Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Slovaquie (suite)

Ainsi se trouvent unis deux peuples séparés par l’histoire depuis le xe s. Il y a un profond déséquilibre économique entre les pays tchèques industrialisés (35 p. 100 de population active agricole, 40 p. 100 d’ouvriers d’industrie) et la Slovaquie agricole (60 p. 100 d’agriculteurs, 19 p. 100 d’ouvriers). À cela s’ajoute une totale incompréhension psychologique. Les Tchèques imposent le « tchécoslovaquisme », l’idée d’une nation unique et centralisée dirigée de Prague. Le tchèque est la seule langue d’État. De 1918 à 1920, 70 000 Tchèques ont été envoyés en Slovaquie pour y servir comme militaires et comme employés des services publics. Ils sont 120 000 en 1930. La part des Slovaques est très faible dans la haute administration, et l’intelligentsia slovaque se sent défavorisée.

Dans la vie politique slovaque, on trouve d’abord les centralistes, partisans du gouvernement de Prague. Leurs chefs sont Vavro Šrobár (parti national slovaque et agrarien), qui dissout le Conseil national slovaque dès janvier 1919, et le social-démocrate Ivan Dérer. Les centralistes se recrutent surtout dans la minorité luthérienne, qui représente à peine 20 p. 100 de la population : d’où un sentiment de frustration de la majorité catholique.

Le parti populiste (Lúdová strana) de l’abbé Hlinka se réorganise en décembre 1918. Sa direction idéologique est entre les mains d’intellectuels hostiles aux Tchèques, soupçonnés par leurs adversaires d’être des Magyarons, de tendance probourgeoise. Le programme officiel du parti, présenté dans le mémorandum de Vojtech Tuka (1880-1946) en janvier 1922, réclame l’autonomie au nom des accords de Pittsburgh. De 1920 à 1935, le parti obtient environ 32 p. 100 des voix aux élections, plus que le parti national de Šrobár. En automne 1925, après un succès électoral, il entre dans le gouvernement de l’agrarien tchèque Antonín Švehla (1873-1933) avec deux ministres ; il se montre loyaliste en 1927 lors des revendications irrédentistes de la Hongrie. Mais Tuka est condamné le 5 octobre 1929 à quinze ans de prison pour avoir réclamé l’indépendance de la Slovaquie. En protestation, le 8 octobre 1929, le parti populiste se retire de la coalition et fait échouer le projet de formation d’un vaste bloc catholique, ce qui lui vaut l’hostilité du Vatican.

Les années 1930 accentuent les désaccords. Dès 1920, l’industrie slovaque avait reculé devant la concurrence tchèque, et le quart des usines avait dû fermer. La crise économique provoque la mévente des produits agricoles : de 1931 à 1936, la vente des produits agricoles baisse de 70 p. 100. Il y a 300 000 chômeurs recensés, mais surtout une forte surpopulation agricole. Après 1935, l’industrialisation reprend grâce à l’évacuation en Slovaquie des industries de guerre. Mais, en 1937, la Slovaquie compte seulement 15 p. 100 d’ouvriers de plus qu’en 1914.

Le mécontentement économique se marque sur le plan politique. Le parti communiste recrute surtout ses adhérents parmi les travailleurs agricoles et dans les minorités hongroise et ruthène. Il ne contrôle que de 6 à 10 p. 100 des électeurs dans les régions purement slovaques. Une nouvelle génération de jeunes intellectuels anime après 1924 la revue Dav, avec Vladimir Clementis (1902-1952), mais elle se montre hostile à l’indépendance, qui livrerait la Slovaquie à la réaction. Le parti communiste élabore en 1937 à Banská Bystrica un programme de réformes économiques pour la Slovaquie, mais ne rencontre guère d’audience.

Le mécontentement joue en faveur de l’autonomisme. Un bloc autonomiste réunit les populistes et le parti national slovaque du pasteur M. Rázus. Le 13 août 1938, les autonomistes troublent des cérémonies officielles organisées à Nitra pour le onzième centenaire de la christianisation de la Slovaquie. Une trêve semble intervenir en 1935 lors de l’élection de Beneš à la présidence de la République. Un agrarien slovaque, Milan Hodža, occupera jusqu’aux accords de Munich (1938) la présidence du Conseil.

Mais, dans le parti populiste, la nouvelle génération est plus nationaliste que cléricale. Avec K. Sidor, certains recherchent l’appui financier et politique de la Pologne de Józef Beck. En 1936, les jeunes, enthousiastes des régimes autoritaires, écartent les motions des prélats modérés (Mgr Tiso). Ils sont prêts à former, avec les Sudètes de Konrad Henlein (1898-1945), un front uni des minorités contre le gouvernement de Prague. Après la mort de l’abbé Hlinka en août 1938, la direction du parti passe à Mgr Tiso. Le 22 septembre 1938, le projet d’autonomie proposé par Beneš renforce les modérés.


L’État slovaque (1939-1944)

Après les accords de Munich, le parti populiste réclame les 5 et 6 octobre 1938, à Žilina, un projet plus avancé. Le gouvernement tchèque cède le 7 octobre, et Mgr Tiso préside le premier gouvernement slovaque autonome. Mais la Hongrie menace l’intégrité nationale slovaque. Le 2 novembre 1938, par l’arbitrage de Vienne, elle annexe Komárno à l’ouest, et Košice à l’est. Le 8 novembre se forme un parti unique, le parti de l’unité nationale slovaque, qui, aux élections de décembre 1938, a 97,5 p. 100 des voix.

Le gouvernement de Prague tente de réagir. Les 9 et 10 mars 1939, il chasse le gouvernement Tiso pour le remplacer par un gouvernement Sidor, plus modéré. Mais Hitler intervient : le 13 mars, il convoque Tiso à Berlin et lance un ultimatum. La Slovaquie devra se déclarer indépendante avant le 14 mars à midi, sinon elle sera annexée à la Hongrie. Ainsi, la Slovaquie devient, par un diktat hitlérien, un État indépendant. Cette indépendance est toute théorique, car un accord du 23 mars 1939 fait passer l’État slovaque nouvellement créé sous protectorat allemand.

L’État slovaque est plus autoritaire, clérical et traditionaliste que fasciste. Son aile fascisante, l’organisation paramilitaire qui porte le nom de garde de Hlinka, est tenue à l’écart du pouvoir.

Au début, le nouveau régime trouve un écho favorable dans l’opinion. Les fonctionnaires tchèques sont expulsés, la slovaquisation de l’administration permet de distribuer des places ; l’aryanisation des biens appartenant à la communauté juive (136 000 en 1930) donne aux Slovaques le contrôle du commerce et des affaires. L’Étal slovaque profite à ses débuts d’une prospérité économique inattendue. Pays en paix dans une Europe en guerre, il peut exporter à haut prix ses produits agricoles et ses matières premières. L’industrie se développe, et les travailleurs slovaques vont travailler dans le Reich. Le chômage disparaît. Le régime n’est pas brutal : il n’y a pas de terreur et on ne connaît aucune exécution d’opposants avant août 1944. Seule la minorité juive, touchée par la loi du 10 mai 1939, est expulsée vers le Reich. Cette politique reste modérée jusqu’en 1942 ; elle ne s’aggravera qu’avec le gouvernement Tuka.