Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

rondeau

Petite pièce lyrique qui apparaît en France chez les trouvères au début du xiiie s.


Elle emprunte son nom et sa structure mélodique au rondet (ou rondel), poème de forme fixe dont le trait le plus caractéristique est la répétition partielle du refrain. Selon Paolo Ferretti, le rondeau dériverait du répons liturgique à versets et refrain. Il a sans doute aussi une origine chorégraphique et se rattache à des chansons à danser plus anciennes dont il conserve d’abord l’allure avant de se transmuer en forme purement lyrique. Le « rondet de carole » est à la fois chanté et dansé en rond ; aux vers ajoutés (additamenta) confiés au « chante-avant » répond le refrain (responsorium ou refractus) chanté par le chœur. En délaissant d’autre part très tôt l’écriture modale au profit de l’écriture tonale (majeure surtout), le rondeau confirme son ascendance populaire. Il a alors de 6 à 14 vers, y compris le refrain (de 1 à 3 vers). Dans la seconde moitié du xiiie s., un rondeau de 8 vers avec un refrain de 2 vers (A B) se présente ainsi :

L’importance musicale du refrain est évidente : la mélodie du premier vers est reprise par trois fois (vers 3, 4 et 5). Alors que se développe le motet, les rondeaux, d’abord monodiques, deviennent polyphoniques. Au xiiie s. le trouvère Adam* le Bossu, ou Adam de la Halle, en compose dans le style du conduit (c’est-à-dire sans teneur) qui sont remarquables par leur simplicité et leur richesse harmonique. Après lui, Guillaume* de Machaut respecte l’ancienne forme, mais l’oriente, en usant d’une écriture plus recherchée, vers un lyrisme libéré de tout lien chorégraphique. Vers 1400, le rondeau tend à s’amplifier ; le refrain a parfois 4 (rondeau quatrain) ou 5 (rondeau cinquain) vers. Guillaume Dufay*, Gilles Binchois (v. 1400-1460), Robert Morton († en 1475) et Johannes Ockeghem* y introduisent par la suite des combinaisons de plus en plus complexes. Le rondeau en forme de canon est pratiqué par Dufay (Par droit je puis, en forme de caccia) et à la fin du siècle par Baude Cordier (Tout par compas).

Au xvie s., la chanson se substitue au rondeau. Johannes Prioris et Loyset Compère (v. 1450-1518) sont à peu près les seuls au temps de Josquin Des Prés* à n’avoir pas d’aversion pour les anciennes formes fixes. Il est vrai qu’à cette époque la structure du rondeau littéraire, déjà modifiée par Charles* d’Orléans, se différencie totalement chez Clément Marot* de celle de l’ancien rondel. D’autre part, étouffé par l’air de cour, qui n’admet que la forme binaire ou la chanson à refrain, le rondeau musical tombe un instant dans l’oubli. Il ne retrouve une faveur nouvelle que dans la seconde moitié du xviie s., avec Charles Vion Dalibray, Vincent Voiture, Pierre Perrin et Isaac de Benserade, dont les poèmes inspirent les musiciens. À ce moment naît, en marge de l’« air sérieux », l’air en rondeau. Celui-ci, dans les recueils de Michel Lambert (v. 1610-1696) et Sébastien Le Camus (v. 1610-1677), rappelle vaguement l’ancien rondel, en ce sens que le 1er vers est répété au milieu et à la fin de chaque strophe. Ce dispositif prévaudra par la suite et sera souvent indiqué par un signe de reprise (ou da capo). Employé avec talent par J.-B. Lully* sous la forme vocale (air de Vénus dans Thésée ; chœur en rondeau dans Alceste) ou instrumentale dans la tragédie lyrique, le rondeau sera utilisé par tous les compositeurs d’opéras et d’opéras-comiques jusqu’à C. W. von Gluck*. Il devient aussi la forme favorite des clavecinistes. François Couperin*, qui en fait un abondant usage, l’associe parfois à la danse (Menuet en rondeau ; Sarabande en rondeau). Sous l’influence des élèves de Lully, qui ont fait connaître l’art français en Allemagne, le rondeau apparaît aussi dans les œuvres de Georg Muffat (1653-1704), Johann Kaspar Ferdinand Fischer (v. 1665-1746) et de J.-S. Bach* (1re partita pour clavecin ; suite en si mineur). L’alternance refrain-couplet, qui est maintenant de règle, éloigne définitivement le rondeau de ses origines et le rapproche plutôt de l’ancien virelai. Après 1750, dans la musique instrumentale, le rondeau tend à se confondre avec le rondo*. Cependant, des compositeurs comme Johann Christian Bach* et Mozart* (concerto en pour violon et orchestre) ont utilisé le rondeau français, qui diffère alors de son homonyme par une nuance : il juxtapose généralement deux parties qui s’équilibrent, l’une majeure, l’autre mineure, avec reprise entière de la première (J. Ph. Rameau*, la Joyeuse). Par l’esprit, le rondeau reste proche de la ronde française. Des compositeurs modernes l’ont fait revivre (C. Franck*, final de la sonate pour piano et violon) en lui donnant parfois l’ampleur d’un poème symphonique (R. Strauss*, Till Eulenspiegel... in Rondeauform).

A. V.

 F. Gennrich, Rondeaux, Virelais und Balladen aus dem Ende des xii., dem xiii. und dem ersten Drittel des xiv. Jahrhunderts (Dresde et Göttingen, 1921-1927 ; 3 vol.). / P. Verrier, le Vers français (Didier, 1933 ; 3 vol.). / P. M. Feretti, Estetica gregoriana (Rome, 1934 ; trad. fr. Esthétique grégorienne (Desclée, 1938). / J. Chailley, Rondeaux d’Adam de la Halle (Rouart-Lerolle, 1942). / A. Machabey, Guillaume de Machault (Richard-Masse, 1955 ; 2 vol.) ; Genèse de la tonalité musicale des origines au xve siècle (Richard-Masse, 1955).

rondo

Pièce musicale essentiellement instrumentale, comprenant un refrain et des couplets en nombre variable et qui sert de final aux grandes formes classiques.


Issu peut-être du rondeau* médiéval et des « suites » françaises des xviie et xviiie s., qui, sous forme évoluée, en font un abondant usage, le rondo dérive aussi de l’ancienne canzone italienne dont le plan ABA (refrain-couplet-refrain) s’est agrandi par l’ajout d’autres couplets (ABACADA...). La tradition française reste d’abord prééminente, puis s’affaiblit, tandis que le rondo prend rapidement de l’expansion et devient vers 1770 le final type de la sonate et de la symphonie classiques, sous son nom italien. C’est un morceau rapide et brillant dont le refrain, léger et d’allure populaire, a souvent des reprises modulantes. À l’encontre du rondeau, les couplets, d’inégale longueur, sont soit des variations du refrain, soit des épisodes tout à fait nouveaux qui se présentent dans des tonalités variées. Déjà utilisé par C. Ph. K. Bach*, le rondo prend progressivement chez J. Haydn* et W. A. Mozart* son véritable caractère. On peut s’y livrer à toutes les fantaisies et, par exemple, y introduire à la manière française airs et danses qui le transforment en rondo-pot-pourri (Mozart, concerto pour violon K.216). Mais l’extension de la sonate bithématique incite les compositeurs à créer le rondo-sonate, qui combine les deux formes. Le premier couplet, considéré comme second thème, est repris à la fin dans le ton principal, tandis que le couplet central lient lieu de développement, d’où le plan ABACBA (L. van Beethoven*, 6e symphonie Pastorale).