Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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romantisme (suite)

Les pionniers du romantisme

C’est à juste titre, semble-t-il, que les historiens du romantisme musical nomment en tout premier lieu Beethoven*, Weber* et Schubert* ; en eux s’incarnent à des degrés divers les différents genres cultivés par les compositeurs romantiques : la symphonie, l’esprit du lied et la musique dramatique (incluant la musique à programme). Il est permis de considérer Beethoven comme l’un des derniers classiques par la forme et de voir en lui l’un des premiers romantiques par la mise en valeur de l’idée, car, chez lui, la musique prend figure de message ; s’il conserve les structures formelles du classicisme, il doit en repousser sans cesse les limites et leur donner une dimension proportionnelle à l’ampleur des idées humanitaires ou panthéistiques qu’il les charge de nous transmettre ; d’où l’expansionnisme de ses symphonies, qui visent à universaliser ses propres sentiments, mais aussi le dépouillement extrême des derniers quatuors, reflet d’une vie intérieure intense, où se profile parfois, à l’approche de la mort, le mystère de l’au-delà.

Homme de théâtre avant tout, Carl Maria von Weber se plonge dans la féerie des créatures irréelles, où le ballet romantique puisera dès 1832 (la Sylphide) son inspiration essentielle. Mais, auprès de ces évocations légendaires, les héros de ses drames incarnent avec un relief saisissant les aspects typiques de l’âme populaire, qu’il s’agisse de leurs amours humaines ou du sentiment de la nature qui les habite. Venant après l’Ondine (1814) de E. T. A. Hoffmann* et le Faust (1816) de Louis Spohr, le Freischütz marque en 1821 l’avènement de l’opéra romantique allemand, et Weber saisit cette occasion pour souligner l’importance du caractère national en matière d’art. Son inspiration mélodique de tour populaire (authentique ou recréé) justifie amplement cette conception, qui paraît alors audacieuse.

Moins ambitieux, Franz Schubert* se complaît dans l’intimité du lied et dans la fréquentation des poètes authentiques, tels Novalis, Heine, Shakespeare, Schiller et Goethe ; fraîcheur d’âme, spontanéité d’inspiration, profondeur de l’émotion, aisance extrême dans la disposition originale des structures strophiques, tels sont les aspects principaux de l’alliance nouvelle qu’il consacre entre la poésie et la musique sous le sceau du romantisme ; et sa musique de chambre comme ses œuvres d’orchestre restent empreintes de ces tendances à la simplicité naïve mais géniale dont Schiller appelait ardemment le retour. Schubert n’a-t-il pas cultivé en outre, comme son contemporain Carl Loewe (1796-1869), le genre spécifiquement romantique de la ballade (genre auquel Bürger, Goethe et Schiller avaient littérairement donné droit de cité), dont s’inspirera également la musique de piano ?


Le romantisme allemand

S’engageant dans la voie que leur ont tracée Weber et Schubert, subissant l’influence des théoriciens et des poètes qui s’efforcent de réaliser la fusion des genres, des arts et même des élans sensibles (cf. les frères Schlegel, Tieck, Hoffmann, Schleiermacher, Heinse, Wackenroder, Jean-Paul Richter, etc.), subjugués par la philosophie de Hegel et de Schopenhauer, leurs successeurs allemands vont naturellement introduire dans la musique des éléments littéraires, narratifs, descriptifs, plastiques ou picturaux. Ils se sentent mal à l’aise dans les formes traditionnelles de la symphonie et de la sonate, et se tournent résolument vers les formes libres, plus aptes à extérioriser leur moi. La musique de Schumann* épouse la forme de ses états d’âme, et Victor Basch n’y entrevoit qu’une « immense Sehnsucht inassouvie ». L’idée domine volontiers la forme et la conditionne, même lorsqu’elle est d’ordre extra-musical, comme c’est parfois le cas chez Mendelssohn* lorsqu’il professe que « la musique est plus définie que la parole ». Conception qui achemine la musique vers la notion de « l’art pour l’art », dont Brahms* est, au sein du romantisme, l’un des représentants les plus éminents.

C’est en Richard Wagner* que s’épanouira finalement l’école romantique allemande. Son drame musical en réunit à peu près toutes les tendances ; s’efforçant d’opérer une vaste synthèse de la poésie, de la musique, des arts plastiques et de la mise en scène, Wagner opte pour le mythe, qui lui permet d’instaurer une forme d’art à la fois nationale (grâce à l’évocation des vieilles légendes germaniques) et universelle (en raison de l’essence purement humaine qu’il laisse entrevoir par-delà ses apparences contingentes). L’élaboration d’une telle œuvre va de pair avec les idées romantiques concernant la liberté de l’artiste créateur et les facteurs sociologiques dont elle doit nécessairement s’accompagner. De plus, elle réintègre l’homme et la vie dans l’élan cosmique qui les emporte ; elle rejoint à ce titre, à travers l’acceptation du destin, le néo-hellénisme, que les idées de Winckelmann ont contribué à introduire en Europe à l’aube du romantisme.


Chopin et Liszt

Le romantisme, soit par imitation, soit par réaction, est à l’origine de mouvements musicaux à tendance nationale et de l’éveil musical d’un certain nombre de pays : Pologne, Hongrie, Russie.

Ardent patriote, Chopin* confie au piano ses états d’âme évanescents ou fougueux ; mais ce qu’il suggère est plus important que ce qu’il dit ; à travers les formes libres qu’il utilise, son imagination, sa rêverie se sentent à l’aise, et l’errance de leur trajet rejoint l’esprit immatériel et féerique du romantisme allemand, avec, toutefois, une sensibilité plus fragile et plus nuancée.

Tout autre apparaît Liszt*, dont l’art, épris de grandeur, se rapproche fréquemment de celui des antiques rhapsodes. Le tempérament passionné de l’artiste, la générosité de l’homme se reflètent dans les élans lyriques de ses amples compositions, toujours somptueusement parées ; le sens de la grandeur s’y révèle non par une ascèse intérieure, comme chez Brahms, mais par une puissance créatrice qui débouche sur la vie intense et frôle parfois à ce titre, sans y jamais sombrer, la grandiloquence. L’idée, cependant, maintient la forme, particulièrement dans les poèmes symphoniques, dont la nature et la dimension sont toujours adéquates au développement de l’idée contenue dans le « programme » qui les a engendrés.