Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Songhaïs ou Songhays (suite)

L’histoire des Songhaïs

L’installation du peuple songhaï sur les rives du Niger est très ancienne, antérieure au viie s. On a longtemps supposé que son expansion s’était faite d’aval vers l’amont, des groupes de pêcheurs et de chasseurs remontant le fleuve, suivis par les agriculteurs, jusqu’au moment où ils rencontrèrent dans le Macina les avant-gardes du monde mandingue (pêcheurs bozos). On pense actuellement que les petites langues de l’Aïr témoignent d’une vaste expansion ancienne de la famille songhaï, qui aurait occupé le Sahara central, alors plus humide, et la zone soudanaise voisine. La partie saharienne aurait été berbérisée durant le haut Moyen Âge, quand le chameau permit aux nomades de s’étendre vers le sud. Le développement historique des Songhaïs s’est donc limité à la zone soudanaise.

La dynastie des Dias (Zas), que des traditions ultérieures présenteront comme d’origine yéménite, paraît avoir fondé le premier royaume autour de l’île de Koukia (Bentia) dès la fin du viie s. C’est cependant Gao, plus en amont, débouché privilégié d’une des principales routes transsahariennes, celle de Tunis et Tripoli, qui allait devenir la capitale définitive, peut-être dès la fin du ixe s., et incarner l’État songhaï.

Celui-ci se développe grâce au commerce avec le Maghreb, animé par les musulmans, et sa dynastie se convertit à l’islām au début du xie s. Bien que les masses soient restées animistes fort longtemps, et même jusqu’à nos jours, les Songhaïs comme les Sonimkés et plus tard les Malinkés s’emploient dès lors à construire la civilisation soudanaise, dont l’islām est une partie intégrante et qui participe aux échanges du monde musulman.

Des recherches récentes paraissent démontrer que le royaume musulman de Gao, qui est resté extérieur à l’empire du Ghāna, s’est trouvé soumis à l’empire du Mali vers 1250-1275, puis vers 1290-1400, voire un peu plus tard. Pendant la seconde période, les rois des Songhaïs appartenaient à la dynastie des Sonnis (ou Chis), qui ne serait d’ailleurs qu’un rejet des Dias, peut-être favorisé par les empereurs du Mali. L’influence malinkée est alors très grande sur les institutions et la société, mais il semble que la capitale ait été un moment déplacée à Koukia, moins à portée des suzerains malinkés.

Profitant du déplacement des routes transsahariennes vers l’est, le Songhaï se libère du Mali au début du xve s. et lui porte de tels coups qu’il le supplante dans l’hégémonie du Soudan nigérien et le contrôle des routes transsahariennes. Cette expansion culmine avec la prise, en 1476, de la métropole commerciale de Djenné, sous le grand conquérant qu’est Sonni Ali (1464-1492).

L’acculturation de la société a cependant créé des déséquilibres, et le parti musulman prend le pouvoir, à la suite d’un coup d’État, en la personne d’un soldat, peut-être d’origine toucouleur, l’Askia Mohammed, qui inaugure une nouvelle dynastie. Sous les Askias, l’État songhaï, soutenu par une armée puissante, atteint un haut niveau de complexité administrative et de diversification sociale. La culture écrite de l’islām triomphe dans les villes, notamment la métropole de Tombouctou, qui est le centre du commerce et de la religion avec les écoles fameuses de la mosquée de Sankoré, tandis que Goa a un caractère politique et militaire. Cependant, les contradictions entre l’État animiste et la culture islamique, entre le paysannat et les citadins commerçants expliquent une grande instabilité et de continuelles guerres civiles. Celles-ci commencent avec la destitution de Mohammed en 1528.

Le contrôle des salines du Sahara oppose les Askias à la dynastie chérifienne des Sa‘diens, qui anime la renaissance du Maroc. Ceux-ci sont en outre attirés par le mythe de l’or soudanais. C’est ainsi qu’en 1591 une armée, formée en partie de renégats espagnols, traverse le Sahara et, grâce à la supériorité de ses armes à feu, écrase l’Askia Issihak II à la bataille de Tondibi (12 avr. 1591).

Les Askias se retirent alors vers le sud-est, dans le Dendi, où le vieil empire opposera une résistance invincible aux Marocains avant de se morceler en petits États vers 1660. Le Songhaï du Nord, du Macina à Goa, constitue désormais un pachalik marocain dont la capitale est à présent à Tombouctou. Cet État colonial tombe bientôt entre les mains des Armas, métis des soldats marocains et des femmes indigènes. Si la fiction de la souveraineté marocaine dure jusqu’au début du xixe s., le pachalik est en fait indépendant depuis la fin du xviie s. Bien que ce soit une époque de décadence politique, c’est alors que sont rédigées les plus grandes œuvres de la littérature arabe du Soudan nigérien. Au début du xviiie s., le pachalik tombe pratiquement entre les mains des Touaregs, tandis que la tribu maraboutique maure des Kountas étend son influence sur la région de Tombouctou. À partir de 1826, cette ville est annexée à l’empire peul du Macina, que les Toucouleurs détruiront en 1863, et elle retombera ensuite aux mains des Touaregs jusqu’à l’occupation française de 1893. Cette période est extrêmement dure pour les Songhaïs, paysans ou pêcheurs, dont le nombre a beaucoup diminué.

Après la dislocation de l’empire dans le Sud, les petits États du Dendi tombent peu à peu sous l’autorité des Touaregs et des Peuls, à l’exception des Zarmas, qui maintiennent une indépendance farouche grâce à leurs qualités martiales. Toute la région est intégrée un moment, à partir de 1815, à l’empire peul de Sokoto, fondé par le célèbre religieux Ousmane dan Fodio. Cependant, en 1854, les Zarmas se révolteront et ne seront plus jamais soumis. Commerçants et soldats d’aventure, ils vont parcourir et ravager la boucle du Niger et le nord du Dahomey jusqu’à la fin du siècle.

Située au carrefour de la « Course du Clocher », toute la région tombera entre les mains des puissances européennes entre 1895 et 1898, sans incidents graves.

L’ensemble songhaï fut rattaché au domaine des Français, qui le partagèrent entre trois colonies. Éloigné de la côte dans un pays assez pauvre, son évolution économique et sociale a été assez lente. Comme commerçants, les Songhaïs ont su montrer de grandes qualités d’adaptation, mais ils ont aussi émigré en grand nombre vers les villes du golfe de Guinée, où ils ont fourni la main-d’œuvre non spécialisée. Après l’indépendance, ils n’ont joué qu’un rôle assez secondaire au Mali et au Dahomey, où ils sont marginaux. Par contre, ils ont occupé d’emblée une place majeure dans la politique du Niger, où leur nombre est cependant très inférieur à celui des Haoussas, mais dont la capitale, Niamey, s’élève dans leur territoire.

Y. P.

➙ Afrique noire / Niger.

 J. Rouch, les Songhay (P. U. F., 1954) ; la Religion et la magie songhay (P. U. F., 1960).