Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

science-fiction

Le terme de science-fiction a été adopté dans l’usage courant d’un grand nombre de langues. Il est cependant inexact. Les divers récits, films ou scénarios de télévision à qui l’on a pu mettre cette étiquette ne se fondent en effet jamais sur la science. Ce sont bien des œuvres de fiction, mais des fictions établies sur la technique.



Histoire de la science-fiction

Il existe quelques œuvres littéraires qui plongent réellement leurs racines dans la science, comme Arrowsmith (Sinclair Lewis, 1925), voire le Destin de Marin Lafaille (J.-H. Rosny jeune, 1946), mais on ne considère généralement pas qu’il s’agit là de science-fiction. Une autre difficulté de la définition réside dans la distinction entre la science-fiction et le fantastique*. On admet communément qu’une œuvre de science-fiction se fonde sur ce qui est possible et qu’une œuvre fantastique se fonde sur l’impossible. Cette distinction n’est guère pertinente, car elle suppose que l’on sait ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, ce qui est moins évident qu’on le croit.

On attribue souvent à la science-fiction des origines historiques remontant très loin dans le passé, ne serait-ce qu’à l’Histoire comique des États et Empires de la Lune et aux États et Empires du Soleil de Cyrano de Bergerac (1619-1655). Cette idée n’est pas soutenable, car la science-fiction a accompagné la révolution industrielle et constitue un phénomène essentiellement moderne. On a pu dire que 90 p. 100 des grands savants de l’histoire humaine sont vivants parmi nous. On peut dire avec encore plus de raisons que 99 p. 100 des grands auteurs de science-fiction de toute l’histoire littéraire sont encore vivants aujourd’hui.

Au xixe s. et au début du xxe, Jules Verne* et H. G. Wells* faisaient de la science-fiction sans le savoir. La première revue où parurent des récits de science-fiction fut russe. Elle s’appelait Mir priklioutcheni (le Monde des aventures) : elle débuta en 1910 sous la forme d’un mensuel illustré et s’est perpétuée jusqu’à nos jours, où, sous l’aspect d’un gros volume annuel, elle publie des romans et des nouvelles, des essais, des bibliographies.

La première revue qui prétendit se consacrer à la science-fiction fut la revue américaine Amazing Stories, fondée en 1926 par le Luxembourgeois Hugo Gernsback. Il n’y a jamais vraiment eu de revues françaises de science-fiction, mais seulement des éditions de revues étrangères. Des ouvrages de science-fiction considérés comme appartenant à la littérature générale ont paru en assez grande abondance dans le monde entier jusqu’en 1945. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les collections spécialisées ont inondé le marché. Il faut appliquer à cette production la remarque de l’écrivain américain Theodore Sturgeon : « 90 p. 100 de n’importe quoi ne vaut rien. » Mais le déchet en science-fiction est supérieur à celui du roman policier. On ne trouve pas en science-fiction l’équivalent de Crime et Châtiment de Dostoïevski. On n’y trouve pas, dans son expression filmique, l’équivalent des quelques grands westerns. Aussi dit-on souvent que la science-fiction n’est pas de la littérature. Certes, mais l’on peut ajouter : « La musique non plus. » La science-fiction est une forme d’art tout à fait spéciale, qui se manifeste à travers la littérature, le cinéma et la télévision, et qui a son originalité propre. Cette originalité consiste à admettre que le monde peut changer : au lieu de rechercher les valeurs éternelles, de parler indéfiniment de l’amour et de la mort, la science-fiction décrit des changements. Et il n’y a guère de changements que la science-fiction n’aient envisagés. C’est ainsi que la contre-culture est décrite dans Breakdown (Jack Williamson, 1942) et dans The Cosmic Geoids (Eric Temple Bell, 1949) : aucun sociologue de l’époque ne prévoyait le retour à l’astrologie et la révolte générale contre la science. Prenons un autre exemple en astronomie : la collision de deux galaxies produisant une radiosource a été imaginée par Edward Elmer Smith dans Gray Lensman en 1940 ; l’effet lui-même ne fut scientifiquement découvert qu’une quinzaine d’années plus tard. Au moment où Gray Lensman fut écrit, la radioastronomie n’était pas encore inventée.

On a pu dire souvent, devant des coïncidences de ce genre, que la science-fiction est une manière de prédire l’avenir. Cela est faux dans la mesure où, pour une prédiction de la science-fiction qui se réalise, on peut en citer mille qui n’aboutissent pas. Mais la science-fiction décrit des mondes possibles, et elle en décrit une très grande quantité. Elle ne se borne pas actuellement aux gadgets ni même aux grandes techniques matérielles ou énergétiques. Elle décrit également des changements produits par des inventions psychologiques, politiques ou sociales.

Elle n’est ni optimiste ni pessimiste ; sa caractéristique n’est pas de construire des utopies ou des anti-utopies, mais de « distraire ». Aussi le sens de l’humour en est-il rarement absent, comme dans cet exemple significatif que donne la nouvelle de Robert Sheckley Un billet pour Tranaï (1956). Sur la planète Tranaï, le président a un pouvoir dictatorial absolu, mais il porte autour du cou un médaillon contenant de l’explosif et un récepteur de radio : quand un nombre suffisant de citoyens ont émis un signal de radio manifestant leur mécontentement, le président explose. Sur Tranaï, les percepteurs se promènent la nuit, portant un masque noir et armés d’un revolver : ils s’emparent, sous la menace de leurs armes, du portefeuille des promeneurs, qui ont ainsi deux portefeuilles, l’un pour leurs activités normales, l’autre pour le percepteur. Sur Tranaï, on conserve les femmes dans un champ de forces où le temps ne s’écoule pas : on les en retire quand on en a besoin, ce qui fait qu’elles sont toujours jeunes et de bonne humeur. Sur Tranaï, on peut gagner sa vie comme anti-inventeur ; ce métier consiste à détraquer au maximum les machines, et en particulier les robots à forme humaine pour que les humains n’aient pas de complexe d’infériorité : le robot qui sert à table se renverse de temps en temps la soupe sur le corps ; ainsi, les humains peuvent rire et se sentir supérieurs.