Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Schisme d’Orient

Expression par laquelle on désigne souvent, assez arbitrairement, la rupture de communion ecclésiastique entre l’Église catholique romaine et les Églises de la « communion orthodoxe », qui ont adopté la discipline et les positions doctrinales du patriarcat œcuménique de Constantinople.


On a retenu, non moins arbitrairement, pour dater le début de cette rupture, les excommunications réciproques des titulaires des sièges épiscopaux de Rome et de Constantinople, les 16 et 24 juillet 1054. C’est seulement le 7 décembre 1965 qu’un acte signé en commun par le pape Paul VI et le patriarche Athênagoras Ier de Constantinople devait déclarer « abolie » la mémoire de ces anathématismes.


Origines lointaines du schisme

En fait, cette longue rupture — non encore complètement effacée — plonge ses racines dans de multiples malentendus et tensions politiques et culturels, disciplinaires et doctrinaux qui apparaissent dès les premiers siècles du christianisme et se renforcent avec la séparation définitive des deux parties occidentale (latine) et orientale (grecque) de l’Empire romain à la fin du ive s. (395), bientôt suivie par les invasions germaniques et l’effondrement des institutions impériales en Occident. Déjà, dans le courant du ive s., les controverses doctrinales nées de l’arianisme (v. Arius) et les fluctuations de la politique ecclésiastique qui les avaient accompagnées rendaient patentes les différences qui existaient dans l’expression de la foi chrétienne entre les régions de langue latine et celles de langue grecque ; elles accentuaient plus encore les divergences déjà profondes sur l’organisation de l’Église et le rôle du siège de Rome. L’attitude prise par celui-ci durant la longue crise de l’Église d’Antioche déchirée en plusieurs factions (362-414) devait provoquer les plaintes amères d’un saint Basile* de Césarée à l’égard du comportement du pape Damase et des évêques d’Italie.

Si le concile de Chalcédoine (451) acclame comme expression de la foi orthodoxe les formulations établies par saint Léon* en synode romain, ce même concile confirme (28e canon) l’égalité d’honneur entre les sièges de l’Ancienne Rome et de la Nouvelle (Constantinople), posée au concile constantinopolitain de 381. Rome refusera d’entériner cette décision au titre de la fidélité à la règle établie à Nicée (325) des trois sièges principaux : Rome, Alexandrie, Antioche.

Bientôt, les controverses christologiques vont provoquer le schisme d’Acace, sous les empereurs Zénon et Anastase (484-519), puis le schisme monothélite (638-681) [v. monophysisme], suivi de ceux qui seront provoqués par l’iconoclasme (726-787 ; 813-843) [v. Isauriens (dynastie des)]. Derrière ces dissensions, dans lesquelles la politique des empereurs byzantins joue un rôle prédominant, se dessinent des causes plus profondes de mésentente. Depuis le règne d’Héraclius (610-641), la connaissance du latin a presque totalement disparu dans le monde byzantin ; il y a longtemps déjà — dès le début du ve s. — que le grec est à peu près ignoré en Occident. Surtout, en raison des situations politiques, économiques et culturelles de plus en plus différentes, la discipline ecclésiastique évolue différemment dans les chrétientés latines et byzantines : quand le concile quinisexte (ou in Trullo, 691-92) codifie la discipline byzantine, celle-ci apparaît sur bien des points incompatible avec les usages de l’Occident. Les deux fractions du monde chrétien deviennent de plus en plus étrangères l’une à l’autre et l’on peut avec le P. Yves Congar parler d’un progressif estrangement.


L’affaire du « Filioque » et la crise photienne (866-890)

La reconstitution par le pape Léon III d’un Empire romain d’Occident en faveur de Charlemagne (800), si elle ne soulève pas au départ de protestation de la part de Constantinople, n’en provoque pas moins à plusieurs égards une aggravation des tensions déjà existantes. Trois faits, bien différents, vont jouer un rôle de plus en plus important.

• Dès 794 (concile de Francfort), Charlemagne, avec l’approbation de Léon III, impose le chant du Credo de Nicée-Constanlinople avec l’incise Filioque (et du Fils) dans la phrase qui traite de l’origine (procession) du Saint-Esprit. En 807, après un voyage de leur abbé à Aix-la-Chapelle, les moines latins du mont des Oliviers à Jérusalem adoptent cet usage, que les Grecs leur reprochent comme une inacceptable innovation. Dans la controverse qui s’ensuit, ils ont la maladresse de reprocher aux Grecs d’avoir supprimé frauduleusement cette incise et les accusent d’hérésie. Il ne semble pas que, sur le moment, cette affaire ait eu de graves conséquences.

• Mais l’insertion du Filioque va rebondir dans le cadre autrement complexe de la crise photienne. Au départ, il y a l’élévation au siège patriarcal de Constantinople d’un haut fonctionnaire impérial, Photios (858), Ignace, le patriarche légitime depuis 847, ayant été contraint d’abdiquer sous la pression de Bardas, oncle et ministre du faible empereur Michel III. Ignace ayant fait appel à Rome, le pape Nicolas Ier (858-867) convoque un synode qui réduit à l’état laïque le « patriarche intrus » (avr. 863), puis, devant son refus d’obtempérer, écrit à Michel III une longue lettre affirmant la primauté romaine (sept. 865). Photios ripostera bientôt dans une « encyclique aux patriarches orientaux » (été 867) et fait déposer et anathématiser le pape Nicolas par un synode, qu’il qualifie de concile œcuménique. Parmi les hérésies reprochées au pape et aux Latins figure au premier rang l’insertion du Filioque. Vers la fin de sa vie, Photios — qui, finalement déposé au concile de 869 et rétabli sur son siège patriarcal après la mort d’Ignace (877), abdique définitivement en 886 — développera sa propre théologie sur la procession du Saint-Esprit dans sa Mystagogie du Saint-Esprit (entre 886 et 890).

• Ces divergences doctrinales — du moins quant aux formulations — ne se seraient sans doute pas aussi gravement exacerbées si n’était venu interférer avec elles un lourd contentieux de politique ecclésiastique. Celui-ci prend origine dans la décision de l’empereur Léon III l’Isaurien et de Constantin V Copronyme (sans doute en 732-33) de soumettre à la juridiction du patriarcat de Constantinople les évêchés de l’Illyricum oriental (Balkans) qui constituaient jusqu’alors un vicariat du patriarcat romain. La question rebondit avec l’adhésion au christianisme (v. 865) du khanat bulgare, qui s’était implanté dans ces régions. Désireux de constituer une Église nationale, le khān Boris (852-889), qui, sous le nom de Michel, a reçu le baptême de missionnaires byzantins, se tourne un moment vers Rome, et Nicolas Ier répond à ses questions en exposant la discipline romaine. Ce sont précisément ces réponses qui provoquent l’encyclique de Photios et l’anathème qu’il lance en 867 contre Nicolas Ier.