Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Saint-Simon (Claude Henri de Rouvroy, comte de) (suite)

Première idée d’un parti

« Un parti est organisé lorsque tous ceux qui le composent, unis par des principes communs, reconnaissent un chef qui concentre tous les mouvements et dirige toutes les opérations, de sorte qu’il y ait à la fois unité dans l’action et dans les vues et que, par conséquent, la force du parti soit la plus grande possible. »

Pour une religion

« On a cru que tout système religieux devait disparaître parce qu’on avait réussi à prouver la caducité du système catholique. On s’est trompé. La religion ne peut disparaître du monde. Elle ne fait que se transformer. Rodrigues, ne l’oubliez pas et souvenez-vous aussi que pour faire de grandes choses, il faut être passionné » (1825).

Le but de l’organisation sociale

« Dans le nouvel ordre politique, l’organisation sociale doit avoir pour objet unique et permanent d’appliquer le mieux possible à la satisfaction des besoins de l’homme les connaissances acquises dans les sciences, dans les beaux arts et dans les arts et métiers... Les hommes doivent se proposer comme but d’améliorer le plus promptement et le plus complètement possible l’existence morale et physique de la classe la plus nombreuse. »

« Chacun devra se trouver classé suivant sa capacité et rétribué selon ses œuvres. »

Le saint-simonisme et l’économie

Le comte de Saint-Simon a écrit une œuvre économique volumineuse de laquelle se détachent : Vues sur la propriété et la législation (1814) ; l’Industrie (1816-1818) ; le Catéchisme des industriels (avec des parties dues à son secrétaire A. Comte, 1823-24) ; le Nouveau Christianisme (1825). Dans ces différents ouvrages, il s’y montre visionnaire des conséquences du progrès industriel, lanceur d’idées où le talent le dispute à la fantaisie, réformateur moral et pseudo-religieux, promoteur du bien-être matériel par l’industrialisation, fondateur de l’organisation autoritaire de l’économie. Il réussit ainsi à enthousiasmer un certain nombre de fidèles qui, après sa mort, se mettent à diffuser ses idées. En réalité, ils en ajouteront de leur propre cru, notamment celles qui seront vraiment socialistes.

Cependant, ce n’est pas tellement par leurs spéculations intellectuelles ou leurs études économiques que Saint-Simon et ses disciples ont exercé une influence sur l’économie concrète. De ce point de vue, le saint-simonisme eut peu d’effet par sa doctrine ; il en eut beaucoup par son état d’esprit. Les analyses économiques des saint-simoniens sont peu nombreuses et assez pauvres ; elles se situent beaucoup plus sur un plan historique et sociologique qu’économique. Elles proposent une conception évolutionniste de la société, où les antagonismes forment un des moteurs du passage des périodes critiques aux périodes organiques. Leurs conceptions annoncent déjà les thèses qui seront développées ultérieurement par divers auteurs socialistes. Karl Marx* reprendra, lui aussi, le thème de l’évolution historique et de l’opposition des classes, mais en le transformant profondément. Dans le domaine social, les saint-simoniens sont avant tout partisans d’une organisation à base de centralisation et de suppression de l’héritage, affirmant ainsi une fois de plus leur socialisme ; mais les disciples affichent celui-ci plus nettement que le maître.

En réalité, les saint-simoniens ont joué un rôle important par l’ardeur avec laquelle ils ont lancé un certain nombre d’idées nouvelles contribuant à répandre un esprit favorable à l’essor industriel. Cette influence se marqua de deux façons différentes. D’une part, l’influence du saint-simonisme a joué sur les hommes. Il a agi fortement sur des personnalités jeunes qui devinrent des hommes d’affaires ou des créateurs de premier plan : les frères Pereire, qui furent banquiers, Lesseps, Hippolyte Carnot, les Talabot. D’autre part, le saint-simonisme développa fortement la foi dans le progrès industriel et dans les vertus de la production* et de l’organisation. Sur ce point, la doctrine rompt officiellement les ponts avec le libéralisme comme avec l’idéologie des lumières. En effet, les saint-simoniens dressent le projet d’une industrie organisée, contrôlée par le pouvoir central. En conséquence, ils estiment que les instruments de production doivent être répartis en fonction des besoins de chaque localité et de chaque branche d’industrie et en raison des capacités individuelles, afin d’être mis en œuvre par les plus capables. En outre, la production doit être organisée de telle façon que l’on n’ait jamais à redouter dans aucune de ses branches ni disette ni encombrement. La croyance en l’organisation équivaut dans l’esprit des saint-simoniens à une condamnation du libéralisme : « De ce qu’il y a des institutions corporatives désormais périmées, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’un sauve-qui-peut général nommé concurrence* soit le superlatif du bien-être industriel. » De telles affirmations montrent que le saint-simonisme a su deviner l’influence qu’allaient prendre la technique moderne, le machinisme, l’action de la presse sur l’opinion, le rôle des banques*, etc. Dans une certaine mesure, il a non seulement renouvelé l’industrialisme de Colbert, mais il a été aussi un promoteur du progrès des techniques modernes. Il insuffla un grand dynamisme à toute une génération d’hommes d’affaires. Cette ferveur à l’égard de l’organisation industrielle s’explique parce que les saint-simoniens croient qu’elle conduira automatiquement à la socialisation : en effet, grâce à une meilleure utilisation des capitaux, elle permet d’obtenir une production plus intense et de réaliser — par la centralisation menant à une meilleure connaissance des besoins — une distribution plus satisfaisante du produit.

G. R.

➙ Économique (science).

G. L.

 G. Weill, Un précurseur du socialisme, Saint-Simon et son œuvre (Perrin, 1894). / M. Leroy, le Socialisme des producteurs, H. de Saint-Simon (Rivière, 1924). / S. Charléty, Histoire du saint-simonisme (Hartmann, 1932 ; nouv. éd., Gonthier, 1964). / G. Gurvitch, les Fondateurs français de la sociologie contemporaine : Saint-Simon et Proudhon (C. D. U., 1956). / J. Walch, Bibliographie du saint-simonisme (Vrin, 1967). / P. Ansart, Saint-Simon (P. U. F., 1969) ; Sociologie de Saint-Simon (P. U. F., 1970).