Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sartre (Jean-Paul) (suite)

En 1956, les chars soviétiques soumettent le peuple hongrois. Sartre rompt avec le P. C. F. et condamne l’intervention (« le Fantôme de Staline », paru dans les Temps modernes, 1957). Mais, s’il avait approuvé en 1952 le communisme au nom des principes de l’existentialisme, il s’en sépare cette fois au nom du marxisme lui-même : ce marxisme « gelé » reste « la philosophie indépassable de notre temps ». Avec l’aggravation de la guerre d’Algérie et l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir, Sartre se rapproche de nouveau du P. C. F. dans une alliance somme toute négative. Il dénonce la torture et la répression de l’armée française. Surtout, à partir de 1960, il soutient la politique d’aide au F. L. N. qu’organise son ami Francis Jeanson et dénonce la « gauche respectueuse » : les communistes et les socialistes qui hésitent devant la révolution algérienne. Il se sent proche des mouvements de libération du tiers monde, dont il légitime la violence (préface aux Damnés de la terre de Frantz Fanon, 1961). Il visite Cuba et se lie d’amitié avec les dirigeants libéraux du parti communiste italien.

Mais, à la fin de la guerre d’Algérie, Sartre ne semble plus croire à une évolution positive de la politique française. Il est antigaulliste, antistalinien — sans développer publiquement sa critique du communisme. Il appelle à l’unité de la gauche en France mais ne participe guère qu’aux combats internationaux contre le colonialisme, puis contre l’intervention américaine au Viêt-nam. Pourtant, dès 1960, il avait préfacé la réédition d’Aden Arabie de Paul Nizan, une voix oubliée qui criait sa colère : « Ne rougissez pas de vouloir la lune : il nous la faut. »

La révolte étudiante de mai 1968, l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques rompent les derniers liens qui rattachaient Sartre au système de pensée communiste : il existe désormais une nouvelle extrême gauche à la gauche du P. C. F., et Sartre lui apporte sa solidarité. En 1970, il devient directeur de la Cause du peuple, organe maoïste plusieurs fois poursuivi par le ministère de l’Intérieur. D’abord nouveau compagnon de route de l’ensemble du gauchisme, il se rapproche des maoïstes de l’ex-Gauche prolétarienne, dont il approuve les méthodes illégales et la violence. Avec le quotidien Libération, dont il est également le directeur à sa fondation en 1973, Sartre espère en un rassemblement de toutes les tendances anti-hiérarchiques qui travaillent la société. Plus intégré qu’il ne le fut jamais à un groupe politique, il donne aux débats et au militantisme un temps qu’il refuse plus souvent qu’autrefois à la littérature. Il s’en explique en 1974 dans un recueil d’entretiens, On a raison de se révolter. Jean-Paul Sartre pense avoir réussi avec les maoïstes ce qui a échoué avec le parti communiste français : « Si j’avais eu la même enfance, et le même grand-père, je ne conçois pas d’autre trajet. Je vous le dis en toute naïveté : je ne suis pas mécontent de moi. Simplement, j’aurais voulu — mais ça ne dépendait pas de moi — que ce trajet fût plus court, autrement dit que les événements de mai 1968 eussent eu lieu en 55 ou en 60. »

M.-A. B.

➙ Engagement en littérature / Existentialisme / Phénoménologie.

 G. Varet, l’Ontologie de Sartre (P. U. F., 1948). / N. Cormeau, Littérature existentialiste. Le roman et le théâtre de Jean-Paul Sartre (Thone, Liège, 1951). / R. M. Albérès, Jean-Paul Sartre (Éd. universitaires, 1953). / H. Duméry, Foi et interrogation (Téqui, 1953). / A. Stern, Sartre, his Philosophy and Psychoanalysis (New York, 1953). / F. Jeanson, Sartre par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1955) ; le Problème moral et la pensée de Sartre (Éd. du Seuil, 1966) ; Sartre (Desclée De Brouwer, 1966) ; Sartre dans sa vie (Éd. du Seuil, 1974). / C. Audry, Connaissance de Sartre (Julliard, 1956) ; Jean-Paul Sartre (Seghers, 1966). / P. Naville, l’Intellectuel communiste. À propos de Jean-Paul Sartre (Rivière, 1957). / S. de Beauvoir, la Force de l’âge (Gallimard, 1960). / M. W. Cranston, Sartre (Édimbourg, 1962). / R. Garaudy, Questions à Jean-Paul Sartre (Éd. Paris-Province, 1962). / J. Houbard, Un père dénaturé. Essai sur la pensée philosophique de Jean-Paul Sartre (Julliard, 1964). / R. D. Laing et D. G. Cooper, Reason and Violence (Londres, 1964 ; trad. fr. Raison et violence, Payot, 1972). / R. Jolivet, Sartre ou la Théologie de l’absurde (Fayard, 1965). / Jean-Paul Sartre, numéro spécial de l’Arc (Aix-en-Provence, 1966). / R. Lafarge, la Philosophie de Jean-Paul Sartre (Privat, Toulouse, 1967). / T. S. Molnar, Sartre, ideologue of our Time (New York, 1968 ; trad. fr. Sartre, philosophe de la contestation, les Sept couleurs, 1969, nouv. éd. la Table ronde, 1972). / G. J. Prince, Métaphysique et technique dans l’œuvre romanesque de Sartre (Droz, Genève, 1968). / D. McCall, The Theatre of Jean-Paul Sartre (New York, 1969). / M. Contat et M. Rybalka, les Écrits de Sartre. Chronologie-Bibliographie commentée (Gallimard, 1970). / G. Idt, « le Mur » de Jean-Paul Sartre. Techniques et contexte d’une provocation (Larousse, 1972). / N. Martin-Deslias, Jean-Paul Sartre ou la Conscience ambiguë (Nagel, 1972). / P. Verstraeten, Violence et éthique. Esquisse d’une critique de la morale dialectique à partir du théâtre politique de Sartre (Gallimard, 1972). / A. J. Arnold et J.-P. Piriou, Genèse et critique d’une autobiographie. « Les Mots » de Jean-Paul Sartre (Lettres modernes, 1973). / I. Joubert, Aliénation et liberté dans « les Chemins de la liberté » de Jean-Paul Sartre (Didier, 1973). / Les Critiques de notre temps et Sartre (Garnier, 1973). / R. Gutwirth, la Phénoménologie de Jean-Paul Sartre (Privat, Toulouse, 1974).

Quelques repères biographiques

1905

Le 21 juin, naissance de Jean-Paul Sartre à Paris.

1906

Mort de son père.

1917

Remariage de sa mère.

1924

Sartre entre à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, où il se lie avec Paul Nizan.

1928

Échec à l’agrégation de philosophie.

1929

Sartre est reçu premier à l’agrégation de philosophie. Il rencontre Simone de Beauvoir. En octobre, il part faire son service militaire à Tours.

1931

En février, il est libéré de ses obligations militaires. Il est nommé professeur de philosophie au Havre.

1933

En février, il cesse d’enseigner au Havre. En été, il voyage en Espagne. En septembre, il succède à Raymond Aron à l’Institut français de Berlin.

1934