Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

Sulla, c’est peut-être la « monarchie manquée ». Après son succès sur son rival Pompée, César* parviendra presque à cette monarchie, mais il sera assassiné (44 av. J.-C.). La période qui suit l’abdication de Sulla connaît à la fois les guerres lointaines (lutte contre les pirates des côtes d’Asie), la révolte sociale (guerre servile de Spartacus, 73-71 av. J.-C.), l’inquiétude générale et la haine entre coteries. Rome est divisée entre un sénat oligarchique, des chevaliers, qui sont des financiers, et les populaires. L’instabilité politique qui en résulte n’est pas sans rapport avec des soucis économiques. Les capitaux fuient l’Italie. Sous le consulat de Cicéron (63 av. J.-C.) éclate l’affaire de la conjuration de Catilina. Le sénat, manquant de fermeté, donne de grands pouvoirs à Pompée, qui revient triomphant de son expédition contre les pirates, après avoir constitué la province de Syrie et occupé la Judée (62 av. J.-C.). Pompée, César et Crassus (M. Licinius Crassus Dives [« le Riche »], un des plus gros capitalistes) s’entendent en secret pour s’associer (premier triumvirat), quitte à se quereller plus tard. Crassus mort à la guerre, Pompée a la faveur du sénat, puis il inquiète celui-ci par son envahissement. César franchit le Rubicon, pourchasse Pompée et prend le titre de dictateur. Entre-temps, il conquiert les Gaules. Entre-temps aussi, d’autres ambitieux s’agitent, comme Publius Appius Clodius, l’ennemi de Cicéron, qui fait exiler celui-ci.

La société dirigeante de l’époque des guerres civiles souffre d’une absence d’idéal. Seuls semblent compter l’argent et le pouvoir politique, qui, lui-même, procure l’argent. Cicéron écrit philosophie, mais pense affaires. Les partis n’ont plus de programme, si tant est qu’ils en aient eu de très positifs. L’abolition des dettes finit par être la seule perspective qui passionne encore les masses. Tous tiennent cependant à la libertas, la liberté, que l’on réclame en toute circonstance, mais qui semble vide de signification réelle. Chacun compte sur ses soldats, ses clients, son influence pour s’imposer. À ce jeu, il y a beaucoup d’appelés, mais aussi beaucoup de proscrits. C’est ce qui se produit lors du second triumvirat, constitué après la mort de César par Antoine*, Octave et Lépide (43 av. J.-C.), trio qui organise l’élimination des autres. Cicéron est au nombre des victimes. La désunion entre triumvirs aboutit à la victoire d’Octave à Actium (31 av. J.-C.) sur Antoine et son alliée Cléopâtre*.


Conséquences des guerres civiles

Octave, devenu l’empereur Auguste*, peut gouverner un empire, une société qui sont las du désordre. Les provinces ne se sont pas révoltées. L’aristocratie est fort mal en point, et c’est peut-être là ce qui fait la solidité du pouvoir d’Auguste. Elle a été décimée physiquement. Ceux qui vivaient d’affaires financières en Asie sont ruinés. Le sénat accueille des chevaliers, des vétérans, mais il s’éclipse de la vie politique. Les sénateurs s’absorbent dans l’otium (le loisir intelligent) ou la vie de cour. Les chevaliers deviennent de hauts fonctionnaires impériaux.

Le prix de la terre est en baisse : on n’est plus aussi sûr de son droit de propriété. Les vainqueurs distribuent à leurs vétérans des terres expropriées sans façon. Virgile* se fait l’écho des plaintes des victimes, qui sont innombrables. L’agriculture italique ne s’en trouve pas revigorée. La ville a accueilli des fuyards de toute la péninsule. La disette s’y est fait sentir. Ceux qui n’ont pas rallié la ville ont émigré hors d’Italie. Tous aspirent à la paix. C’est ce que leur donne Auguste, qui bénéficie de la nouvelle conception admise du pouvoir : le pouvoir de fait, détenu par le plus fort, qui se dit le meilleur (princeps, optimus), résultat d’une évolution qui s’est amorcée sous Sulla. La quatrième églogue de Virgile, qui annonce un nouvel âge d’or, est peut-être, malgré son obscurité, l’expression d’une aspiration à cette monarchie pacificatrice.


L’Empire et l’empereur

Prétendu restaurateur de la République, Auguste est ce qu’on appelle un empereur, du latin imperator, général victorieux, celui qui détient l’imperium. Le titre antique n’est pas unique. L’empereur se définit par une titulature qui donne l’énumération de ses fonctions et de ses pouvoirs : imperator, il détient aussi la « puissance tribunitienne », le grand pontificat. Il s’octroie souvent le consulat. Il se dit Caesar et Augustus, et ces termes deviennent eux-mêmes des titres. Mais cet ensemble est disparate et laisse perplexe les historiens. On ne connaît pas très bien les formalités d’avènement : certains pouvoirs, d’essence différente, ne sont pas acquis d’emblée. Une lacune, en outre : le mode de désignation des empereurs successifs. Le pouvoir résulte le plus souvent d’une acclamation par les soldats, complétée d’une confirmation par le sénat, ce qui n’exclut pas une certaine hérédité, même si elle est créée par adoption. L’hérédité se fait sentir chez certains des « douze Césars ». Mais les empereurs sont classés par l’historiographie antique (Suétone* et Tacite* en premier lieu) en bons et en mauvais, ces derniers vraisemblablement calomniés en raison de leur attitude défavorable au sénat et surtout aux personnes des sénateurs. On tente, aujourd’hui, de réhabiliter certains (Tibère*, Néron*), mais sans conviction définitive. Il y a des cas pathologiques et des parvenus grisés par le pouvoir. Il est aussi des personnages sans caractère, portés à un pouvoir éphémère par la garde prétorienne, qui attend d’eux une récompense (congiaire). Les empereurs sont de plus en plus d’origine militaire et provinciale. Parviennent ainsi des séries d’empereurs espagnols, syriens ou illyriens. Cela peut donner de curieux résultats : sous Élagabal, prêtre sémite d’un dieu-soleil oriental, un danseur est fait préfet du prétoire, un cocher préfet des vigiles, un coiffeur préfet de l’annone, et l’empire échappe tout juste à l’obligation d’adorer le dieu nouveau venu.