Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

saint (suite)

Ainsi les cathédrales empruntaient-elles quelque chose de leur rôle et de leur liturgie aux martyriums des cimetières. Symétriquement, au cours des pèlerinages, on célébra la messe sur les tombeaux des saints. L’usage est attesté dans les catacombes ; il est rendu évident, en architecture, par une adaptation des édifices à plan centré, désormais pourvus d’une abside orientée et d’un autel eucharistique. Les deux types d’édifices se rejoignent, et ce rapprochement joue un rôle dans l’introduction de la coupole sur le plan basilical, phénomène général en Orient : la basilique à coupole et la coupole sur l’église en croix inscrite sont caractéristiques de l’art byzantin*.

Le culte des martyrs s’était développé très vite. On leur a assimilé les ascètes, dont les mortifications faisaient l’admiration des foules. Un des plus beaux martyriums, de la fin du ve s., a été construit autour de la colonne de saint Siméon Stylite. La vénération que les fidèles portaient aux anciens évêques de chaque communauté a pris des formes analogues. Les diocèses, grâce au transport des reliques, ont pu se transmettre leurs cultes particuliers. On a vénéré partout les apôtres, les saints illustres, ceux aussi qui étaient inscrits au Martyrologe romain, par exemple. Ainsi s’est constitué le culte des saints, tel qu’il persiste aujourd’hui dans la plupart des Églises chrétiennes. Il est si étroitement incorporé à la liturgie eucharistique qu’on n’imagine guère qu’il ait pu d’abord en être distinct.

J. L.

➙ Basilique / Paléochrétien (art).

 A. Grabar, Martyrium. Recherches sur le culte des reliques et l’art chrétien antique (Adrien-Maisonneuve, 1947 ; 2 vol.). / J. Lassus, Sanctuaires chrétiens de Syrie (Geuthner, 1947).


Modernes vies de saints

Il y eut dès le haut Moyen Âge des « passionnaires », recueils de Passions de martyrs. On les utilisa dans les bréviaires et dans des compilations universellement diffusées comme la Légende dorée, ou les innombrables collections de vies des saints. Souvent, les légendes anciennes furent corrigées, remaniées, allégées des invraisemblances trop visibles et des contradictions chronologiques flagrantes. Ces modifications rendent plus ingrate la tâche de la critique, beaucoup de lecteurs qui goûtent les Passions des martyrs ou les vies de saints ainsi remaniées ne comprenant pas que retirer d’un roman les parties invraisemblables produit un roman vraisemblable et non une histoire authentique.

Dans la production imprimée, il faut donc distinguer trois espèces de publications concernant les saints.

• Des recueils de documents anciens sont présentés tels qu’ils furent écrits autrefois, avec habituellement un commentaire explicatif. Ces documents, qui peuvent n’avoir aucune valeur historique en ce qui concerne les saints eux-mêmes, sont indispensables pour suivre l’évolution des idées et des mentalités, et connaître l’histoire du culte des saints. La plus importante collection de ce genre est celle des Acta sanctorum des pères bollandistes, qui compte 67 volumes in-folio.

• Certaines vies de saints sont écrites objectivement et s’appuient sur une documentation éprouvée. On peut signaler deux collections : en anglais, The Lives of the Saints du P. H. Thurston ; en français, les Vies des saints, éditées par les bénédictins de Paris. Ces deux collections présentent les saints selon les jours de l’année. Il existe aussi des dictionnaires de saints selon l’ordre alphabétique, le plus important, en 13 volumes in-quarto, est la Bibliotheca sanctorum.

• De très nombreuses vies de saints, soit isolées, soit en collections, déjà anciennes ou malheureusement plus récentes, se contentent de répéter en les mettant au goût du jour ce qu’on raconte traditionnellement sur les saints ; ces mélanges de renseignements de provenance et de valeur diverses, trop souvent médiocres, ont un caractère anecdotique qui ne permet pas d’avoir une véritable idée de la personnalité réelle des saints. Il est dommage qu’on s’imagine qu’un souci d’édification n’ait pas à tenir compte de l’histoire sérieuse.


Surnaturel et merveilleux

Le succès de beaucoup de vies de saints s’explique par le désir qu’on eut de lire ou d’entendre des récits extraordinaires, de voir des héros accomplir des prodiges, échapper à leurs ennemis, guérir instantanément, réaliser des exploits extraordinaires. Ce besoin de merveilleux est commun à tous les hommes ; on le rencontre aussi bien dans les épopées que dans les romans d’aventures les plus modernes ; il n’est pas une caractéristique de l’hagiographie, même si une allusion à la toute-puissance de Dieu tend à lui donner une apparence religieuse.

On a reproché à la critique hagiographique de mépriser ou même de nier le surnaturel, de refuser de reconnaître l’intervention divine. En fait, la critique hagiographique doit être très prudente devant les faits merveilleux ; se prononcer sur la possibilité théorique du miracle n’est pas du ressort de la critique historique, mais de la philosophie. Il n’en reste pas moins vrai que certains faits ont pu passer autrefois pour extraordinaires parce qu’on ignorait leurs causes, et qu’il est le plus souvent très difficile de décider, faute d’éléments suffisants. L’historien doit savoir reconstituer exactement un fait tel qu’il a été vu et compris par les contemporains, sans porter de jugement personnel, quand les éléments décisifs font défaut.

Le triomphe du saint se place au plan surnaturel, c’est-à-dire au plus intime des rapports avec Dieu ; il peut y avoir des manifestations spectaculaires, mais elles ne sont pas nécessaires. À toutes les époques, les uns se délectent de récits merveilleux, les autres se méfient de tout ce qui paraît étrange ; la critique hagiographique a le rôle difficile d’échapper à ces deux excès et de suivre les saints dans leur cheminement réel et quelquefois déconcertant.