Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

social-démocratie (suite)

Bernstein critique donc sévèrement l’orthodoxie marxiste, incapable, selon lui, de résoudre le problème de la société allemande. Les positions marxistes sur la lutte des classes sont insuffisantes, car Marx et Engels ont négligé le renforcement des classes moyennes. Le socialisme n’est plus dominé par la lutte des classes, mais il est une confiante aspiration au progrès. « La démocratie, dira-t-il, est un moyen et un but. Elle est le moyen pour réaliser le socialisme. » Comme les lassalliens, Bernstein attache une grande importance à l’État, qui doit jouer un rôle essentiel dans l’organisation de la production.

Il rejoint d’ailleurs partiellement au moins la pensée d’Engels, qui estime que les socialistes n’ont pas intérêt à se laisser entraîner dans une bataille de rue et pense que, dans une nation à niveau élevé, l’invocation de la révolution est une phrase vide de sens.

Karl Kautsky, soutenu par la majorité du parti, rappelle Bernstein à l’ordre et montre le caractère scientifique et toujours valable du marxisme. Il précise que celui-ci n’est pas la révolution, mais la science du développement de la société. Selon lui, afin d’éviter le chaos, le prolétariat utilisera toutes les ressources offertes pour obliger l’adversaire à reculer et organiser la révolution.

Le conflit entre les deux tendances se développe autour de deux journaux (Die neue Zeit, organe de Kautsky, et Sozialistische Monatshefte). La SPD semble soutenir Kautsky, mais en fait les socialistes et les syndicalistes allemands sont profondément marqués par la pensée de Bernstein et, rejetant, lors du congrès de Mannheim, l’idée de la grève révolutionnaire (1906), ils conduisent le parti dans la voie du socialisme d’État ; ils approuvent l’ouverture de la SPD vers une partie des classes moyennes, qui lui apportent une influence certaine dans la vie politique allemande ; ils soutiennent peu ou prou l’expansionnisme national et colonial et, justifiant les craintes que Charles Andler (1866-1933) émet vers 1912, ils seront en 1914 favorables à la guerre.

En 1916, la SPD connaît une scission. Karl Liebknecht*, le fils de Wilhelm et Rosa Luxemburg* créent, en 1917, la SPD indépendante (Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands ou USPD), qui sera en 1919 à l’origine de la fondation du parti communiste allemand (Kommunistische Partei Deutschlands, ou KPD).

La défaite de 1918 est un grand moment dans l’histoire de la social-démocratie allemande, qui prend le pouvoir. Elle va promouvoir alors la démocratisation des institutions politiques et socio-économiques du Reich. Elle veut empêcher la révolution sociale par le suffrage universel et par les réformes. C’est ainsi qu’elle fait organiser des communautés de travail, accordant pleine liberté aux syndicats, mettant en œuvre la journée de huit heures. Mais les membres du Spartakusbund de Liebknecht et Luxemburg se refusent à ce réformisme. Aussi Gustav Noske (1868-1946) réprimera-t-il avec brutalité dans le cadre de l’alliance entre l’armée et la SPD les mouvements que les spartakistes suscitent en liaison avec les conseils de soldats et d’ouvriers.

La SPD avait animé nombre de gouvernements de la république de Weimar* avec les libéraux et le Zentrum. Elle défend peu à peu une nouvelle théorie, celle du « capitalisme organisé », qui est défendue par Rudolf Hilferding (1877-1941) et qui est adoptée par le congrès de Kiel en 1927. Mais le parti socialiste ne parvient pas à remonter la défaveur que lui ont value la participation à des gouvernements impopulaires et son accord à la politique qui a conduit au traité de Versailles. S’appuyant sur les syndicats, sur de nombreuses coopératives, sur les organisations d’anciens combattants (Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold), la SPD joue un rôle non négligeable dans la vie allemande, même si, après la mort de Friedrich Ebert (1871-1925), elle ne participe plus au gouvernement de 1925 à 1928. Lors des élections de 1928, elle remporte un grand succès électoral et elle est l’axe du gouvernement de coalition du chancellier socialiste Hermann Müller (1876-1931), mais les pacifistes et les syndicats s’opposent à la politique de ce dernier, qui, décontenancé par la crise de 1929, est incapable d’apporter une solution. La SPD se réfugie à partir de 1930 dans une attitude de repli et elle ne saura pas empêcher la montée du nazisme.

Le parti refusera la confiance à Hitler et sera dissous en juin 1933. Nombre de ses chefs se réfugient alors à l’étranger, soit en Europe occidentale (à Prague, en France et en Grande-Bretagne), soit en U. R. S. S. ; certains restent en Allemagne et seront persécutés, comme Kurt Schumacher (1895-1952).

Après la guerre, le parti socialiste renaît dans les différentes zones, mais très vite, en zone soviétique, il constitue avec les communistes un parti socialiste unifié (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, ou SED), dans lequel les communistes se tailleront la part du lion (avr. 1946).

Dans les zones occidentales, après la rupture de 1946, la SPD se reconstitue sous la direction de Kurt Schumacher et devient un parti important défendant de nouveau certaines thèses marxistes (nationalisation des moyens de production) et en même temps nationalistes (Adenauer sera appelé par eux le « chancelier des Alliés ») et antieuropéennes. Mais cette politique conduit le parti à perdre peu à peu de son audience nationale. Aussi commence-t-il à réagir et, en novembre 1959, la SPD adopte à Bad Godesberg un programme franchement réformiste, rejetant la notion de parti de classe pour se proclamer parti du peuple, affirmant l’importance du christianisme dans le développement de la pensée occidentale, rejetant nationalisation et étatisation, prônant, comme la CDU (Christlich-Demokratische Union), l’économie sociale de marché. Ce programme a un très grand retentissement en Europe centrale et septentrionale. Il permet une remontée rapide des socialistes, qui n’apparaissent plus comme des révolutionnaires et qui attirent à eux une partie de la classe moyenne. Les socialistes profitent aussi de l’usure au pouvoir de la CDU et surtout du dynamisme de leur nouveau chef, Willy Brandt*, bourgmestre de Berlin-Ouest avant de devenir vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères du gouvernement de grande coalition de décembre 1966, puis chancelier de 1969 à 1974.