Seurat (Georges) (suite)
Les dernières œuvres, le Chahut, le Cirque, font au contraire une place importante à des lignes obliques et serpentines ainsi qu’à la représentation de mouvements rapides. Elles reflètent les théories de Charles Henry sur le dynamisme de certains rythmes linéaires et sur leur signification psychologique, mais aussi le goût déclaré de Seurat pour les affiches* de Jules Chéret et les estampes japonaises. Le Chahut annonce certains développements du cubisme* (Braque en aura la reproduction dans son atelier) et du futurisme* (Giacomo Balla).
Les dessins de Seurat ne le cèdent pas en importance à ses peintures, et celui-ci en avait conscience, car il en faisait figurer dans ses envois aux Salons. Les nuances subtiles de sa sensibilité s’y expriment plus librement que dans les toiles, fruits de spéculations intellectuelles complexes. L’emploi de la couleur y est rare, de même que celui de la plume. La plupart des quelque cinq cents dessins conservés sont exécutés au crayon Conté sur du papier Ingres. Le gros grain de la feuille accroche le noir sur les reliefs, et des points blancs sont ainsi ménagés dans les creux ; les volumes sont dégagés progressivement par l’épaississement des masses d’ombre. Une partie des dessins sont des copies exécutées par Seurat, à ses débuts, comme exercices d’après Holbein, Poussin, Ingres, les antiquités gréco-romaines ; d’autres dessins sont des études préliminaires en vue des grandes compositions ; mais, pour la plupart, il s’agit d’œuvres autonomes qui ne renvoient qu’à elles-mêmes et à la perfection de leur achèvement. La structure des formes est aussi affirmée que dans les tableaux, mais les sujets n’ont plus la même complexité : personnages isolés, paysages dépouillés, quelques accessoires ; ils baignent dans une atmosphère ouatée, silencieuse, et leur présence ne se manifeste que par des condensations de zones d’ombre. Cette poétique du mystère, qu’Henri Focillon qualifiera d’« irréalisme féerique », Seurat l’atteint inconsciemment ; elle lui est donnée au-delà de ses exigences infinies de rigueur, au-delà de son refus de tout abandon aux séductions de l’irrationnel. Un émerveillement devant le réel le plus quotidien donne son étrange séduction à cet univers en blanc et noir. L’influence en sera aussi importante que celle des peintures.
M. E.
➙ Néo-impressionnisme.
H. Dorra et J. Rewald, Seurat. L’œuvre peint, biographie et catalogue critique (Bibl. des arts, 1960). / C. M. de Hauke et P. Brame, Seurat et son œuvre (Gründ, 1962 ; 2 vol.). / F. Minervino, L’Opera completa di Seurat (Milan, 1973 ; trad. fr. Tout l’œuvre peint de Seurat, Flammarion, 1973).