Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Russell (Bertrand) (suite)

Cependant, le PCV étant très restrictif (il prohibe même les définitions inductives ; cf. Poincaré, « les Mathématiques et la logique », dans la Revue de métaphysique et de morale, no 14, 1906, pp. 309-10) et la théorie ramifiée des types ayant pour effet de remplacer la notion de nombre réel par celle de nombre réel de différents ordres, Russell complète cette théorie par des axiomes de réductibilité qui affirment que pour toute fonction propositionnelle il en existe une qui lui est coextensive et qui est prédicative :

L’affirmation selon laquelle des classes qui ne sont pas données par une fonction prédicative existent quand même constitue un axiome d’existence de classes ; Russell rétablit les imprédicativités interdites par le PCV ; il nullifie la construction progressive des fonctions propositionnelles des ordres supérieurs ; enfin, il fait disparaître les attributs au profil des classes et ramène l’extensionnalité.

Les historiens de la logique s’accordent à dire que « théorie ramifiée + axiome de réductibilité = théorie simple des types (dans un contexte extensionnel) ». Comme la théorie simple des types réussit à empêcher les paradoxes et comme la ramification paraît artificielle ou comporter des conséquences incommodes, on abandonna la théorie ramifiée.


Les descriptions

Russell avait commencé par réfléchir à l’analyse, proposée par Meinong, des termes sans dénotation, tels que « la montagne d’or ». Attendu qu’on ne peut pas classer la montagne d’or parmi les existants et qu’il y a pourtant une difficulté à dire que la montagne d’or n’existe pas (puisque cet énoncé mentionne quelque chose et qu’aucun énoncé ne peut porter sur rien), Meinong introduisait la notion de subsistants. Russell rejette cette théorie parce qu’elle reconnaît une sorte d’existence à des objets impossibles, ce qui est contradictoire.

Il n’adopte pas non plus la distinction proposée par Frege entre sens (« Sinn ») et dénotation (« Bedeutung »), qui aurait pu le conduire très simplement à ranger « la montagne d’or » parmi les expressions douées d’un sens et dépourvues de dénotation. Dans l’article de The Mind de 1905 et en d’autres occasions, l’emploi de « meaning » par Russell hésite entre sens et dénotation ou référence. Selon une mise au point de Geach, les couples de mots « meaning » et « denotation », « Sinn » et « Bedeutung » ne se correspondent pas (du moins dans l’emploi que Russell fait des premiers), et le meaning russellien correspondrait plutôt à la Bedeutung de Frege. Par exemple, le meaning d’un terme singulier ou d’un nom propre est, d’après Russell, l’objet qui porte ce nom.

Russell pense échapper à la nécessité d’admettre des subsistants par sa théorie des descriptions. Une description permet de paraphraser les énoncés où figurent certains termes singuliers sans donner un équivalent direct de ces termes. Ainsi :

se paraphrase d’abord en

et (2), où on vient de faire apparaître une description (« le x tel que... x... »), s’analyse en :

L’énoncé (1) posait une énigme parce que son sujet grammatical ne désigne rien (en 1905) ; or, d’après (3), on voit que c’est un énoncé faux. (3) ne contient que des quanteurs, des variables, des fonctions propositionnelles et des fonctions de vérité. L’exemple montre que des énoncés où figurent des termes singuliers vides peuvent avoir un sens (une valeur de vérité) sans qu’on soit obligé de reconnaître l’existence d’objets qui n’existent pas. Dans (1), « l’actuel roi de France » est sujet apparent exactement comme « quelque chose » dans « quelque chose est blanc », et il disparaît du fait de sa paraphrase (3).

Le schéma général d’élimination est le suivant :

« le x tel que φx » étant symbolisé par ιxφx. À la différence de Frege, Russell ne pose pas de convention pour la dénotation des descriptions impropres, c’est-à-dire pour le cas dans lequel ou bien aucun objet ne satisfait φ ou bien plus d’un objet satisfait φ. Dans de tels cas, Frege stipulait que ιxφx désignerait une non-entité ou l’ensemble vide. Russell permet l’emploi d’une description même lorsque les prémisses de description ou formules d’unité associées à la fonction propositionnelle considérée ne sont ni prouvées ni admises comme hypothèses. Il en résulte, en particulier, que des formules comme φ(ιxφx) ne sont pas vraies en général (si l’actuel roi de France n’existe pas ou s’il y en a plus d’un, la proposition « l’actuel roi de France est un actuel roi de France » est fausse ;) ; il en est de même de la loi d’extensionnalité suivante :

qui n’est pas valide, son conséquent prenant la valeur « faux » lorsque φ et ψ sont identiquement fausses. L’exclusion des descriptions impropres cadre bien avec l’usage courant de la langue où celles-ci sont rares ; mais elle cadre moins bien avec la pratique des mathématiques, où des expressions telles que « la fonction qui tend vers l’infini le plus rapidement », etc., sont considérées comme parfaitement significatives et où il n’est pas rare d’introduire une description définie (ou la fonction qui en tient lieu) avant d’avoir prouvé l’existence et l’unicité. Leur exclusion semble toutefois nécessaire, eu égard à l’optique de Russell : à une description contradictoire (le carré rond par exemple) ne doit correspondre absolument aucun objet ; admettre une non-entité n’est pas conforme à la pensée de Russell.

D’autres logiciens (Strawson, On Referring, 1950) estiment que la théorie russellienne des descriptions, en assignant la valeur « faux » à toute phrase simple portant sur un inexistant, est infidèle à l’usage courant : « L’actuel roi de France est sage », qui présuppose la fausseté « L’actuel roi de France existe », n’est donc ni vrai ni faux. La critique de Strawson va surtout à l’encontre de tout essai d’enrégimentement du langage usuel dans le cadre d’analyse d’une logique symbolique.

En tout état de cause, le point capital de la théorie russellienne des descriptions est l’emploi d’un procédé renouvelé de J. Bentham (la paraphrase), et que Russell nomme procédé de la définition contextuelle, que par la suite il appliquera à l’élimination des symboles de classe, comme on l’a vu plus haut.