Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Ronsard et la Pléiade (suite)

Ronsard « prince des poètes » et poète des princes

La même année où Peletier fait paraître son Art poétique (1555), Ronsard prouve le renouvellement de son inspiration en publiant un premier livre d’Hymnes, puis un second (1556), revenant ainsi à la grande poésie. Le mètre qu’il choisit est presque toujours l’alexandrin et il aborde les sujets les plus divers : histoire, mythologie, science, philosophie, morale, religion. Tout n’est pas de la même heureuse venue : dans ses hymnes historiques, il use et abuse de la louange dithyrambique et de l’allégorie, ou lasse par son érudition ; ses hymnes philosophiques ont souvent de la froideur. Mais d’autres, tel le célèbre Hymne de la mort, sont remarquables par la puissance de l’évocation et l’intensité du sentiment. Cet élargissement de l’inspiration et son élévation assurent à Ronsard la prééminence poétique.

À cette date de 1556, en effet, son génie n’est plus discuté, et il est salué comme le « prince des poètes ». Pensionné par Henri II, fourni de quelques bénéfices ecclésiastiques grâce à son protecteur Michel de L’Hospital, il devient après la mort de Mellin de Saint-Gelais (1558) conseiller et aumônier ordinaire du roi et poète de la Cour.

Le 1er janvier 1560, du Bellay meurt à Paris, usé par les tracas et vieilli avant l’âge. De son voyage en Italie, il avait aussi rapporté un monument d’humanisme, le recueil latin des Poemata (1558). Au soir de sa vie, il avait encore composé, outre des pièces de circonstances, la satire du Poète courtisan (1559), pamphlet d’une rare vigueur, et l’Ample Discours au Roi, le nouveau monarque François II, qui est autant un bréviaire des princes qu’une œuvre chaleureuse.

Du Bellay disparu, Ronsard reste le seul grand poète de la Pléiade. À l’avènement de Charles IX (1560), il publie la première édition de ses Œuvres (Amours, Odes, Poèmes, Hymnes). Comblé de biens et d’honneurs, il va mettre sa plume au service de la royauté. Animé par sa foi catholique et par son loyalisme monarchique, il écrit, en pleine guerre civile, s’arrachant à ses rêves d’humaniste, une suite de Discours (1562-63) dont la violence et l’éloquence atteignent au pathétique. Si l’Institution pour l’adolescence du roi Charles IX touche par sa généreuse gravité, comment ne pas être sensible aux accents douloureux de la Continuation du discours des misères de ce temps et à sa prosopopée finale, ou, dans un autre registre, au lyrisme direct de la Réponse aux injures ? Dès lors, Ronsard s’affirme comme le créateur d’une poésie nationale : par-delà la polémique, son œuvre parvient à une grandeur passionnée. Chrétien et français, le poète croit en sa mission.

Aussi doit-on accorder moins d’intérêt aux divertissements de Cour qu’il réunit en 1565 sous le titre d’Élégies, mascarades et bergerie. Ces pièces galantes ne séduisent guère, pas plus que les Poèmes de 1569. Trois ans plus tard (1572), l’échec de la Franciade vient mettre un terme à un rêve épique de Ronsard — un rêve de plus de vingt ans — et semble annoncer une défaillance de son inspiration. Cette épopée inachevée avait contre elle de mal plagier ses modèles antiques, de rattacher les Français à des origines troyennes et de préférer le vers décasyllabe à l’alexandrin... Au vrai, les poésies amoureuses et les pièces lyriques de E. Jodelle, publiées en 1574, avaient également peu de chance de plaire aux contemporains. À l’heure où paraît la Franciade, seule se détachait dans la production poétique l’exquise pièce Avril de Rémy Belleau, incluse dans la seconde édition de sa Bergerie (1565-1572).

À la mort de Charles IX (1574), Ronsard se voit supplanté par Philippe Desportes à la cour du nouveau souverain, Henri III. Se retirant loin de Paris dans ses prieurés de Vendômois ou de Touraine, il consacre ses dernières années à parachever dans la solitude les éditions de ses œuvres complètes. Amoureux impénitent, il venait d’achever ses Sonnets pour Hélène (ils paraîtront en 1578 dans la cinquième édition des Œuvres), causerie mélancolique qui immortalise Hélène de Surgères. « Comme je le sentais, j’ai chanté mon souci », dit-il : la grâce familière de ce dernier chant d’amour, de ce dernier souci d’un cœur resté si jeune révèle l’élan ultime du poète vers la beauté et la vie. Il mourra le 27 décembre 1585 en son prieuré de Saint-Cosme-en-l’Isle, près de Tours, torturé par la goutte et les insomnies.


Destinée de la Pléiade

Curieux destin que celui de la Pléiade... Ces poètes inégaux de valeur vont tomber pratiquement dans l’oubli pendant deux siècles, à commencer par Ronsard, sévèrement jugé par Malherbe et Boileau. Il faut attendre Sainte-Beuve et les romantiques pour que soit reconnue la portée de leur œuvre.

Les écrivains classiques doivent pourtant beaucoup à la Pléiade : en prônant l’imitation des Anciens et par là le culte de la nature, elle a fléchi l’orientation de la littérature du xviie s. ; en préférant l’alexandrin, elle a forgé la période poétique française. Leur dédain s’explique : ils ont été heurtés par la hardiesse de ses idées, et, plus encore, par des réalisations qui innovaient autant en matière de langue que dans ses modes d’expression. Le mérite du xixe s. est d’avoir compris que, par-delà les principes, la Pléiade traitait des thèmes éternels ; d’avoir vu que s’élaborait une poésie d’une exceptionnelle profusion verbale et rythmique ; d’avoir senti que le lyrisme, la véhémence, la générosité de Ronsard et de du Bellay n’appartenaient pas à un siècle, mais au fonds commun de l’humanité.

A. M.-B.

 P. de Nolhac, Ronsard et l’humanisme (Champion, 1921). / G. Cohen, Ronsard, sa vie, son œuvre (Boivin, 1924 ; nouv. éd., Gallimard, 1956). / P. Champion, Ronsard et son temps (Champion, 1925). / M. Raymond, l’Influence de Ronsard sur la poésie française, 1550-1585 (Champion, 1927, 2 vol. ; nouv. éd., Droz, Genève, 1965). / H. Chamard, Histoire de la Pléiade (Didier, 1939 ; nouv. éd., 1960-1964, 4 vol.). / R. Lebègue, Ronsard, l’homme et l’œuvre (Boivin, 1950). / V.-L. Saulnier, Du Bellay, l’homme et l’œuvre (Boivin, 1951). / F. Desonay, Ronsard, poète de l’amour (Palais des Académies, Bruxelles, et Duculot, Gembloux, 1955-1960 ; 3 vol.). / G. Gadoffre, Ronsard par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1960). / C. Marty-Laveaux, la Langue de la Pléiade (Slatkine et Fels, Genève, 1966 ; 2 vol.). / Lumières de la Pléiade (Vrin, 1966). / M. Dassonville, Ronsard, étude historique et littéraire (Droz, Genève, 1968-1970 ; 2 vol.). / A. Gendre, Ronsard, poète de la conquête amoureuse (La Baconnière, Neuchâtel, 1970). / J. Pineaux (sous la dir. de), la Polémique protestante contre Ronsard (Didier, 1973 ; 2 vol.).