Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rubens (Petrus Paulus) (suite)

Une œuvre multiple

À côté de ces deux thèmes majeurs, religion et mythologie, auxquels se rattachent par leur identité de conception les allégories et les sujets historiques, tous les autres genres seront abordés. Tout d’abord, le portrait. Rubens a peint ses deux femmes (Hélène Fourment, la seconde, très souvent), ses enfants, lui-même, plusieurs de ses amis, mais surtout de grands personnages : Philippe IV et sa femme, Élisabeth de Bourbon, Sigismond III, les archiducs Albert et Isabelle à différentes reprises, le cardinal-infant Ferdinand, Anne d’Autriche, le due de Buckingham, le marquis de Spinola et bien d’autres ; il y ajoute même le portrait de personnages qu’il n’a jamais vus : Charles le Téméraire, l’empereur Maximilien, Philippe II. Plantin et ses proches. Si les dessins préliminaires révèlent des visages souvent ingrats, ses pinceaux flatteurs les idéalisent à point pour les rendre tous avenants.

Le tableau de chasse est remis en honneur. Le genre convient au tempérament du peintre, qui compose de fougueuses mêlées, où les hommes et les chevaux sont aux prises avec des lions, des léopards ou des sangliers. Le paysage occupe dans l’œuvre de Rubens une place dont l’importance a été souvent négligée. Fidèle à une conception immuable, l’artiste, quoique observateur sagace, s’arroge, ici comme ailleurs, le droit d’interpréter le motif à sa guise, ce qui revient à idéaliser le sujet. Par certains côtés, il se rattache à Gillis Van Coninxloo (1544-1607), mais il pousse plus loin la volonté de s’affranchir d’une écriture trop exacte et annonce, en quelque sorte, le paysage romantique.

S’il excelle dans tous les genres, comme l’attestent encore ses étourdissantes esquisses, la multitude de ses travaux l’a tôt conduit à s’adjoindre une pléiade de collaborateurs spécialisés : Jan Bruegel pour les fleurs et les fruits, Frans Snijders* et Paul de Vos* pour les animaux, Jan Wildens (1586-1653) et Lucas Van Uden (1595-1672) pour le paysage, et, un temps assez court, Van Dyck* pour les figures.

Innombrables sont les scènes religieuses, empruntées de préférence au Nouveau Testament, qui sont fournies inlassablement à diverses églises. Certains épisodes permettent des réussites éclatantes, telles la Pêche miraculeuse (Notre-Dame au-delà de la Dyle, Malines) et surtout l’Adoration des Mages du musée royal des Beaux-Arts d’Anvers (1624). La palette se clarifie et, servie par un dessin dynamique, confère à l’ensemble une impression de vie joyeuse. Même un combat comme la Bataille des Amazones (1618-1620, Alte Pinakothek, Munich) frappe par son caractère allègre.

Rubens passe sans peine d’un genre à un autre, d’une grande toile à un petit panneau. S’il peint pour le prince de Neuburg le grand Jugement dernier (Munich), immense toile grouillante de personnages, il fournit à Balthasar Moretus, qui est devenu le chef de la célèbre officine plantinienne, dix portraits réalisés d’après des documents. Pour la nouvelle église des Jésuites à Anvers, Saint-Charles-Borromée, consacrée en 1621, il réalise son premier grand ensemble décoratif : trente-neuf toiles pour orner les caissons des plafonds, qui seront toutes détruites par la foudre en 1718. En 1622, il est chargé de décorer la galerie Médicis au nouveau palais du Luxembourg, à Paris. Les vingt-deux tableaux (aujourd’hui au Louvre), sans être parmi les meilleurs de son œuvre, comptent parmi les plus populaires. Ce travail, auquel collaborèrent des aides, illustre parfaitement la manière du peintre. Une solide imagination, multipliant allégories et symboles, y masque avec brio la pauvreté du sujet, et les détails l’emportent sur l’essentiel.

À cause de l’opposition de Richelieu, la galerie Henri-IV, entreprise autrement exaltante et qui fut promise au peintre, finit par lui échapper. Il en reste quelques esquisses.

Entre-temps, Rubens a fait édifier le long du Wapper, dans le quartier élégant d’Anvers, l’hôtel luxueux qu’il habitera jusqu’à sa mort (actuel musée Rubens). Il le réalisa dans ce style italien qui lui était cher, comme il l’avait prouvé dans son ouvrage Palazzi di Genova (1622).


Gloire et diplomatie

Aimant les honneurs, Rubens demande à être anobli et il obtient satisfaction en 1624. Deux ans plus tard, il perd sa première femme. Encore que les œuvres se multiplient à un rythme soutenu, elles ne l’empêchent pas de se livrer à son autre passion, celle de la politique. À la mort de l’archiduc (1621). Rubens est devenu le conseiller de l’archiduchesse Isabelle, qui lui confie plusieurs missions secrètes. En 1628, il participe aux pourparlers de paix entre l’Angleterre et l’Espagne. À Madrid, il rencontre Vélasquez*, et Philippe IV le nomme secrétaire du conseil privé des Pays-Bas. À Londres, Rubens est armé chevalier par Charles Ier et il est promu magister artium à Cambridge, mais il échoue dans sa mission. Peu après son retour, en 1630, il épouse en secondes noces Hélène Fourment, âgée de seize ans et qui lui donnera cinq enfants. Lors de la fuite de Marie de Médicis (1631) aux Pays-Bas espagnols, il est de nouveau mêlé aux affaires, et il restera l’agent secret de l’archiduchesse jusqu’à la mort de celle-ci (1633), au grand dépit des états généraux, qui finissent par mettre brutalement fin à son rôle politique.

Le nouveau gouverneur, le cardinal-infant Ferdinand (1609-1641), le traitera avec la même faveur que ses devanciers. Pour la « Joyeuse Entrée » de ce prince à Anvers en 1634, Rubens conçoit une décoration fastueuse de la ville, dessinant des arcs de triomphe, peignant des portraits, faisant appel, de surcroît, à une foule d’artistes, tant peintres que sculpteurs, pour l’aider dans cette entreprise. Le prince le nomme peintre de sa cour (1636) et lui passe force commandes. La plus belle est la série d’œuvres illustrant les Métamorphoses d’Ovide et destinées à décorer le pavillon de chasse de la Torre de la Parada (près de Madrid), soit, en tout, cent douze compositions. Le thème permet de jouer des nus avec allégresse, et Rubens ne s’en fait pas faute. En même temps, d’autres travaux le requièrent. Une commande rapportée de sa mission en Angleterre est terminée en 1634 : pour orner les plafonds du Banqueting Hall du palais de Whitehall à Londres, l’artiste a dû broder sur la vie plate de Jacques Ier, mais, l’imagination aidant, il s’en est tiré sans effort. Ce pouvoir d’invention n’est pas moins actif dans un autre secteur : les cartons de tapisseries. Rubens en a composé plusieurs séries : l’Histoire de Decius Mus (en collaboration avec Van Dyck), l’Histoire de Constantin, la Vie d’Achille, le Triomphe de l’eucharistie. Selon une tradition inaugurée par Raphaël, ces cartons ne se différencient en rien du style des grands tableaux.