Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rouen (suite)

Capitale provinciale et port international (xvie s.-xxe s.).

Conservant son Échiquier, érigé en Échiquier perpétuel en 1499, puis en parlement de Rouen en 1515, doté d’une Cour des aides en 1450, d’une Chambre des comptes temporaire en octobre 1543, puis définitive en juillet 1580, siège le plus fréquent des états de Normandie entre 1500 et 1655, la capitale normande est d’abord le théâtre du procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc, achevé le 7 juillet 1456. Puis, le 10 décembre 1465, Charles de France y est investi de la Normandie et reçoit l’anneau ducal que Louis XI fait briser solennellement en l’Échiquier de Rouen le 9 novembre 1469.

Tombeau de l’ancien duché de Normandie, Rouen n’est plus que la ville principale de l’une des quatre généralités du royaume créées par Charles VII. Elle bénéficie du transfert dans ses murs des foires de Caen en 1477 et est le lieu de nombreuses industries (papeterie, dominoterie, imprimerie à partir de 1483, draperie légère et toiles de lin), dont elle redistribue les produits sur ses navires dans toute l’Europe occidentale. Les Rouennais sont présents en grand nombre à Anvers, où ils exportent du vin ; ils importent 45 p. 100 de l’alun consommé en France entre 1531 et 1553 et animent au xvie s. la pêche maritime ; ils acquièrent en outre en 1549 le monopole de l’importation des épices et des drogues de Madère, des îles du Cap-Vert ou des pays méditerranéens. Associés à ceux de Dieppe, dont le plus célèbre, Jean Ango l’Ancien, est originaire de Rouen, les marins rouennais atteignent même l’Islande, Terre-Neuve au début du xvie s., puis le Brésil et le Maroc.

Ce trafic, qui attire alors les banquiers italiens et les marchands castillans, dont la colonie est déjà très nombreuse en 1480, fait de Rouen un emporium international tout en enrichissant les négociants rouennais dès la fin du xve s. Les uns contrôlent la municipalité et font activer, en accord avec les archevêques Guillaume d’Estouteville et Georges d’Amboise, les chantiers de Saint-Ouen, de Saint-Maclou et de la cathédrale, alors ornée de la tour de Beurre, du palais de justice. D’autres collectionnent les manuscrits, tel le riche changeur de Rouen Jean Marcel. Les Rouennais accueillent les idées réformées dès le règne de François Ier et reçoivent en septembre 1562 une garnison anglaise qui sera chassée le 26 octobre par Antoine de Bourbon. Passée à la Ligue et défendue par Alexandre Farnèse, résistant victorieusement à Henri IV, qui l’assiège de décembre 1591 à avril 1592, Rouen ne se soumet qu’en 1594.

Victime d’une sédition des petits officiers les 16 et 17 novembre 1623, d’une agitation antifiscale du 20 au 23 août 1639, du ralliement de son parlement à la Fronde en 1649 et du départ de 3 000 huguenots et de 17 000 travailleurs à la suite de la révocation de l’édit de Nantes en 1685, Rouen perd au xviie et au début du xviiie s. une partie de ses activités marchandes, mais reste un très grand centre textile : manufacture de bas ; atelier de toiles de lin et de chanvre ; essor de l’industrie cotonnière à partir de 1694. Au début du xviiie s., le raffinage du sucre de canne s’ajoute à ces activités industrielles. Les négociants de Rouen animent un intense trafic triangulaire avec l’Afrique et les Antilles et contrôlent la Compagnie du Sénégal avec leurs collègues de Nantes et du Havre ; ils sont assez puissants pour que leurs députés soient admis au Conseil du commerce créé par Louis XIV en 1700 et pour que l’un d’eux, Nicolas Mesnager, soit chargé de mener des négociations secrètes avec les Provinces-Unies en 1707, avec l’Angleterre en 1711, négociations qui aboutissent à la signature du traité d’Utrecht en 1713.

Rouen, qui est dotée d’une chambre de commerce dès 1705, perd une partie de ses activités maritimes au profit de ses avant-ports : Dieppe, Honfleur, Le Havre. Mais la présence d’une population nombreuse (80 000 hab. en 1789, entassés sur 170 ha), l’existence en son sein de nombreux et riches consommateurs (négociants, officiers, oisifs) qui se regroupent à la fin du xviiie s. dans le quartier « Hors Cauchoise », le maintien d’un important réservoir de main-d’œuvre dans les quartiers misérables (Martainville), l’importance du rôle administratif de la ville devenue chef-lieu du département de Seine-Inférieure en 1790, le recours à d’importants travaux de dragage, l’essor des industries, la création enfin d’une liaison ferroviaire avec Paris dès 1843 permettent de maintenir à un haut niveau les activités commerciales de Rouen au xixe et au xxe s. Occupée par les Prussiens le 5 décembre 1870, puis par les Allemands le 9 juin 1940, libérée par les Britanniques le 30 août 1944, reconstruite rapidement, la ville devient le chef-lieu de la région de Haute-Normandie.

P. T.


La capitale régionale

La ville même de Rouen ne compte que 118 332 habitants. Dans le département de la Seine-Maritime, Rouen ne vient qu’au deuxième rang des villes derrière Le Havre*, en tenant compte seulement de la population municipale. L’écart risque de s’accentuer puisque l’agglomération ne cesse de s’étendre alors que la ville même en son centre enregistre une certaine tendance à la diminution de sa population.

Rouen n’en est pas moins une très grande ville : par ses fonctions, son rayonnement, le prestige de son passé, au-delà des contingences statistiques, la première ville de Normandie et la plus proche de Paris de toutes les métropoles régionales.

Beaucoup plus ancienne que Le Havre et Caen*, ses rivales, normandes, rayonnante au Moyen Âge, épanouie au xixe s., relancée de nos jours par de nouvelles activités, Rouen a toujours combiné, et combine encore, ses trois activités : celles du port, celles de l’industrie (ou de l’artisanat) et les multiples facettes de la fonction régionale.

La situation favorise les relations de la ville et des régions voisines. La Seine ici est assez facilement franchissable, et Rouen bénéficia ainsi pendant longtemps, jusqu’à la construction du pont de Tancarville (1955-1959), du privilège de posséder le dernier pont avant l’estuaire et la mer. La ville est construite sur la rive droite d’un assez vaste méandre de la Seine ; elle communique aisément vers le sud avec les plaines de l’Eure et vers le nord avec les prolongements du plateau de Caux et du pays de Bray par les deux petites vallées du Cailly et du Robec, en dépit d’un talus assez abrupt d’une centaine de mètres de hauteur. Ville de bourgeoisie, Rouen a tissé au cours des siècles d’étroites relations avec les campagnes voisines (administration, services, négoce, propriété foncière, etc.). Elle se trouve actuellement au centre d’un dense réseau de communications qui, par la route, l’unit aux campagnes de l’Eure et de la Seine-Maritime et, par le rail, l’autoroute, la route et la voie d’eau la met en relations rapides, sur l’axe de la Basse Seine, avec Le Havre et Paris. La fonction de capitale régionale s’affirme donc, particulièrement par l’administration, les services, l’action culturelle, le commerce de gros et de détail. Avec tous les services de la préfecture régionale, Rouen étend sa tutelle administrative sur les deux départements de l’Eure et de la Seine-Maritime. L’université nouvelle (construite sur le plateau de Mont-Saint-Aignan) rehausse une fonction culturelle déjà représentée par le lycée Corneille, les musées, le théâtre. Rouen demeure enfin la première place normande du commerce de distribution.