Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Seféris (Gheórghios) (suite)

Trois Poèmes secrets (1966) est son dernier livre. Ici sont refondus tous les éléments de sa poésie, la lumière avant tout, mais avec une dimension mystique. C’est le dialogue du poète avec la mort. À présent, « les âmes se hâtent à se séparer du corps / elles ont soif et ne trouvent de l’eau nulle part ; / elles se collent ici et là au hasard / des oiseaux pris au gluau ». Il s’agit d’un livre d’adieu où Seféris fait aussi son testament sur la vie et sur la poésie, car « ta vie est ce que tu as donné, / ce vide est ce que tu as donné / le papier blanc ».

Pour terminer, il faut souligner l’importance de la langue dans l’œuvre de Seféris, le grec moderne populaire (dit « démotique »), qu’il travaillera inlassablement dans sa poésie comme dans sa prose. Sa langue est d’une simplicité, d’une sobriété, d’une pureté remarquables. Amour du concret, méfiance devant ce qui est « poétique », rapport sensuel avec les mots. Pour le poète, l’exercice de la langue est une éthique, une responsabilité nationale, et la langue grecque se confond avec la mémoire historique, car « la nature de la langue est la nature d’une mentalité collective de morts et de vivants qui nous contient ». Aucun enjolivement, aucune parure : « Je ne demande rien d’autre que de parler simplement, que cette grâce me soit accordée. / Notre chant, nous l’avons surchargé de tant de musiques / qu’il s’est englouti peu à peu / et nous avons tellement enjolivé notre art / que son visage s’est noyé dans les dorures. / Et il est temps de dire les quelques paroles / que nous avons à dire : demain notre âme hisse la voile. »

C. P.

 A. Mirambel, Georges Seféris (Les Belles Lettres, 1965).

Séfévides

Dynastie qui a régné sur l’Iran* de 1502 à 1736.



Les origines

Les origines véritables de cette dynastie ne sont pas bien connues. Cependant, il est maintenant admis que les Séfévides sont de souche iranienne, kurde peut-être. Les rois de cette lignée, grâce à une efficace propagande, répandirent la conviction, encore vivace jusqu’à une date récente, qu’ils étaient seyyed-e hoseyni, c’est-à-dire descendants du côté paternel de ‘Alī ibn Abī Ṭālib, cousin et gendre du prophète de l’islām, et du côté maternel de Chahr bānu, fille de Yazdgard III (632-651), le dernier empereur sassanide (le mariage de l’imām Ḥusayn avec Chahr bānu, bien qu’admis par tous les chī‘ites, n’est pas historiquement confirmé de façon certaine). L’intérêt d’une telle généalogie, forgée par les rois séfévides, était manifeste : elle leur permettait de se proclamer les seuls et uniques héritiers légitimes de l’empire des Sassanides* et des musulmans. Cette légitimité constituait un argument de très grand poids face non seulement aux sultans ottomans, qui se voulaient défenseurs de la loi orthodoxe (sunna), mais aussi aux khāns des Ouzbeks, qui, en tant que descendants de Gengis khān, considéraient une grande partie de l’Orient comme leur fief héréditaire. Dans le même dessein, à savoir le renforcement de leur position face aux Ottomans* et aux Ouzbeks sunnites, les rois séfévides renièrent la foi sunnite et détruisirent ou falsifièrent les documents relatant que leurs ancêtres, et en particulier Cheikh Ṣafī al-Dīn Ardabīli, étaient sunnites chāfi‘ites.

Ce revirement était, dans leur optique, parfaitement logique : comment, en effet, auraient-ils pu concilier le fait d’être sunnites avec leur volonté de se faire passer pour de dignes héritiers des imāms dépouillés et martyrisés par les califes sunnites ? Qui plus est, le chī‘isme* gagnait de plus en plus d’adeptes en Iran, et les sunnites persans, encore en majorité au début du xvie s., étaient fort peu zélés. La preuve en est dans leur conversion hâtive, presque instantanée, au chī‘isme. Certes, ils firent l’objet de pressions dans ce sens ; il n’en reste cependant pas moins qu’ils acceptèrent si profondément d’adhérer au chī‘isme qu’ils ne le renièrent pas lorsque, par trois fois, sous Ismā‘īl II, sous les Afghans et sous Nādir Chāh, ils en eurent la possibilité.


Les débuts de la dynastie

La véritable histoire des Séfévides commença avec Cheikh Ṣafī al-Dīn Ardabīli (1252 ou 1253-1334), qui fut un chef spirituel extrêmement vénéré. Il habitait la ville d’Ardabil dans l’Azerbaïdjan, mais sa renommée dépassa largement le cadre local puisqu’il fit des adeptes jusqu’en Anatolie et en Syrie. Parmi eux figuraient les tribus turcomanes, qui, par la suite, constituèrent la base de l’armée séfévide sous le nom de Kızıl Bach ou « Têtes rouges ». Les descendants de Cheikh Ṣafī non seulement traversèrent victorieusement l’époque des invasions de Tīmūr Lang* (Tamerlan), mais ils réussirent encore à fortifier leur situation pendant la période de déclin des Tīmūrides, suivie par leur chute et l’avènement de leurs successeurs, les Karakoyunlu et les Akkoyunlu, qui mirent sous leur joug l’Iran occidental. Pendant le règne des seconds, le chef séfévide Ḥaydar épousa la fille du roi Uzun Hasan (roi de 1441-1478) ; de cette union naquit (1487) Ismā‘īl, qui devint par la suite le premier roi séfévide Chāh Ismā‘īl Ier (1502-1524). Les Akkoyunlu, inquiets de la puissance croissante des Séfévides, cherchèrent à y mettre un terme en 1488 : le père de Chāh Ismā‘īl, Cheikh Ḥaydar, fut tué et ses fils furent exilés. Ce revers de fortune, qui aurait pu être fatal, ne freina que momentanément l’ascension des Séfévides, grâce au soutien des adeptes que leur longue et minutieuse propagande avait formés. Aidé de ses partisans Kızıl Bach, Ismā‘īl se libéra, et, au printemps 1501, infligea une grave défaite aux forces akkoyunlu. Cette victoire lui valut de faire son entrée dans la ville de Tabriz et de s’y proclamer roi sous le nom de Chāh Ismā‘īl. Son premier acte royal fut de déclarer le chī‘isme religion d’État. Cette décision, qu’il s’efforça par tous les moyens de rendre effective, fut l’événement le plus important de son règne : dès lors, la Perse s’éloigna davantage encore et de façon décisive du monde islamique.