « g » des participes présents qu’en fin de phrase. Si Steinbeck avait accepté la pente naturelle de son talent, ce serait une sorte de Giono de la Californie. Là, dans l’isolement, il écrit son premier livre, la Coupe d’or (Cup of Gold, 1929), où se devine déjà un romantisme facile. Il publie, en 1932, les Pâturages du ciel (The Pastures of Heaven), puis en 1933 À un dieu inconnu (To a God Unknown), un livre panthéiste, dont le lyrisme rappelle D. H. Lawrence.