Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Simon (Richard)

Oratorien français, fondateur de l’exégèse biblique moderne (Dieppe 1638 - id. 1712).


Au xviie s., sous l’influence de la pensée protestante, qui accorde une place privilégiée à l’Écriture, des découvertes archéologiques, de l’étude des anciennes civilisations et des attaques des libertins, des problèmes nouveaux sont posés à propos de la valeur historique des Livres saints, surtout du point de vue chronologique. Ces remises en cause vont susciter dans l’Église interrogations et prises de conscience au sujet des problèmes d’exégèse scripturaire. Les solutions proposées par un prêtre de l’Oratoire* de France, Richard Simon, orienteront la critique des textes dans des voies d’avenir.

Richard Simon naît dans une modeste famille d’artisans. Protégé par son curé, il entre au collège des Oratoriens de sa ville natale, où, fait rare à l’époque, il étudie le grec. Boursier à l’Oratoire de Paris en 1658, il le quitte pour étudier à la Sorbonne et apprendre l’hébreu. De retour à l’Oratoire en 1662, il y poursuit ses études hébraïques et est ordonné prêtre en 1670.

Cette même année, il peut lire dans le Tractatus theologico-politicus de Spinoza* une critique rationaliste et judicieuse de la Bible. Spinoza, au moyen de la critique interne des textes, relève impitoyablement les erreurs historiques de l’Ancien Testament. Au même moment, Richard Simon se lie avec un érudit juif élevé dans le protestantisme, Isaac de La Peyrère (1594-1676), qui, dans un ouvrage écrit vers 1642, les Préadamites, a pressenti la haute antiquité de l’homme et du monde, et qui enseigne que le récit de la Création doit s’entendre dans un sens symbolique et non scientifique. « La Bible, dit-il, n’enseigne que ce qui regarde notre salut. »

L’influence de Spinoza et de La Peyrère, complétée par une étude de la littérature des rabbins, va permettre à Richard Simon de mieux comprendre les problèmes exégétiques. Celui-ci, bon connaisseur du grec, de l’hébreu, du syriaque et de l’arabe, compose son grand ouvrage, l’Histoire critique du Vieux Testament, qu’il publie en 1678.

Ce livre original et révolutionnaire, écrit en français et qui, pour la première fois, porte le débat devant le public et non plus devant un cercle restreint de spécialistes, expose que les auteurs de la Bible ne sont pas des auteurs personnels, mais les témoins souvent anonymes d’une collectivité, celle des scribes, bénéficiaire, dans son ensemble, de l’inspiration divine. Par exemple, R. Simon écrit du Pentateuque : « La diversité du style y semble être une preuve pour montrer qu’un même écrivain n’en est pas l’auteur. » Il connaît déjà ce qu’on nomme aujourd’hui les genres littéraires.

Pour lui, l’exégète doit se faire un devoir de chercher opiniâtrement le sens littéral du texte, qui est unique et qui se dégage des termes, eux-mêmes correctement interprétés. L’oratorien condamne l’interprétation allégorique, porte ouverte à toutes les fantaisies.

Au contraire de Spinoza et des incroyants, il proclame son attachement à la doctrine de l’Église et à la Tradition. « L’Écriture, écrit-il, peut être citée comme un acte authentique lorsqu’elle se trouve conforme à la doctrine de l’Église, et c’est en ce sens que les Pères ont dit que la seule et véritable Écriture ne se trouve que dans l’Église et qu’il n’y a qu’elle qui la possède. » Cette profession d’orthodoxie n’empêchera pas la condamnation de son livre ni les persécutions contre son auteur.

L’instigateur de ces poursuites sera Bossuet*, qui, ignare en matière d’exégèse, poursuivra Richard Simon de ses calomnies. L’œuvre de l’oratorien gêne en effet l’auteur de la Politique tirée de l’Écriture sainte, en sapant à la base tout le système politico-religieux qu’il en avait tiré.

Bossuet, sans prendre la peine de lire tout l’ouvrage, mais seulement la préface et la table des matières, le qualifie d’« amas d’impiété » et de « rempart du libertinage ». Il ameute le chancelier Le Tellier et le lieutenant de police, qui fait brûler tous les exemplaires ; quelques-uns de ceux-ci échapperont au feu, et le livre sera réédité en 1684 en Angleterre et en 1685 à Rotterdam.

Exclu de l’Oratoire en 1678, Richard Simon continue ses travaux soit à Dieppe, soit à Paris, et écrit de nombreux autres ouvrages ayant tous trait à la critique biblique, comme sa Comparaison des cérémonies des Juifs et de la discipline de l’Église (1681), où il étudie les origines juives du culte chrétien primitif, et son Histoire critique du texte du Nouveau Testament, publiée à Rotterdam en 1689.

La continuité de sa pensée y est remarquable. À propos du problème de l’inspiration, R. Simon écrit : « Ce qui a trompé Spinoza est qu’il s’est imaginé qu’un homme ne peut pas se servir de sa raison et être en même temps dirigé par l’esprit de Dieu, comme si, en devenant l’interprète de Dieu, on cessait d’être homme, et qu’on fût un instrument purement passif. »

La fin de sa vie est assombrie par l’incendie de sa maison dieppoise, bombardée par les Anglais en 1694, incendie au cours duquel brûlent tous ses précieux livres, ainsi que par une nouvelle persécution de Bossuet contre sa traduction critique du Nouveau Testament éditée à Trévoux en 1702.

Ses ennemis l’ayant rendu suspect à l’intendant de Normandie, celui-ci le menace de visiter ses papiers, et le vieux prêtre, âgé de soixante-quatorze ans, préfère brûler lui-même ses manuscrits, perte inestimable pour la science. Il meurt quelques jours plus tard, le 11 avril 1712, après avoir légué tous ses biens aux pauvres.

L’opposition aveugle et haineuse de Bossuet contre Richard Simon avait ôté à l’Église catholique le moyen de résister avec efficacité aux attaques qui, en ce début du xviiie s., se préparaient contre la véracité des Écritures. Richard Simon avait compris que la critique était le seul rempart contre les assauts des cartésiens et des rationalistes.

Il fallut plus de deux siècles pour que l’Église reconnût la justesse des vues du fondateur de la critique historique des Livres saints, mais il était bien tard, car la révolution spirituelle qu’il avait rêvé d’effectuer de l’intérieur devait se faire contre le christianisme.

P. R.

 H. Margival, Essai sur Richard Simon et la critique biblique au xviie s. (Maillet, 1900). / J. Steinmann, Richard Simon et les origines de l’exégèse biblique (Desclée De Brouwer, 1960). / P. Auvray, Richard Simon (P. U. F., 1974).