Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Roumanie (suite)

Relevant à la fois de la recherche plastique la plus épurée et d’un regard mystique porté sur l’origine des choses, la sculpture de Constantin Brâncuşi* est l’un des jalons essentiels du xxe s. Au contraire, devaient se montrer réfractaires aux positions d’avant-garde Cornel Medrea (1888-1964) et la plupart des peintres de la première moitié du siècle, avant tout bons coloristes : Theodor Pallady (1871-1956), Gheorghe Petraşcu (1872-1949), Francisc Şirato (1877-1953), Iosif Iser (1881-1958), Dumitru Ghiaţă (1888-1972), Jean Alexandru Steriadi (1880-1957), Nicolaie Tonitza (1886-1940), les deux derniers également dessinateurs d’humour ou de critique sociale. On notera cependant la participation au mouvement dada de Marcel Janco (né en 1895), passé en Israël en 1941, et l’orientation surréaliste de Victor Brauner*, de Jacques Herold (né en 1910) et de Jules Perahim (né en 1914), qui, tous trois, se sont installés à Paris (le dernier cité en 1969), de même que le peintre abstrait Alexandre Istrati (né en 1915) et les sculpteurs Zoltan Kemeny (1907-1965) et Étienne Hajdu (né en 1907). En architecture, un Petre Antonescu (1873-1965) prolonge la synthèse de l’académisme et de l’esprit national, tandis que Duiliu Marcu (1885-1965) ou Horia Maicu (né en 1905) s’orientent vers le fonctionnalisme.

Depuis 1945, l’équipement moderne du pays s’est poursuivi (nouveaux quartiers d’habitation de Bucarest, de Iaşi, de Galaţi, stations du littoral de la mer Noire). De grands ensembles (Balta Albă, 100 000 hab.) sont réalisés grâce à l’industrialisation de l’architecture. L’idéal socialiste est représenté par les peintres Aurel Ciupe (né en 1900), Alexandru Ciucurencu (né en 1902), Corneliu Baba (né en 1906), Ion Ţuculescu (1910-1962), par les sculpteurs Romulus Ladra (1901-1970), Ion Irimescu (né en 1903), Georghe Anghel (1904-1966), Gheza Vida (né en 1913)...

Plus récemment (depuis 1960) s’est exprimée une avant-garde qui rejoint certains aspects des courants internationaux, tout en gardant des liens avec une tradition encore vivante, notamment, chez les sculpteurs, par le biais du travail du bois ou de son rappel (Ovidiu Maitec, Gheza Vida — d’abord passés par le réalisme socialiste —, Georges Apostu, Silvia Radu, Vasile Gorduz). Chez les peintres, la poétique non figurative peut trouver ses sources dans les combinaisons du tissage populaire, dans la prolifération répétitive de la peinture murale religieuse et, toujours, dans le sentiment de la nature. On citera Ion Bitzan, Ion Nicodim, Horia Bernea, Ion Gheorgiu (qui utilise le langage plastique des anciennes icônes sur verre) ainsi que le groupe d’art visuel « Sigma I » de Timişoara.

M. B. et G. G.

 L. Réau, l’Art roumain (Larousse, 1947). / L’Art populaire en Roumanie (Bucarest, 1956). / R. Florescu, l’Art des Daces (Éd. Méridiens, Bucarest 1968). / Catalogue de l’exposition « Trésors de l’art ancien en Roumanie », Petit Palais, Paris (Presses artistiques, 1970). / V. Dragut et coll., la Peinture roumaine en images (Éd. Méridiens, Bucarest, 1971). / C. Nicolescu, Icônes roumaines (Éd. Méridiens, Bucarest, 1971). / Roumanie (Nagel, 1972).

Rousseau (Jean-Jacques)

Écrivain français (Genève 1712 - Ermenonville 1778).



Épitaphes

« Il a cultivé la musique, la botanique, l’éloquence. Il a combattu et dédaigné la fortune, les tyrans, les hypocrites, les ambitieux.

« Il a adouci le sort des enfants, et augmenté le bonheur des pères ; ouvert dans Héloïse une route au repentir, et fait verser des larmes aux amants. Il a vécu et il est mort dans l’espérance, commune à tous les hommes vertueux, d’une meilleure vie ; il a défendu la cause des enfants, des amants malheureux, des infortunés, de la vertu, et il a été persécuté. »

« Fainéantise à prétention ; voluptueuse lâcheté ; inutile et paresseuse activité qui engraisse l’âme sans la rendre meilleure, qui donne à la conscience un orgueil bête, et à l’esprit l’attitude ridicule d’un bourgeois de Neuchâtel se croyant roi [...] ; la morgue sur la nullité ; l’emphase du plus voluptueux coquin qui s’est fait sa philosophie et qui l’expose éloquemment ; enfin, le gueux se chauffant au soleil et méprisant délicieusement le genre humain : tel est Jean-Jacques Rousseau. »

Entre ces deux portraits, la différence n’est pas grande : l’épitaphe de Bernardin de Saint-Pierre, dernier et fidèle ami de Rousseau, est d’une « belle âme », pieuse et tendre, qui regrette l’incompréhension dont fut victime l’ami des douceurs idylliques. Joseph Joubert, lui, en moraliste aigu, voit noir et dévoile les clairs-obscurs d’une existence et d’une œuvre ambiguës. C’est le même homme qui est peint, mais sous deux éclairages contrastés, également vrais. Car Rousseau lui-même a permis qu’on le vît ainsi, lui, pourtant, l’ennemi des masques, dont la devise fut vitam impendere vero (« consacrer sa vie à la vérité »). Son expérience, qui lui avait enseigné la difficulté d’établir la transparence entre les âmes, parce que le rapport aux autres et au monde est le lieu même de l’opacité, lui faisait aussi pressentir son destin : « Je suis destiné à être mécompris. » Et pourtant y eut-il jamais écrivain qui tentât de se dévoiler, de se dire et de tout dire, comme lui ? « Je veux que tout le monde lise dans mon cœur », ne cessait-il de répéter. Or, la vérité du cœur est obscure, difficile à communiquer, dangereuse à dire : l’ambiguïté et le tragique propres à Rousseau sont d’un homme qui veut crier son innocence, qui veut être reconnu par les autres et rendu à sa nature originelle, qu’il désire la même que celle du monde : pure et bonne. Mais, pour se dire, il choisit le parti d’écrire et de se cacher : l’absence et le recours à la littérature, soit la parole indirecte et le recueillement, qui l’enferment toujours plus en elles-mêmes et en lui ; il le sait, il en souffre : « Plût à Dieu que je n’eusse jamais écrit ! C’est là l’époque de tous mes malheurs », confie-t-il à Bernardin de Saint-Pierre. Et puis la vérité est-elle si lisible ? « Rien n’est si dissemblable à moi que moi-même », écrivait-il dans le Persifleur, texte qui précède sa « réforme morale ». Les Dialogues ou Rousseau juge de Jean-Jacques ne prouvent-ils pas que la conscience de soi n’est pas chose si simple ni si assurée et ne justifient-ils pas la double épitaphe ? À force de clamer son innocence, Rousseau s’aperçoit qu’il ne vit pas, qu’il meurt peu à peu, enseveli dans la littérature et dans le silence des autres. On voit combien neuve et tragique est cette attitude : Rousseau ne veut, ne peut séparer sa pensée de son être, sa création de son existence, d’où « cette fusion et cette confusion de l’existence et de l’idée », comme le note Jean Starobinski, qui ajoute : « On se trouve ainsi conduit à analyser la création littéraire de Jean-Jacques comme si elle représentait une action imaginaire, et son comportement comme s’il constituait une fiction vécue. » Cette fusion de la vie et du rêve dans la littérature reste l’intuition centrale de Rousseau : « Ma vie entière n’a guère été qu’une longue rêverie. »