Saba (Umberto) (suite)
Trieste et une femme — Lina, qu’il épousa en 1911 et à la mort de qui il ne survécut que quelques mois —, ce titre de Saba, résume les deux grands amours d’une vie vouée à la fidélité. L’œuvre du poète est également peuplée de tendres figures d’enfants dont on ne sait s’ils sont objet de désir ou de nostalgie. Saba ne quitta jamais Trieste que forcé : pour son service militaire (à Salerne, 1907-08) — d’où naîtront les Versi militari, recueillis plus tard dans le Canzoniere —, pendant la Première Guerre mondiale et à la veille de la Seconde pour fuir (à Paris, à Rome et à Florence) la persécution raciale du régime fasciste. Il dut alors vendre la librairie antiquaire qui l’avait fait vivre jusque-là.
Ses débuts poétiques, plutôt précoces, passèrent inaperçus : Il Mio Primo Libro di poesie (1903, réédité en 1911) ; Il Mio Secondo Libro di versi : coi miei occhi (1912), accueilli avec réticence par le groupe florentin de La Voce, qui l’avait pourtant édité ; Preludio e canzonette (1923) ; Autobiografia (1924) ; I Prigioni (1924). Le mérite de la véritable découverte de Saba revient à la revue florentine Solaria (grâce en particulier aux mémorables articles du meilleur exégète de Saba : Giacomo Debenedetti), qui lui consacra un numéro spécial et publia Preludio e fughe (1928), que suivirent Parole (1934), Ultime Cose (1944), Mediterranee (1947) et Uccelli (1950).
Dès 1921, Saba avait rassemblé ses précédents recueils et ses dernières poésies dans le Canzoniere, successivement augmenté en 1945, et dans l’édition définitive, posthume, de 1961. Dans Storia e cronistoria del Canzoniere (1948), lui-même, en troisième personne, il soumet toute son œuvre, pièce après pièce, au commentaire le plus minutieusement anecdotique, le plus ironique, le plus perspicace et, à juste titre, le plus immodeste (non sans quelque, malicieuse revanche à l’égard du « célèbre philosophe » Benedetto Croce*, qui avait jugé de haut ses premiers poèmes). Les petites proses de Scorciatoie e raccontini (1946), d’autre part, fourmillent de saisissants aphorismes et de portraits d’une extrême vivacité.
L’intelligence critique de ces textes fait écho à l’intelligence aiguë des formes élémentaires de la vie qui illumine les brèves « chansons » de Saba, sans doute plus fascinantes que, par exemple, l’ample et ambitieuse Sixième Fugue, à propos de laquelle la critique a évoque Goethe et Verdi. Il faut, enfin, être reconnaissant à Saba, après des siècles de littérature anthropomorphique sottement acharnée à dénaturer les animaux, d’avoir rendu à l’homme, dans d’inoubliables métaphores, la tendresse dolente des bêtes et rappeler au moins, pour ne citer que les plus célèbres, ses croquis de soldats-chiots, son autoportrait en « chèvre sémite » et la litanie amoureuse qu’il adresse à sa femme-poularde-génisse-chienne-lapine-hirondelle-fourmi-abeille (« Je te retrouve ainsi dans toutes / les femelles de tous / les calmes animaux qui rapprochent de Dieu ; / et dans nulle autre femme » [A mia moglie]).
J.-M. G.
G. Debenedetti, Saggi critici. Serie prima (Florence, 1929) ; Saggi critici. Nuova serie (Rome, 1945 ; 2e éd., Milan, 1955). / F. Portinari, Umberto Saba (Milan, 1963 ; 2e éd., 1967). / E. Caccia, Lettura e storia di Saba (Milan, 1967). / R. Aymone, Saba e la psicoanalisi (Naples, 1971).