Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

secte (suite)

On le voit, dans un cas comme dans l’autre, ce qui caractérise la grande institution de type « catholique » et les dénominations « protestantes », c’est une même relation à la « vérité » — corps de doctrines constitué par un entassement de strates séculaires ou affirmation centralement hypertrophiée —, d’un côté comme de l’autre possédée avec une sorte de monopole exclusif et une conscience assurée, permettant sinon de se suffire de soi, du moins de prendre son parti de la séparation d’avec les autres membres de la famille chrétienne.

Que la réalisation historique de ces deux types ne soit jamais « pure », qu’il y ait de nombreuses variantes et exceptions n’empêche pas de définir la secte, quelle que soit son importance dans le temps et l’espace, comme une communauté ayant cette conscience suffisante d’être la seule à posséder la « vérité »... et à pouvoir, à l’occasion, la brandir comme une arme contre les « autres », les « imparfaits », les « non-convertis », les « schismatiques » ; en un mot : les « hérétiques ».

Dans la famille judéo-chrétienne, nul ne saurait valablement se targuer de « posséder la vérité » : la foi authentique consiste beaucoup plus à espérer être possédé par elle, la vérité n’étant pas un corps de doctrines à quoi donner une adhésion intellectuelle, ni une expérience religieuse spécifique, ni un comportement moral une fois pour toutes codifié, mais bien une personne vivante, celle du Christ vivant, invitant aujourd’hui comme hier tout homme à le suivre, ce qui est inséparable d’un discernement de sa présence et de l’écoute de son message précisément dans l’existence des « autres », en particulier des petits, des pauvres et des opprimés, de toutes races, langues et religions... Dans l’Épître aux Éphésiens (iv, 15), un disciple de l’apôtre Paul définit ainsi la dynamique de vie spirituelle : « Grandir à tous égards vers celui qui est la tête, Christ » et pour cela : suivre une seule voie qui est de « confesser la vérité dans l’amour ».

Il est clair que cela n’implique aucun syncrétisme ou flou doctrinal, mais le refus que la vérité puisse être utilisée à des fins d’asservissement physique ou moral : il n’est de véritable communauté chrétienne que là où la communication de l’évangile s’enracine dans une « orthopraxie » de solidarité au service de l’amour et de son extension sociale ; la justice. En dehors de cette perspective, il n’y a que secte et hérésie, c’est-à-dire : séparation arbitraire de celui qui est devenu la tête de l’Église, en rassemblant autour de soi, par son service et son sacrifice, l’ensemble de l’humanité déjà réconciliée avec Dieu.


Indications typologiques

Il reste à donner quelques indications typologiques sur les « sectes », telles qu’une séculaire expérience permet de les répertorier.

Au cours des premiers siècles de l’Église, on voit apparaître, par rapport à « la grande Église », des sectes dont les caractères principaux se retrouveront à toutes les époques : gnostiques*, manichéens (v. manichéisme), montanistes (enthousiastes se réclamant d’une inspiration directe de l’Esprit et attendant le retour imminent du Christ), millénaristes (v. millénarisme).

Actuellement, et compte tenu du fait que toute classification reste arbitraire, on peut distinguer des groupes millénaristes (adventistes du septième jour, Témoins de Jéhovah, Amis de l’homme...), baptistes* (anabaptistes*, mennonites...), des mouvements de Réveil* (darbystes, Église apostolique, Église néo-apostolique, quakers*, Armée du Salut, pentecôtistes...), des communautés « guérisseuses » (antoinistes, Science chrétienne [Christian Science], disciples de « Georges Christ »...), de « petites Églises catholiques » (« la petite Église », l’Église catholique française, l’Église catholique apostolique de France, l’Église catholique libérale...).

Les « groupes informels », inorganisés entre eux, sont plus des cellules de contestation à l’intérieur des Églises ou entre elles qu’à proprement parler des sectes...


Quelques remarques conclusives

Il y a une variété infinie de mouvements, nuances et comportements : ainsi la plupart des « sectes » sont-elles violemment antiœcuméniques et, cependant, il existe au sein du Conseil œcuménique des Églises de grandes Églises baptistes et pentecôtistes.

L’histoire de chaque « secte » montre une évolution et des changements parfois rapides entre la première génération des fondateurs et celles des successeurs, parfois artisans de compromis et de retombées, de rebondissements et de ruptures plus ou moins douloureux et spectaculaires. Ainsi, bien des « sectes » sont-elles, à la longue, devenues « Églises », cependant que bien des « Églises » semblent particulièrement aptes à engendrer des « sectes ».

L’historiographie des sectes a été longtemps difficile, en raison même de l’autoritarisme des « grandes Églises » et du discrédit systématique qu’elles jetaient sur les sectes. Ainsi, le visage réel du gnosticisme est-il largement indéchiffrable, tant il a été caricaturé, tant ont été détruits les documents permettant de le connaître. C’est le mérite de la science profane et, notamment, des premiers marxistes que de s’être attachés à le restituer.

La véritable ligne de démarcation entre « sectes » et « Églises » passe sans doute entre ce que Engels appelle les formes « constantiniennes » et « apocalyptiques » du christianisme (ou de toute autre famille spirituelle). Tout en reconnaissant qu’il s’agit moins de formes fixes et plus d’éléments souvent mêlés, on peut soutenir que ce qui provoque la naissance de la secte, c’est, la plupart du temps, l’uniformisation de l’Église par la réalité sociale ambiante, son idéologie et ses formes de pouvoirs.

Ainsi, la secte représenterait-elle un moment décisif de l’affirmation spirituelle : la contestation prophétique de l’ordre et de ses valeurs, l’annonce que la communauté chrétienne n’est pas là pour sacraliser ce qui est et permettre à l’homme de s’adapter à tous les régimes, mais bien pour dire que sa vie ne peut s’accomplir que dans un monde transformé par la puissance révolutionnaire de la résurrection.

G. C.