Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sparte ou Lacédémone (suite)

Après Leuctres, Sparte connaît un déclin irrémédiable, qu’accentue encore la fondation de Mégalopolis, capable de lui disputer la prééminence dans le Péloponnèse. En 358 av. J.-C., Philippe II de Macédoine vient ravager la Laconie ; en 294 av. J.-C., c’est le tour de Démétrios Poliorcète, et, en 244 av. J.-C., celui des Étoliens, qui repartent en emmenant avec eux 5 000 prisonniers, qui deviendront esclaves.

Néanmoins, la cité est capable à l’occasion de belles réactions : en 272 av. J.-C., Pyrrhos*, tentant d’y pénétrer, est repoussé, et les femmes, elles-mêmes, retrouvant leur antique vertu, participent au combat. Les forces de renouvellement existent, dont les rois sont désormais dépositaires, car la fonction a, en effet, gagné en prestige dans le monde hellénistique.

Agis IV, à partir de 244 av. J.-C., tente d’user de son pouvoir pour réformer la cité. Il veut qu’elle revienne à l’ancienne tradition de Lycurgue ; il sait persuader sa mère et sa grand-mère d’abandonner leurs immenses richesses au profit de leurs concitoyens (un Spartiate mâle, en effet, ne pouvait, en principe, jouir du droit de propriété mobilière ; c’était donc les femmes qui recevaient l’administration de fortunes parfois considérables ainsi que le prestige et la puissance qui en découlaient), mais, s’il peut promettre l’abolition des dettes et entraîner ainsi dans une glorieuse expédition en Achaie une troupe enthousiaste de jeunes hoplites débarrassés du fardeau des hypothèques, il finit par se briser contre l’opposition des riches propriétaires fonciers, qui ne veulent à aucun prix de la réforme agraire dont il sent la nécessité. Il mourra assassiné (241 av. J.-C.).

Cléomène III reprend son héritage à partir de 237 av. J.-C. Jeune époux de la veuve d’Agis, Agiatis, il communie dans le culte des vertus de son prédécesseur. Par ailleurs, Sykairos, son maître, l’éduque dans les principes d’austère égalité qui sont le fond de la doctrine stoïcienne. Profitant de ses premiers succès militaires (en Arcadie contre les Achéens), Cléomène se débarrasse (avec l’appui du peuple réuni dans l’apella) des éphores, qui sont remplacés par un collège de patronomoi. Il lui est alors possible d’entreprendre une véritable réforme agraire ; il distribue 4 000 klêroi à autant de chefs de famille qui sont à même d’entrer (ou de rentrer) dans la cité, apportant le sang neuf qui sera sa puissance nouvelle. Il remet en usage le système de l’agôgê, rétablit les syssities. Ainsi peut-il emmener en campagne une troupe de 15 000 soldats animés de nouveau du désir de servir la cité, qui n’est plus l’esclave d’une déplorable ploutocratie. Les succès sont immédiats ; dans tout le Péloponnèse, le petit peuple est favorable à Cléomène, mais les riches bourgeois qui dominent la confédération achéenne voient avec terreur celle-ci se dissoudre ; en 225 av. J.-C., Argos passe à Lacédémone, puis c’est le tour de Corinthe. Cléomène, pourtant, ne sait pas répondre à cette sympathie ; nulle part, il ne promeut de réformes sociales ; nulle part, il n’abolit les dettes ; il ne veut pas que les villes, qui, depuis les origines de l’histoire grecque, ont été les rivales de Lacédémone, acquièrent, avec une nouvelle structure sociale, un surcroît de puissance. Dans le monde hellénistique, Cléomène III continue de raisonner en termes anciens, se contentant du pouvoir qu’il exerce sur sa cité et ne se souciant guère d’aménager un royaume aux dimensions de l’époque nouvelle. Ce sera sa perte ; Aratos saura (abandonnant la politique antimacédonienne à laquelle il a consacré sa vie) faire alliance avec Antigonos II Dôsôn, qui, en juillet 222 av. J.-C., écrase Cléomène à Sellasie. Ce dernier doit s’enfuir en Égypte, où il mourra obscurément ; la ville est prise sans coup férir, l’éphorat est rétabli, et le roi de Macédoine impose à la ville un épistate (gouverneur). Ce sera la fin de l’indépendance de Sparte.

Avant que Rome ne soit maîtresse de la Grèce, les tyrans, tel Nabis, mettent la cité en coupe réglée, puis Sparte sombre définitivement dans la médiocrité. Si l’essentiel des institutions pourra survivre, ce sera surtout l’aspect folklorique de la vie des citoyens qui intéressera les curieux : ainsi subsisteront des cérémonies aussi archaïques que les flagellations des jeunes gens sur l’autel d’Artémis Orthia, où chacun devait faire preuve de sa résistance physique (souvenir de l’agôgê et des rites qui accompagnaient le passage d’une classe d’âge à une autre). La cité ne sera plus guère que le conservatoire d’une vie que l’évolution avait voulu abandonner.

Sparte fut à l’origine de l’histoire grecque la plus accomplie des cités grecques ; les citoyens y oubliaient leurs intérêts et savaient abandonner toute volonté d’accomplissement personnel pour se consacrer au service de l’État et des lois. Mais les dés étaient, dès l’origine, pipés : certains des égaux surent profiter de la discipline de leurs concitoyens. La cité vint à se dissoudre dans les luttes civiles, la faiblesse de la démographie la contraignit à l’impuissance, et de nouveaux pouvoirs l’abolirent. Dans le cours du vie s. av. J.-C., ses maîtres avaient renoncé pour elle à la gloire de l’esprit et de l’art ; il lui resta d’être honorée par ceux qui crurent, ou voulurent faire croire, que le bonheur pouvait naître de la dissolution disciplinée de la personne au sein d’un groupe de camarades.

J. M. B.

➙ Grèce / Péloponnèse.

 F. Ollier, le Mirage spartiate (De Boccard, 1938, et Les Belles-Lettres, 1943 ; 2 vol.). / K. M. T. Chrimes, Ancient Sparta (Manchester, 1949). / H. Michell, Sparta (Cambridge, 1952 ; trad. fr. Sparte et les Spartiates. Histoire, constitution, Payot, 1953). / P. Roussel, Sparte (De Boccard, 1960). / V. Ehrenberg, From Solon to Socrates. Greek History and Civilisation during the 6th and 5th Centuries B. C. (Londres, 1968). / W. G. G. Forrest, A History of Sparta, 950-192 B. C. (Londres, 1968). / A. J. Toynbee, Some Problems of Greek History (Londres, 1969). / E. Rawson, The Spartan Tradition in European Thought (Oxford, 1969).