Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

São Paulo (suite)

Pourtant, en 1776, on ne recense encore que 2 026 personnes ; São Paulo ressemble à de multiples autres petites villes brésiliennes ; rien ne laisse présager un avenir brillant. Certes, dès ses premières décennies, le xixe s. apporte à la ville un certain nombre de facteurs d’essor, sans pourtant modifier considérablement son caractère de petite cité : la mise en valeur plus intense de la région agricole, grâce au développement de la culture de la canne à sucre, crée une classe dirigeante sur le plan économique et financier ; le progrès de la culture du coton entraîne une certaine prospérité chez ceux qui la pratiquent, si bien que São Paulo devient le centre d’une zone plus riche ; la ville anime donc un commerce plus important grâce à la commercialisation des produits agricoles de la région et à la distribution des produits importés par le port voisin de Santos. En effet, c’est à São Paulo même que se fixent ces nouvelles fonctions commerciales, car la ville est le siège d’une administration civile et religieuse ; en outre, la cour du roi du Portugal, installée dans la ville relativement voisine de Rio de Janeiro en 1807, lorsque le souverain a quitté la métropole, crée par sa richesse et son administration quelques activités complémentaires à São Paulo. En 1836, on estime à 21 000 le nombre d’habitants de cette cité ; la culture du café, qui commence à se développer au Brésil, occupe les terres de la vallée du Paraíba et fait de la ville de Rio de Janeiro la première capitale de ce produit, sans apporter de notable source de richesse à São Paulo. Cette situation dure jusque vers 1870, moment capital dans l’évolution de la ville. À partir de cette époque, en effet, le front pionnier du café gagne l’arrière-pays pauliste. Les grands propriétaires producteurs de café, les fazendeiros, s’installent à São Paulo et profitent des richesses exceptionnelles des sols de la zone des plateaux pour édifier des fortunes énormes : ils transforment la ville en capitale économique à l’échelle de leur richesse. Les grands planteurs en effet s’occupent davantage de la commercialisation que de la culture du café, et les contacts nécessaires avec les intermédiaires et les exportateurs les incitent à choisir une résidence urbaine.

D’autre part, pour les besoins mêmes de la culture, des sociétés font construire des lignes de chemin de fer reliant São Paulo à l’ensemble de l’espace intérieur ; des compagnies d’immigration et de colonisation apportent la main-d’œuvre nécessaire ; cette zone est un des lieux d’impact de la seconde vague d’immigration, qui fait venir d’Europe des Espagnols, des Portugais, des Italiens et des ressortissants d’autres nationalités en Argentine, en Uruguay, dans le Sud brésilien et particulièrement dans cette région de São Paulo. La ville connaît alors un essor démographique considérable. Planteurs et commerçants disposent d’un niveau de vie très élevé, ce qui entraîne le développement de très nombreuses activités de commerce ainsi que les premières formes d’industrialisation : divers petits ateliers se créent pour produire certains objets vendus sur le marché pauliste. Au début de cette période, vers 1870, il y a quelques hésitations dans le choix de la véritable capitale économique de cette zone du café, et la cité de Campinas croit un moment pouvoir rivaliser avec São Paulo. Le choix définitif qui aboutit à la prépondérance de São Paulo est sans doute facilité par les conditions particulières de climat : située sur le plateau à 800 m d’altitude, la région de São Paulo est en effet beaucoup plus fraîche que les autres points habités à la même latitude ; la moyenne annuelle des températures n’y est que de 17,5 °C et, dans les trois mois les plus chauds, décembre, janvier et février, la moyenne ne dépasse guère 21 °C. Aussi, dès la fin du xixe s., la ville est à l’abri des maladies tropicales, fièvre jaune et malaria, qui sévissent encore dans les zones plus basses.

À partir de 1870, l’afflux de population (il y aura, de 1877 à 1914, 1 819 000 immigrants, dont 846 000 Italiens) fait craquer les vieux cadres de la cité, et l’agglomération urbaine déborde son site originel. La colline qui abritait le collège jésuite devient le centre des affaires, où se localisent les magasins, les bureaux des maisons de commerce, les banques ; les quartiers de résidence s’étendent au-delà, dans les vallées ou sur les collines des environs. C’est dans cette ambiance dynamique, provoquée par l’extension des plantations de café et l’enrichissement des fazendeiros, que se situe le dernier et le plus important facteur de croissance de la ville : l’industrialisation. Dès la fin du xixe s., un premier effort du gouvernement brésilien pour réserver le marché intérieur à une industrie nationale par l’instauration de barrières douanières, particulièrement sur les cotonnades, entraîne non l’essor des filatures — car on continue à importer des fils —, mais celui des tissages. La plupart de ces usines s’installent à São Paulo pour diverses raisons : l’enrichissement provoqué par le café en a fait le plus grand foyer de consommation brésilien ; l’immigration récente y a amené des entrepreneurs dynamiques ; l’équipement hydro-électrique facilite l’industrialisation.

Par la suite, la Première Guerre mondiale, qui freine les possibilités d’importation de produits fabriqués en Europe, puis la crise de 1929 favorisent encore l’essor industriel pauliste. En effet, la période de prospérité du café entre 1920 et 1929 provoque un développement remarquable du pouvoir d’achat aussi bien des planteurs que des ouvriers, et, d’autre part, la difficulté, en 1929, de vendre le café entraîne ces planteurs à investir leur capital disponible dans une autre activité et à devenir des industriels. Dans l’entre-deux-guerres, la ville ne cesse donc de grandir et d’accroître encore le marché pour les produits des industries de biens d’usage. Aussi, lorsque les capitaux étrangers commencent à s’intéresser au marché brésilien en général et que, grâce à ces capitaux, s’implantent des usines en vue de la fabrication d’objets destinés à la consommation brésilienne, c’est encore à São Paulo que se fixent la plupart de ces investissements étrangers. Dès 1925-1930, les capitaux canadiens provoquent la création d’une cimenterie, et les firmes d’automobile américaines, Ford et General Motors, construisent des ateliers de montage. À l’époque de la Seconde Guerre mondiale, ce mouvement d’industrialisation prend une dimension beaucoup plus importante, et la part des capitaux étrangers s’accroît encore : il y a une poussée spectaculaire de l’industrie automobile, des industries associées et, d’une façon générale, de la mécanique et de la chimie. Toutes ces usines travaillent pour l’ensemble du Brésil, mais continuent à se fixer à São Paulo et dans ses environs immédiats. La ville prend alors une importance démesurée : 1 300 000 habitants en 1940, 3 800 000 en 1960, plus de 6 millions actuellement. Les émigrants continuent à s’y installer, des Japonais en particulier.