Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sociolinguistique (suite)

Concepts de la sociolinguistique

Les principaux concepts de la sociolinguistique sont ceux d’individuation, de covariance et de contraste. L’individuation implique une création, dans les éléments de langue utilisés, de formes, de combinaisons ou d’emplois nouveaux. Elle relève donc des phénomènes d’innovation par lesquels on introduit des unités lexicales ou grammaticales à l’intérieur de la phrase ou du discours. Le changement peut être un changement par rapport à une forme antérieure du discours de la même personne ou par rapport à d’autres personnes. Et l’innovation peut être délibérée, simplement constatée ou inconsciente. L’individuation se manifeste, notamment, par les marques de rejet : par son discours, celui qui parle indique que les mots qu’il emploie entrent ou n’entrent pas normalement dans le discours, qu’ils sont assumés ou non assumés, rejetés ou présentés comme particuliers au discours d’autres groupes.

Le concept de covariance n’a pas dans la pratique des chercheurs français, notamment dans le domaine de l’étude du discours politique, la même signification que dans l’école sociolinguistique américaine. Dans cette dernière et chez les chercheurs français qui s’en inspirent, on a pensé que la variation liée de la langue et de la société pouvait être étudiée point par point, coup par coup. Dans l’école française proprement dite, au contraire, « la covariance est l’hypothèse que les phénomènes linguistiques sont liés aux facteurs historiques selon le principe d’une correspondance générale. Aussi replacera-t-on le champ considéré dans l’histoire » (Jean Dubois). Cette perspective implique ainsi l’unité des contraires que sont les faits sociaux non linguistiques et les faits sociaux linguistiques.

La méthode contrastive peut s’appliquer à tous les éléments de la langue ou du discours. Théoriquement la comparaison peut se faire entre le système propre à un groupe et le système standard. Cependant, il n’existe pas de français technique qui ne soit d’une certaine manière un français propre à un groupe. Il n’existe pas non plus de vocabulaire politique d’une langue dont tous les éléments soient communs. En conséquence, le contraste doit plutôt être étudié par comparaison entre deux ou plusieurs séries de textes ou de discours : ceux du même groupe à deux époques différentes de son existence, ceux de deux ou plusieurs groupes différents.


Quelques orientations actuelles en sociolinguistique

Moins ambitieuses que les réflexions anciennes, les recherches actuelles portent sur des points précis. Tous les éléments et tous les domaines linguistiques peuvent être pris comme objets : la sociolinguistique de l’Américain William Labov porte sur les réalisations phonétiques et leurs différenciations sociales ; ainsi, une enquête faite à New York sur les différences de prononciation de l’anglais américain d’un magasin à un autre, d’un vendeur à un autre a fait ressortir les corrélations existant entre certaines couches sociales, la représentation idéologique qu’un groupe se fait de la place qu’il occupe dans la société, et la manière dont on prononce — ou ne prononce pas — tel ou tel phonème selon que l’on est de tel ou tel groupe. En France, les travaux sociolinguistiques ont porté beaucoup plus sur le lexique ou sur la combinaison des mots en phrases (analyse de discours). Cette situation s’explique par la tradition française, surtout lexicologique. Le premier travail sociolinguistique pertinent est l’étude de Paul Lafargue sur le vocabulaire de la Révolution française, qui date de la fin du siècle dernier : c’est dire qu’en France la pratique sociolinguistique a précédé la naissance du mot qui l’a désignée. Depuis, les principales études ont montré en quoi la langue était le reflet de l’histoire, que ce soit dans le domaine du lexique politique (Jean Dubois, Jean-Baptiste Marcellesi) ou du vocabulaire des techniques nouvelles (Louis Guilbert). D’autres travaux, liés à la pédagogie du français, ont fait ressortir quelle idée, dans un milieu donné, on se fait de la langue parlée et de la langue à enseigner.

Moins en avance du point de vue de la rigueur, certaines études d’analyse de discours mettent en rapport l’idéologie d’un groupe et le discours qu’il tient. Ces recherches ont pour but de dépasser les insuffisances de l’analyse* de contenu, qui est très intuitive. Les insuffisances (du moins au stade actuel) de la sémantique ont empêché jusqu’ici la constitution de l’analyse de contenu en discipline de statut scientifique.

La sociolinguistique peut donc être caractérisée comme un développement nécessaire, inévitable de la linguistique proprement dite. Il lui reste à atteindre dans toutes ses sous-disciplines le degré de rigueur de cette dernière.

J.-B. M.

 J. Dubois, le Vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872 (Larousse, 1963). / L. Guilbert, la Formation du vocabulaire de l’aviation (Larousse, 1965) ; le Vocabulaire de l’astronautique (Université de Rouen, 1967). / W. Labov, The Social Stratification of English in New York City (Washington, 1966). / J. A. Fishman (sous la dir. de), Readings in the Sociology of Language (La Haye, 1968) ; Advances in the Sociology of Language (La Haye, 1971). / J. A. Fishman, Sociolinguistics : a Brief Introduction (Rowley, Mass., 1971 ; trad. fr. Sociolinguistique, Labor, Bruxelles et Nathan, 1971). / J.-B. Marcellesi, le Congrès de Tours, études sociolinguistiques (Éd. du Pavillon, 1971). / L. Guespin, J.-B. Marcellesi, D. Maldidier et D. Slatka, le Discours politique, numéro spécial de Langages (Larousse, 1971). / F. Marchand, le Français tel qu’on l’enseigne à l’école élémentaire (Larousse, 1971). / J.-B. Marcellesi et B. Gardin, Introduction à la sociolinguistique : la linguistique sociale (Larousse, 1974).

sociologie

Baptisée en 1836 par Auguste Comte*, renouvelée aujourd’hui par l’introduction des sondages* et des modèles* mathématiques, la sociologie tente de mettre au jour, par la compréhension ou l’explication, les diverses interactions qui président à la conservation et au changement des sociétés*.