Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sicile (suite)

À la recherche moins de marchés que de terres, les Grecs ont, en effet, entrepris dès la seconde moitié du viiie s. av. J.-C. de coloniser l’île, riche en céréales, en vin, en huile d’olive, en bois, en soufre, en poissons, etc. Déjà établis dans la baie de Naples, les Chalcidiens prennent pied sur la côte orientale de la Sicile, où ils fondent en 735 av. J.-C. la colonie de Naxos (Nasso) au pied de l’Etna, puis vers 730 celles de Leontinoi (Lentini) et de Catane aux deux extrémités de la plaine de ce nom, dont ils exploitent les richesses agricoles, tandis que leurs parents, originaires de Cumes, fondent vers 734 av. J.-C., sur l’emplacement de l’actuelle Messine, la colonie de Zancle, qui contrôle le détroit ; renforcée bientôt d’autres Eubéens, celle-ci devient à son tour la métropole de deux colonies fondées au viie s. av. J.-C. sur la côte nord de l’île, Mylai (Milazzo) et surtout Himère vers 648 av. J.-C., qui concurrence directement les établissements très proches des Phéniciens.

Parallèlement, les Doriens colonisent le sud-est de la Sicile. Venus de Corcyre (Corfou), les Corinthiens se fixent vers 733-732 av. J.-C. dans l’îlot d’Ortygie, où surgit la source Aréthuse, et fondent à proximité Syracuse, qui essaime à son tour ses propres colonies, à Acrai en 663 av. J.-C. et à Casmenai en 643 av. J.-C., puis à Camarine en 598 av. J.-C. Entre Syracuse et Catane, d’autres Doriens, les Mégariens, fondent en 728 av. J.-C. Megara Hyblaia, qui, faute d’espace, ne peut se développer et disparaît en 483 av. J.-C., détruite par Gélon de Syracuse, non sans avoir fondé au préalable vers 639 Sélinonte, sur la côte méridionale de l’île, où d’autres Doriens, les Rhodiens et les Crétois, créent Gela en 688 av. J.-C., qui essaime à son tour à Acragas (ou Akraga) [Agrigente] en 581-580 av. J.-C.


Le régime politique : de l’oligarchie à la tyrannie

Les colons, qui constituent une aristocratie foncière très fermée, assument seuls le gouvernement des cités nouvelles (tels les Gamores de Syracuse), réduisant plus ou moins en servage les populations indigènes, qui ne conservent leur indépendance qu’au centre de l’île. Les colonies sont transformées en importants centres commerciaux qui achètent aux Grecs du continent leurs céramiques, aux Étrusques leurs bronzes et le fer de l’île d’Elbe, enfin aux Phéniciens la pourpre de Tyr ; elles se peuplent d’ouvriers, d’artisans et d’étrangers, dont le nombre, s’additionnant à celui des travailleurs indigènes, renforce le poids du prolétariat urbain hostile à la prédominance politique d’une trop étroite oligarchie foncière. Sur l’initiative de celle-ci, Charondas (viie s. av. J.-C.) dote Catane d’un code de lois impitoyable. Mais le déséquilibre social, aggravé par de sérieuses crises économiques, favorise la constitution de partis populaires qui aident d’ambitieux démagogues, les tyrans, à s’emparer du pouvoir : Panaitios à Leontinoi vers 608 av. J.-C., Phalaris à Acragas vers 570 av. J.-C., Cléandre à Gela vers 499 av. J.-C., à qui succèdent son frère Hippocrate de 493 à 485 av. J.-C., puis le chef de sa cavalerie, Gélon, de 485 à 478 av. J.-C., etc. Investis d’une autorité illimitée, les tyrans entreprennent généralement une réforme agraire, développent les cultures vivrières, fortifient leurs villes, édifient des temples de très grandes dimensions, notamment à Acragas et à Sélinonte, attirent artistes et poètes (Simonide de Céos, Bacchylide, Épicharme, Eschyle, Pindare) afin de rehausser leur prestige déjà exalté par leur participation aux jeux de Delphes et d’Olympie. Surtout, ils aspirent à unifier la Sicile à leur propre profit, ce qui les conduit à s’opposer les uns aux autres, affaiblissant ainsi la cause de l’hellénisme face aux Carthaginois, dont Phalaris d’Acragas tente d’accentuer l’isolement en s’alliant à Himère. S’emparant de Naxos, de Leontinoi et de Camarine, Hippocrate de Gela ne peut étendre son empire à Zancle, où Anaxilas de Rhegiôn (Reggio di Calabria) établit des Messéniens exilés ; Zancle prend alors le nom de Messine. Gélon, maître de Syracuse en 485 av. J.-C., en transfère le centre dans cette dernière ville, où il déporte la moitié de la population de Gela, la totalité de celle de Camarine, puis celle de Megara Hyblaia en 483 av. J.-C. Devenu le gendre de Théron, tyran d’Acragas, Gélon unifie en fait sous son autorité presque toute la Sicile grecque, où il assure pour plus d’un siècle la survie de l’hellénisme face aux Carthaginois, qui ont fait échouer les tentatives d’établissement de Pentathlos à Lilybée (Marsala) vers 580 av. J.-C. et du Spartiate Dôrieus à Éryx (Erice) vers 510 av. J.-C.

Les Carthaginois, gênés par la concurrence commerciale que leur font les Grecs, tentent d’opposer les tyrans les uns aux autres, s’allient en particulier à Sélinonte et à Terillos, tyran d’Himère. En renversant ce dernier et en imposant à cette ville son protectorat, Théron offre alors aux Carthaginois le prétexte d’une intervention. Assiégé par la puissante armée d’Hamilcar, le tyran d’Acragas est sauvé par Gélon, qui brise la puissance adverse à Himère en 480 av. J.-C., l’année même de Salamine, mais commet l’erreur de ne pas rejeter en Afrique les Puniques, qui, repliés dans l’extrême ouest de la Sicile redeviendront dangereux un siècle plus tard.


La vie politique au ve s. av. J.-C. : impérialisme syracusain et démocratie

Hiéron Ier (478-466), poursuivant l’œuvre de son frère Gélon, chasse de Gela son autre frère Polyzalos, déporte à Leontinoi les habitants de Naxos et de Catane, rebaptisée Etna et peuplée de mercenaires, bat les Étrusques à Cumes en 474 av. J.-C. et étend son protectorat en 472-471 av. J.-C. sur Acragas et sur Himère après avoir battu Thrasydaios, fils et successeur de Théron. Imposé par Hiéron Ier à ces deux dernières villes, le régime démocratique s’étend à toute l’île au lendemain de l’insurrection qui chasse du pouvoir son frère Thrasybule et abat la tyrannie, dont l’existence n’est plus justifiée par aucune nécessité militaire. Généralement de type oligarchique, ébranlés vers 463 av. J.-C. par la révolte générale des mercenaires, dont ils acceptent l’établissement définitif à Messine, les régimes démocratiques ne survivent qu’au prix de concessions importantes.

Syracuse, qui a écarté les pirates étrusques en 454-453 av. J.-C., puis renforcé son alliance avec Sélinonte, contrôle directement ou indirectement toute la Sicile.