Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sparte ou Lacédémone (suite)

Ses ambitions mettent néanmoins du temps à se dessiner. Si le roi Cléomène veut entraîner la cité dans une politique antityrannique et mener des expéditions en dehors du Péloponnèse, notamment contre les Pisistratides à Athènes, ses échecs (contre Clisthène* notamment en 508-507 av. J.-C.) provoquent, avec un affermissement du pouvoir des éphores, un assouplissement de sa politique extra-péloponnésienne. Les guerres médiques* lui permettront, néanmoins, de se reprendre, non la première guerre, où, retardés par des scrupules religieux (ou bien une révolte des hilotes), ses soldats n’arrivent pas à temps pour participer à la victoire de Marathon, mais la seconde, où la ligue de Corinthe, en 481 av. J.-C., lui donne sur terre et sur mer l’hégémonie (malgré la puissance de la flotte athénienne) ; la glorieuse défaite des Thermopyles, où les 400 hoplites de Léonidas meurent « pour obéir aux lois », l’esprit de sacrifice dont furent animés les soldats spartiates à la victoire de Platées (479 av. J.-C.) et le succès de leur combat feront oublier que la victoire de Salamine était avant tout l’œuvre de Thémistocle et de la flotte athénienne.

Il faut toute la maladresse de Pausanias pour que Lacédémone perde le fruit de ses sacrifices. Chargé de continuer après Platées la contre-offensive contre les Perses, Pausanias s’aliène les Grecs par son arrogance (ne se fait-il pas appeler Pausanias « chef de la vaste Hellade » ?) et par ses insuffisances, et se perd par ses intrigues avec Xerxès, à qui on peut croire qu’il va se rendre. Il est rappelé pour être jugé ; la cité n’a plus de vrais chefs, et ses pertes en hommes ont été terribles ; de nouveau, les éphores imposent le repli sur le Péloponnèse. Durant près de vingt ans, Athènes pourra, sans être inquiétée, constituer son empire ; puis l’heure sonnera de l’affrontement décisif.

En 464 av. J.-C., un terrible tremblement de terre ravage la Laconie : 20 000 personnes périssent ; le roi Archidamas fait sonner le rassemblement, et les hilotes, accourus à la curée de la ville, trouvent l’armée rangée en ordre de bataille. Néanmoins, la révolte se développe ; regroupés autour du mont Ithôme, les hilotes paraissaient invincibles. Sparte vient supplier les Athéniens, connus pour leur talent en poliéorcétique, de venir à son secours. Cimon* use son prestige à expliquer « qu’il ne faut pas que la Grèce soit boiteuse, qu’Athènes soit seule attachée au timon de la Grèce » ; un contingent de 6 000 hoplites est envoyé en Messénie. Le siège de la forteresse de l’Ithôme traînant en longueur, des frictions se font jour entre les alliés : en 462 av. J.-C., les Lacédémoniens renvoient le contingent athénien, camouflet que le nouveau gouvernement démocratique d’Athènes ne pardonnera pas.

Le conflit ouvert commence dès 457 av. J.-C. ; il sera coupé de trêves qui permettront aux adversaires de reprendre souffle et durera jusqu’en 405 av. J.-C. Athènes a besoin, pour soutenir le développement de la démocratie, d’accroître son empire ; il lui faut donc tenter d’imposer son hégémonie même aux alliés de Sparte, ce qui provoque la guerre dite « du Péloponnèse ». Périclès* croit la victoire à sa portée : dans un discours à l’Assemblée en 431 av. J.-C., il souligne que les Péloponnésiens ne seront jamais capables de résister à cause de la faiblesse de leurs finances, des insuffisances de la ligue Péloponnésienne et de la puissance de l’empire d’Athènes.

« Quant aux conditions de la guerre et aux ressources des deux partis, nous ne serons pas les moins forts [...]. Les Péloponnésiens, en effet, travaillent eux-mêmes la terre et n’ont de fortune ni individuelle ni collective ; avec cela, ils ne connaissent pas les guerres qui durent et se passent outre-mer, car la pauvreté ne leur permet que de brèves actions les opposant entre eux [...]. S’il ne s’agit que d’un seul combat, les Péloponnésiens et leurs alliés peuvent tenir bon contre tous les Grecs ; mais, s’il s’agit de mener une guerre contre une puissance militaire différente de la leur, ils ne le peuvent pas, dès lors qu’ils ne pratiqueront pas, sous une direction unique, une action immédiate un peu vive, capable d’aboutir, et que, ayant tous un égal droit de vote, sans être de même race, ils n’auront chacun à cœur que leur point de vue personnel [...]. D’autre part, et c’est l’essentiel, l’insuffisance de leurs ressources financières les paralysera, dès lors que les délais employés à les procurer créeront des atermoiements : à la guerre, l’occasion n’attend pas. » (Thucydide, la Guerre du Péloponnèse.)

Ce que Périclès considère comme la faiblesse de Sparte — l’autonomie des alliés de la ligue Péloponnésienne — se révélera être son principal atout. L’empire d’Athènes, en effet, prive, au seul profit du peuple d’Athènes, trop de cités de leur liberté pour qu’elles ne soient pas attirées par l’hégémonie spartiate. Plus difficile sera pour les Lacédémoniens de tenir au cours d’un conflit de longue haleine ; il faudra engager dans l’armée de plus en plus d’hilotes pour nourrir les expéditions, quitte à les mettre tous à mort quand la victoire pourrait leur donner l’idée qu’ils ont droit à quelque reconnaissance. Certaines défaites témoignent de l’affaiblissement du corps civique : ainsi, Lacédémone manque de signer la paix en 425 av. J.-C., quand, dans l’îlot de Sphactérie, ont été faits prisonniers 120 égaux après une défense héroïque. C’est en élargissant le conflit que Sparte l’emporte : Lysandre fait alliance avec la Perse ; abandonnant les droits historiques des Grecs à l’autonomie complète, il livre ceux-ci au pouvoir des Barbares, mais peut surprendre à la fin d’août 405 av. J.-C. la flotte athénienne au mouillage près d’Aigos-Potamos et la détruit.

Athènes ne réussit pas à sauvegarder alors sa liberté et capitule en 404 av. J.-C. Sparte devient la maîtresse incontestable du monde grec.

Les Spartiates à la bataille de Platées (479 av. J.-C.)