Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Russie (suite)

Le temps des troubles

Ivan IV meurt en 1584. Son successeur, son fils Fédor Ier (1584-1598), est un simple d’esprit ; son autre enfant, Dimitri, n’a que dix ans. Fédor Ier laisse gouverner son beau-frère Boris Godounov, un boyard qui cherche à redresser l’économie de la Russie dans la paix. C’est ainsi que Godounov commence dès 1594 par convoquer un concile qui décidera de l’abolition des privilèges fiscaux des églises et des couvents. Le recensement des terres, commencé en 1580, s’accompagne d’une redistribution aux nobles et de l’enregistrement des serfs, qui se retrouvent désormais « pieds et poings liés ». L’oukase de 1597, qui accorde aux propriétaires le droit de ramener les paysans fugitifs, aggrave encore la situation des serfs. Cependant, cette mesure stabilise la situation intérieure du pays sans pour autant résoudre la crise économique générale. En 1586-87, Boris, ayant éliminé ses rivaux — Nikita Romanov, les princes Chouïski, Mstislavski et Belski —, a les mains libres. On appellera son règne le « règne de l’apaisement ».

Sur le plan extérieur, Boris remporte des succès : l’armistice avec la Pologne est prolongé ; la guerre russo-suédoise de 1590 à 1595 se termine par la « paix éternelle » ; le traité de Tiavzine rend à la Russie une partie importante du littoral balte, excepté Narva. Godounov fait reculer les frontières du pays. Dans le Sud et l’Est, les Russes bâtissent des forteresses ; ils resserrent les liens économiques avec la Transcaucasie, et la Géorgie se met sous leur protection en 1587. Dans l’Oural et en Sibérie occidentale, l’expansion russe, commencée par Ivan le Terrible, se poursuit avec succès en 1581-82. Les instigateurs en sont les industriels et riches marchands russes Stroganov. Ceux-ci engagent les Cosaques de la Volga commandés par l’ataman Iermak, mais ils sont arrêtés sur l’Irtych et ne seront aidés qu’en 1583 par le gouvernement russe. Ces tentatives d’installation aboutiront au début du xviie s. à l’annexion du khānat sibérien par la Russie. Boris Godounov consolide ses relations diplomatiques avec l’Angleterre, la France, l’Allemagne et le Danemark. Enfin, le concile de 1589 élit le premier patriarche russe, le métropolite de Moscou, Job. L’Église russe est indépendante. Le 15 mai 1591, Dimitri meurt, peut-être assassiné.

La situation intérieure du pays se détériore : la grande famine de 1601-1603 a pour conséquence la fuite des serfs vers le sud et des insurrections paysannes éclatent dans tout le pays. La tension s’accroît aussi au sein du pouvoir. Le tsar Fédor Ier meurt en 1598 ; c’est la fin de la dynastie. Le Zemski Sobor élit Boris Godounov tsar, ce qui provoque le mécontentement de la haute noblesse.

C’est le moment que choisit la Pologne pour se retourner contre la Russie. Le prétexte de cette intervention est l’apparition du faux tsarévitch Dimitri. Celui-ci promet à Sigismond III, roi de Pologne, de rendre l’Église russe à Rome. À l’automne de 1604, le faux Dimitri marche sur Moscou par le nord de l’Ukraine. Il avive les espérances de la paysannerie, qui croit au « tsar légitime », ce qui déclenche une guerre paysanne dans le nord de l’Ukraine. En avril 1605, Boris Godounov meurt ; le 20 juin, le faux Dimitri entre au Kremlin ; les Godounov sont renversés. Mais le mécontentement des partisans du « tsar » se manifeste vite, celui-ci ne tenant pas ses promesses. Le 17 mai 1606, le prince Vassili Chouïski, à la tête des boyards, soulève la population. Le faux Dimitri est tué et Chouïski est élu tsar (1606-1610).

La politique de Vassili Chouïski sera de favoriser immédiatement la haute aristocratie et de promulguer des lois pour consolider le servage. Eclate alors la première guerre paysanne, menée par un ancien serf, Ivan Issaïevitch Bolotnikov († 1608). Partie du nord de l’Ukraine, la révolte s’étend dans tout le pays. Bolotnikov arrive en octobre 1606 dans les environs de Moscou, mais son mouvement manque de cohésion. En octobre 1607, les insurgés se rendent après une résistance acharnée. Les conséquences de l’insurrection sont importantes : le mouvement n’est pas totalement brisé, et, pour la première fois, les masses paysannes se sont révoltées contre le système féodal.

En 1608, les Polonais, avec l’aide d’un nouveau faux Dimitri, envahissent le bassin de la Volga. Le peuple s’insurge et chasse le faux Dimitri durant l’hiver de 1608-09. La crainte des mouvements populaires amène Chouïski, à l’automne de 1609, à introduire les troupes suédoises sur les terres russes. En septembre 1609, Sigismond III assiège Smolensk et se dirige vers Moscou. En mars 1610, le prince Mikhaïl Vassilievitch Skopine-Chouïski (1587-1610) délivre Moscou, mais, en juin, Sigismond III bat les Russes à Touchino.

Vassili Chouïski est détrôné, et le pouvoir est aux mains de sept boyards entièrement soumis aux Polonais. À l’automne de 1610, ces boyards remettent le trône de Russie au prince Ladislas (le fils de Sigismond III). L’indignation populaire est grande : en 1611 naît la première armée des milices populaires, qui combat pour la libération du pays. Smolensk tombe aux mains des troupes polonaises en juin 1611, et les Suédois prennent Novgorod. En septembre, sous l’impulsion du staroste de Nijni-Novgorod, Kouzma Minitch Minine († 1616), naît la seconde armée des milices populaires ; elle est commandée par le prince Dmitri Mikhaïlovitch Pojarski (1578 - v. 1612). En août 1612, cette armée délivre Moscou des Polonais.


La Russie féodale au xviie siècle

Le 21 février 1613, le Zemski Sobor élit tsar un enfant de seize ans, Mikhaïl Fedorovitch Romanov, issu d’une vieille famille de boyards.

Au traité de 1617, la Suède garde les rives de la Neva et les côtes du golfe de Finlande, mais elle rend Novgorod. En 1618, la Pologne signe un armistice et garde Smolensk.

Les conséquences de la dernière période ont été désastreuses pour l’économie du pays ; on a donné à cette époque le nom de « grande ruine de la Moscovie ». Le recensement de 1678 donne 20 p. 1,00 des serfs à la cour du tsar et à l’État, 67 p. 100 aux boyards et à la noblesse récente, et plus de 13 p. 100 aux évêques, aux couvents et à l’Église. Le revenu principal des propriétaires vient des corvées et des redevances. Dans le sud du pays, où domine le riche tchernoziom, les paysans donnent de deux à quatre journées de corvées. Dans le centre, les redevances dominent. Les paysans seigneuriaux paient moins d’impôts d’État que les paysans libres. Les propriétaires sont chargés de faire rentrer les impôts.