Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sens (suite)

L’érection d’une commune en 1146 fut la cause de troubles graves, et les bourgeois massacrèrent l’abbé de Saint-Pierre-le-Vif, Herbert, qui s’y était opposé. Louis VII supprima la commune, mais son fils Philippe II Auguste la rétablit et, en 1189, il lui octroya une charte. En 1235, Louis IX augmenta encore ses pouvoirs et ses privilèges. La commune, supprimée en 1318, fut remplacée en 1474 par un échevinage, institué par Louis XI.

Durant les guerres de Religion, la ville se montra ardente ligueuse et, en 1590, résista vigoureusement à Henri IV, qui ne put s’en emparer, et Sens n’ouvrit ses portes au roi qu’en 1594.

En 1814, la ville, défendue par le général Allix, fut prise, grâce à une trahison, par les troupes wurtembergeoises. Les Allemands l’occupèrent de nouveau de novembre 1870 à mars 1871.

P. R.


L’art à Sens

Les collections du musée archéologique, les tours et les murs de l’enceinte de la fin du iiie s. témoignent de l’activité artistique à Sens dans l’Antiquité, mais les œuvres d’art les plus importantes de la ville datent du Moyen Âge et rappellent la grandeur de ses archevêques.

La cathédrale, entreprise vers 1130 dans un style encore roman, fut modifiée en cours de construction pour devenir la première en date des grandes cathédrales gothiques, avec un ample vaisseau à trois étages portés sur des colonnes jumelles et des piles alternées, couvert de voûtes sexpartites. Des sculptures remarquables de la fin du xiie s., comme le Saint Étienne de la porte centrale, voisinent aux portails avec des œuvres de la fin du xiiie s., exécutées après l’écroulement de la tour méridionale de la façade en 1267-68. Les fenêtres hautes ont été agrandies, des chapelles se sont greffées sur le pourtour de l’église, et un transept a été ajouté à partir de 1490 sous la direction de Martin Chambiges († 1532), sans modifier l’aspect grandiose de la nef du xiie s. De nombreuses sculptures, statues, retables et tombeaux, des vitraux des xiie, xiiie, xive et xvie s. enrichissent la cathédrale. Enfin, celle-ci a conservé un des plus beaux trésors de France, avec de précieux tissus orientaux et des vêtements liturgiques du Moyen Âge, des tapisseries exceptionnelles de la seconde moitié du xve s. (l’Adoration des Mages, les Trois Couronnements), des coffrets d’ivoire, le peigne liturgique dit « de saint Loup » et des pièces d’orfèvrerie. À droite de la cathédrale se dresse l’ancienne officialité, imposant édifice du xiiie s. à deux étages voûtés (musée lapidaire).

D’autres églises subsistent dans la ville : Saint-Savinien, qui remonte au xie s., Saint-Jean, dont le chœur du xiiie s. sert de chapelle à l’hôpital, Saint-Maurice, église du xiie s. modifiée au xvie, Saint-Pierre-le-Rond, orné de vitraux du xvie s. À côté de ces édifices religieux, il faut noter des restes de l’art civil, en particulier quelques maisons Renaissance, la maison dite « d’Abraham », la maison du Pilier et le musée Jean Cousin*, qui abrite des souvenirs de ce peintre verrier originaire de Sens.

A. P.

➙ Yonne.

 G. Morin, Histoire générale des pays de Gastinois, Senonois et Hurepoix (P. Chevalier, 1630 ; rééd., Champion, 1883-1889, 3 vol.) / T. Tarbé, Recherches historiques et anecdotiques sur la ville de Sens (Sens, 1838). / E. Chartraire, la Cathédrale de Sens (Laurens, 1964).

sensation

Dans le langage philosophique, le terme de sensation désigne généralement l’« impression qui nous est donnée par l’intermédiaire des sens ». Le langage courant a étendu largement l’acception du terme : on éprouve une « sensation de froid », mais on peut également avoir la « sensation d’être dupe », on peut même chercher à « faire sensation ».



Historique

Dans le langage scientifique, c’est avec les débuts de la psychologie expérimentale, à la fin du xixe s., que l’on tente de définir la sensation. Pour Wilhelm Wundt (1832-1920 ; Grundzüge der physiologische Psychologie, 1874), les sensations sont des états de conscience provoqués par l’action de phénomènes extérieurs agissant sur les organes sensoriels. De tels états de conscience sont indécomposables en éléments plus simples et — Wundt insiste sur ce point — ils ne se présentent jamais isolés : les sensations élémentaires nous sont révélées par les combinaisons qu’elles forment entre elles. Ce sont les besoins de l’analyse qui nous contraignent à l’utilisation de ce concept de sensation.

À la même époque, Lénine* critique vertement le parallélisme psychophysiologique de Wundt et l’on n’en est que plus étonné de la définition qu’il donne de la sensation : « La sensation est le lien direct de la conscience avec le monde extérieur, la transformation de l’énergie de l’excitation extérieure en un fait de conscience » (Matérialisme et empiriocriticisme, 1909). Les « objectivistes » allemands, tels Albrecht Bethe (1872-1955) et Jakob Johann Uexküll (1864-1944), montraient alors un plus grand souci de rigueur lorsqu’ils bannissaient de leur langage le mot de sensation pour lui substituer celui de réception.

Comme Wundt, le grand physiologiste britannique sir Charles Scott Sherrington (1857-1952) est dualiste. Les organes des sens sont pour lui les « portes de l’esprit » (Man and His Nature, 1940) ; ils peuvent, par leur fonctionnement, déclencher ou arrêter le déroulement de la pensée. Mais il remarque qu’il n’en va pas ainsi dans tous les cas et que certaines stimulations ne font que déclencher ou arrêter l’activité motrice « indépendamment de l’esprit » ; dans ce cas, peut-on parler encore d’organes des sens ? Sherrington pense que l’appellation d’analyseurs (utilisée par Pavlov*) ou de récepteurs éliminerait les risques d’ambiguïté.

H. Piéron* (la Sensation, guide de vie, 1945 ; la Sensation, 1953) reprend l’idée de Wundt : la sensation est une abstraction ; nous n’observons que des conduites perceptives, la sensation pure n’existe pas. Mais cette abstraction est nécessaire à l’analyse scientifique. On dira qu’il y a sensation lorsqu’une stimulation sera capable d’influencer le comportement d’un organisme, immédiatement ou à terme. Mais, note Piéron, rejoignant Sherrington, certaines stimulations peuvent déclencher uniquement des réponses réflexes et ne pas engendrer directement de sensation. La réaction qui correspond à la sensation a un caractère plus global, plus intégré, tandis que la modalité réflexe reste locale et n’implique pas une discrimination aussi fine.