Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Athènes (suite)

Sur le plan judiciaire, les cités perdent aussi leur indépendance. Leurs tribunaux cessent d’être pleinement souverains, sauf quand il s’agit de causes très minces, et les plaideurs ne peuvent échapper au voyage vers Athènes, où l’héliée statuera : ils seront jugés selon le droit attique, après avoir plaidé en dialecte attique devant un tribunal qu’ils finiront par haïr comme l’instrument de leur sujétion.

Les obligations financières auxquelles sont astreintes les cités sont sinon très lourdes, du moins fort humiliantes : les sommes qu’elles versent ne sont plus une contribution aux dépenses communes, mais un tribut qui peut servir, par exemple, à financer les grands travaux entrepris par Périclès. Le montant en est calculé par la boulê, qui impose des amendes à tout mauvais payeur, amendes qu’un stratège peut venir encaisser, appuyé par l’escadre. (C’est pour la commodité de la perception qu’Athènes groupa en cinq districts les cités de son empire, cessant ainsi de considérer la cité comme l’unité territoriale de base dans le monde qu’elle dominait, et rompant avec toute tradition politique.) Ce qu’elles ne peuvent supporter, c’est qu’à ces humiliations s’ajoute la venue dans leur territoire de colons athéniens (les clérouques).

Le commerce d’Athènes

À cause de la difficulté des communications terrestres, c’est par mer que se fait en Grèce le grand commerce, celui des emporoi (marchands). Bien que la flotte de guerre athénienne ait purgé la mer de ses pirates, on prend soin de suivre les côtes au plus près pour pouvoir tirer le soir les bateaux à l’abri, ou bien l’on va d’île en île pour éviter de passer la nuit en mer. Les vaisseaux appelés ronds, par opposition aux navires de guerre, naviguent en général à la voile, mais l’absence d’un gouvernail efficace limite leur tonnage (ils ne jaugent guère plus de 350 ou 400 tonneaux).

Athènes exporte son vin, ses huiles, son miel, du marbre, des produits industriels (céramique, métallurgie) ; en retour, lui arrive le blé nécessaire à son approvisionnement : l’Attique ne produisant pas assez pour nourrir ses habitants, le commerce est sévèrement réglementé ; les halles du Pirée doivent conserver en permanence de quoi nourrir la cité et l’armée, on surveille les négociants pour éviter la constitution de stocks (les expéditions de Sicile et d’Égypte peuvent s’expliquer d’une certaine façon par le désir de contrôler les pays producteurs de céréales, l’intérêt porté par Athènes aux détroits par celui de s’assurer le passage des routes menant au fertile pays de la mer Noire). D’autre part, venant de toute la Méditerranée orientale, arrivent, pour être ensuite redistribuées, toutes sortes de marchandises à Athènes, qui, grâce à sa puissance, a pu devenir un centre de commerce réputé pour la valeur de sa monnaie, la sévérité de ses magistrats chargés de surveiller l’honnêteté des transactions.

C’est au port du Pirée que se traitent les affaires ; les vaisseaux sont à l’abri dans la rade de Kantharos, les entrepôts en sont proches ainsi que la bourse. Dans une ville moderne, dessinée au ve s. sur un plan orthogonal, se presse une population de citoyens parfois pauvres ou remuants, mais entreprenants, et de métèques qui, banquiers ou trafiquants, sont, comme les citoyens, attachés à la grandeur d’Athènes, qui fait leur richesse.


Les clérouquies

Les clérouquies ne sont pas des colonies au sens où l’entendent les Grecs, c’est-à-dire des villes fondées outremer par des immigrants venus de telle ou telle cité, mais dont les habitants perdent par leur départ leur citoyenneté d’origine. Ce sont des établissements à l’étranger de citoyens athéniens qui gardent tous les droits et devoirs de leurs compatriotes restés en métropole. Les clérouquies sont donc des « prolongements de la cité ». La colonisation athénienne est déjà une colonisation de type moderne.

Ces clérouquies sont installées d’abord sur les franges des pays barbares, en des points d’où sont expulsés les habitants originels (à Lemnos, à Imbros, par exemple), puis, quand les Athéniens se méfièrent de leurs alliés (ainsi à Potidée), dans les territoires peuplés de Grecs (en Eubée en particulier). Athènes envoya outremer 10 000 clérouques environ ; les cités alliées firent ainsi des sacrifices immenses, d’autant qu’au préjudice financier pouvait s’associer, comme à Mytilène, la honte de servir désormais de fermiers à des Athéniens qui, sans cultiver la terre, restant cantonnés dans les cités qu’ils venaient de vaincre, touchaient les revenus du lot qui leur avait été attribué (ou cléros).

Que les Athéniens aient installé de telles clérouquies malgré les haines que cela suscitait aide à comprendre ce qu’est l’impérialisme athénien. C’est essentiellement un profit immédiat que le peuple entendait tirer de sa puissance : les clérouques sont des Athéniens pauvres, l’attribution d’un lot de terre les fait entrer dans la classe moyenne. On conçoit qu’une ecclésia formée en majeure partie de gens du peuple n’ait jamais rechigné devant l’effort de guerre : la fortune était au bout (et la gloire de la cité). De même, l’Empire favorisait le commerce du Pirée (d’autant plus qu’Athènes avait su se réserver quelques monopoles fructueux), mais cela touchait sans doute moins les citoyens (seul le problème des approvisionnements les intéressait vraiment), et les métèques n’avaient pas voix au chapitre.

C’est en fait la démocratie qui développa les sentiments impérialistes. Le désir qu’avait le peuple de s’enrichir et de faire que ses privilèges lui rapportent le rendit égoïste, parfois même sauvage, quand ses intérêts lui semblaient être en cause. Mais il fit s’accumuler les haines, et l’Empire finit par éclater.

La marine de guerre athénienne

Grâce à Thémistocle*, la flotte de guerre athénienne est devenue, au début du ve s., la plus importante de l’Égée : à l’époque de Salamine, elle comptait à peu près 200 vaisseaux ; au début de la guerre du Péloponnèse, environ 400.