Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Romanov (suite)

Durant le siècle qui suit, l’autocratie, généralement utilisée par des favoris, est corrigée par les coups d’État de la noblesse. Pierre laisse deux filles, Anna et Élisabeth, issues de son second mariage avec une servante livonienne, Catherine. Celle-ci, s’appuyant sur le régiment de la garde, se fait proclamer tsarine. Au cours de son règne très bref, Catherine Ire (1684-1727, impératrice de 1725 à 1727) poursuit l’œuvre de Pierre.

Son successeur, Pierre II (1715-1730, empereur de 1727 à 1730), petit-fils de Pierre le Grand, n’est qu’un enfant, malade et hésitant. Durant son court règne, les véritables maîtres de l’Empire seront A. Danilovitch Menchikov (1672-1729), puis le clan Dolgorouki. À la mort du jeune tsar, le Haut Conseil secret et le parti aristocratique profitent du désarroi dynastique pour faire la seule tentative d’une limitation légale de l’autorité souveraine qu’ait connue, avant 1906, l’histoire de la Russie. Ils offrent la couronne à la fille d’Ivan V, Anna Ivanovna, duchesse de Courlande, à la condition qu’elle s’engage à ne rien faire sans eux. Mais l’impératrice s’empresse de jouer des divisions de l’aristocratie pour rétablir l’autocratie. Le Haut Conseil est remplacé par un cabinet de trois membres, et l’administration supérieure est truffée d’étrangers, en majorité des Baltes allemands (E. J. Biron [1690-1772]). La noblesse moscovite est décimée à l’image des cinq princes Dolgorouki, tandis que le peuple est écrasé de contributions qui servent à entretenir la cour.

Avant de mourir, Anna Ivanovna se choisit comme héritier le petit-fils de sa sœur Catherine Ivanovna, un nouveau-né, Ivan VI (1740-1764, tsar de 1740 à 1741). Biron est désigné comme régent ; mais il est aussitôt renversé par la garde, qui proclame régente la mère d’Ivan, Anna Leopoldovna. En fait, les espoirs du pays se portent vers une vraie Russe, la fille de Pierre le Grand, Élisabeth.

Dans la nuit du 25 novembre 1741, un complot porte en effet Élisabeth Petrovna (1709-1762, impératrice de 1741 à 1762) sur le trône des tsars. Le règne de celle-ci est calme : le Sénat est rétabli dans ses droits ; les nobles russes retrouvent leurs privilèges, et notamment celui de posséder des domaines à serfs, étant entendu qu’ils sont les maîtres absolus de ces derniers. Ainsi s’affermit la classe des pomechtchiki, nobles propriétaires fonciers jouissant de privilèges héréditaires exceptionnels. Prend alors forme la noblesse russe moderne, opulente et fortement occidentalisée ; les moujiks tombent au rang des serfs, que les barines achètent et vendent comme des objets. À l’extérieur, l’ayant emporté sur la Suède, la Russie d’Élisabeth prend pied en Finlande* (traité d’Åbo, 1743), véritable marche frontière de l’Empire.

Peu après son avènement, Élisabeth a désigné comme successeur un sien cousin, un petit duc allemand, Pierre de Holstein-Gottorp, avorton inculte et grossier à qui elle fait épouser une Allemande de seize ans, Sophie Augusta d’Anhalt-Zerbst, qui, en passant dans la religion orthodoxe, adopte le nom de Catherine. Quand Pierre III (1728-1762) monte sur le trône en 1762, il s’empresse de favoriser de toutes manières les Allemands et l’Allemagne, revenant ainsi aux pratiques du temps d’Anna Ivanovna. Fanatique admirateur de Frédéric II*, il rend à la Prusse tous les territoires conquis par les Russes pendant le règne d’Élisabeth. De plus, il manifeste une haine violente à l’encontre de l’Église orthodoxe. Rapidement, Catherine, sa femme, groupe autour d’elle les mécontents ; elle accule son mari à l’abdication (28 juin 1762) et laisse un jeune officier, Alekseï Orlov, étrangler le tsar.

Ainsi commence le règne de Catherine II* (impératrice de 1762 à 1796), la Grande Catherine ; celle-ci pratique le despotisme éclairé, mais les idées généreuses de « la Sémiramis du Nord », qui rassemble les « Terres russes » au détriment de la Pologne et du Sultan ne changent rien à l’état misérable du moujik. Le règne de Catherine II est d’ailleurs marqué par la révolte de Pougatchev (1773-1774), qui finit par échouer.

Le successeur de Catherine II, son fils Paul Ier (1754-1801, empereur de 1796 à 1801), prend bien d’abord le contre-pied de la politique de sa mère, desserrant les mailles serrées de l’Administration, rendant une certaine autonomie aux allogènes, réduisant les privilèges des nobles, limitant la vente des serfs ; mais, bientôt, ce souverain peu équilibré pratique une politique instable, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur (il se fait l’allié, puis l’adversaire de la France) ; cette politique lui aliène l’aristocratie russe. Dès 1801 se vérifie l’adage qui veut que le régime russe soit « un absolutisme tempéré par l’assassinat ». Paul Ier étranglé par un officier, son fils Alexandre lui succède.

Les cinq derniers tsars, dont les règnes couvrent le xixe s., le siècle des révolutions (1801-1917), vont être constamment pris entre la montée des idées libérales et modernes et le respect de la légitimité, confondue avec l’autocratie féodale et bureaucratique.

Si Alexandre Ier* (empereur de 1801 à 1825), homme versatile, ne peut donner vie aux rêves généreux de sa jeunesse, son frère Nicolas Ier* (empereur de 1825 à 1855) pratique l’autocratie à l’état pur, écrasant toute velléité de révolte et restant fidèle dans sa politique extérieure aux idées de ses prédécesseurs sur la vocation orthodoxe de la sainte Russie, gardienne des traditions nationalistes et autoritaires en Europe. Alexandre II* (empereur de 1855 à 1881), lui, mesure la force des idées nouvelles qui travaillent une intelligentsia et une classe moyenne en formation, décidées à les faire triompher par la force même ; son titre de « tsar libérateur » est attaché à l’oukase du 3 mars 1861, qui octroie la liberté personnelle à tous les serfs domestiques et prévoit un remembrement des terres au profit des paysans. Mais cette mesure capitale se heurte, dans son application, aux structures durcies de la société russe. Et puis la révolte polonaise de 1863 rend le tsar plus méfiant. Cependant, celui-ci est sur le point d’accorder une Constitution, quand il meurt par les bombes des nihilistes en 1881. Tout naturellement, son successeur, son fils Alexandre III* (empereur de 1881 à 1894), prend le contre-pied de sa politique ; le xixe s. touche à sa fin que la Russie vit encore en pleine autocratie. Dans ces conditions, le faible Nicolas II* (empereur de 1894 à 1917) est incapable de faire face à une situation de plus en plus dramatique ; et si la révolution* de 1905, au lendemain de la sanglante guerre russo-japonaise*, échoue de justesse, le régime tsariste est irrémédiablement emporté par la révolution* bolchevik de 1917, fruit des humiliations et des souffrances de la Première Guerre* mondiale. Le 17 juillet 1918, la famille Romanov est décimée au cours de l’assassinat d’Iekaterinbourg (auj. Sverdlovsk), qui voit disparaître le dernier tsar et sa famille. Ce qui reste des Romanov s’exilera en Europe occidentale et aux États-Unis.

P. P.