Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

la civilisation à la fin du ive s. av. J.-C. : tradition et évolution

Les mœurs des Romains évoluent lentement. Il reste à ceux-ci encore l’essentiel de leur rusticité ancestrale : nourriture sobre de lait et de galettes, usage de vases grossiers, habillement constitué de la toge — qui n’est qu’un grand drap de laine incommodément drapé —, mentalité de paysans rudes et avaricieux. La religion a encore tous son caractère primitif, dépendant d’une mentalité prélogique, attachée aux tabous, aux totems et aux fétiches, encore que certains cultes primitifs aient disparu à l’époque historique (Cacus, Pomone). Des dieux président à tous les moments de la vie, à tous les phénomènes ou objets de la nature. Ils sont des forces invisibles (numina) dont on sent particulièrement la présence dans les bois sacrés. Cet « anthropopsychisme latin » (Jean Bayet) précède un anthropomorphisme tardif. Jupiter, dieu de la Foudre, est adoré sous la forme d’une pierre ou d’un arbre. Les serpents sont des gardiens domestiques, et les oiseaux des messagers divins. Le culte des morts s’ajoute à celui des protecteurs du foyer (lares et pénates). Le culte, qui est l’affaire de tous, des pères de famille ou des magistrats, et pas seulement des flamines, des augures, des pontifes et des vestales, ajoute aux sacrifices et aux rites agraires (danses et courses purificatoires) la pratique de la divination, surtout appliquée aux oiseaux (auspices) et dont l’influence étrusque accroît l’importance. Les prodiges (pluies de sang, bœufs sur le toit d’un temple, etc.) sont des présages dont on tient le plus grand compte.

L’influence grecque — en partie par l’intermédiaire des Étrusques — est importante. La fusion des divinités romaines et des dieux grecs a été facilitée par des racines indo-européennes communes. La religion n’est pas fermée aux courants extérieurs : en cas de nécessité pressante, surtout, on n’hésite pas à faire appel à la puissance d’un dieu étranger. De là l’importation solennelle et officielle de nouveaux cultes, les quindecemvirs ayant pour tâche d’héberger ces dieux nouveaux venus. De là, aussi, la tolérance vis-à-vis des diverses divinités exotiques amenées par des immigrants ou honorées peut-être pour des raisons sociales, parce qu’elles ne sont pas des dieux du patriciat. Le temple de Cérès (de 499 av. J.-C.) est un lieu de ralliement populaire, et les progrès du culte de Cérès sont parallèles à ceux de la plèbe.


La monnaie

Le monnayage romain commence seulement au début du iiie s. av. J.-C. Il apparaît tout à la fois comme le témoignage d’une ouverture économique et comme le résultat de problèmes financiers provoqués par les guerres. À l’origine, la tête de bétail tient lieu d’unité : les amendes se formulent en bœufs et en moutons. Puis vient le lingot de bronze : les lois du ve s. av. J.-C. fixent des équivalences entre animaux et métal. Le lingot marqué d’un taureau évoque cette relation. Enfin, la guerre en Italie du Sud nécessite le monnayage d’argent : didrachme frappé pour Rome en Campanie. La monnaie de bronze, initialement lourde, est l’as, qui pèse une livre, en attendant les dévaluations qui doivent l’amener au sixième de livre.


L’époque des guerres puniques

Le passage de Rome du niveau italique à l’échelon méditerranéen amène d’autres conséquences : un esprit impérialiste naît progressivement. Il n’acquiert toute son ampleur que vers 200 av. J.-C. Jusque-là, Rome n’a pas été libre de refuser le combat. Il lui faut vaincre ou périr. Ensuite, l’ambition et l’avidité l’emportent. L’aristocratie politique est la première intéressée. C’est un petit cercle de sénateurs qui décide de la guerre (selon l’historien H. Scullard, la deuxième guerre punique résulte d’un accord entre les Aemilii et les Cornelii Scipiones). Ce petit groupe social organise sa structure oligarchique, freinant les ascensions trop rapides et partageant au mieux les honneurs (lex Villia annalis, de 180 av. J.-C., organisant le cursus honorum, carrière réglementaire des magistratures). En dessous des sénateurs, les chevaliers, qui s’organisent en une classe équestre, ont aussi des intérêts convergents en politique extérieure. Parmi eux se recrutent les hommes d’affaires, qui, surtout après la deuxième guerre punique, opèrent au loin et précèdent même l’invasion militaire. L’historien Polybe* n’hésite pas à dire que la politique romaine est commandée par la finance. Rome n’est cependant pas ce qu’on pourrait appeler une « oligarchie marchande ». Mais ses intérêts sont tels que la présence, face à elle, d’un puissant État répondant à cette définition représente un danger. Il s’agit de Carthage*, dont l’empire maritime s’étend sur la Méditerranée occidentale. Le conflit est inévitable. Il éclate à propos de la Sicile, où les Carthaginois sont solidement implantés et où Rome souhaite s’établir. C’est la première guerre punique* (264-241 av. J.-C.), qui contraint les Romains à construire une flotte de guerre et les rend maîtres de la Sicile, de la Corse et de la Sardaigne. Un enchaînement de circonstances fait naître l’inquiétude chez les Celtes d’Italie du Nord : leur offensive échoue, et la colonisation de la plaine du Pô s’amorce (218 av. J.-C.). Des difficultés avec des pirates illyriens ont entraîné la création d’un État vassal en Dalmatie (225 av. J.-C.). Rome commence aussi à entrer en négociations avec l’Asie séleucide. Les relations avec l’Égypte lagide sont amicales. La deuxième guerre punique (218-201 av. J.-C.), ou guerre d’Hannibal*, paraît résulter de l’esprit revanchard de quelques Carthaginois. Hannibal est bientôt en Italie, où plus d’une cité abandonne la cause romaine. Rome tremble et doit faire appel à toutes ses ressources : hommes (y compris esclaves et prisonniers), vivres, faveurs divines (y compris celle du bétyle exotique ramené de Pessinonte, en Asie, et qui représente Cybèle). Les mines d’argent d’Espagne ont été un enjeu de la guerre. Rome, victorieuse grâce à Scipion* l’Africain, possède l’Espagne et bientôt la plaine du Pô et toute la Sicile. L’Italie est plus soumise que jamais. Mais Carthage, vaincue, survit. La troisième guerre punique aboutit, grâce à la victoire de Scipion* Émilien, à son anéantissement (146 av. J.-C.) et à la création d’une province romaine d’Afrique.