Peintre espagnol (? v. 1560 - Olivares, prov. de Séville, 1625).
De même que Ribalta* pour Valence, Roelas (ou Ruelas, ainsi qu’il signe ses tableaux) apparaît traditionnellement comme le rénovateur de l’école sévillane au début du xviie s., celui qui, avant l’arrivée du caravagisme, la libère des conventions maniéristes grâce aux leçons des Vénitiens. Et c’est exact jusqu’à un certain point. Mais la carrière de Roelas comporte encore de vastes zones d’ombre, et sa première partie nous échappe totalement. Est-il Sévillan, noble et fils d’amiral, comme l’ont dit les anciens biographes ? On sait seulement que son père avait servi dignement le roi. S’est-il formé à Venise, comme on l’a répété pendant trois siècles ? ou n’a-t-il étudié les maîtres vénitiens qu’à travers les collections royales ? Quand est-il entré dans les ordres ? Tout ce qu’on peut dire, c’est que sa première œuvre signée, une gravure, l’Élévation de la Croix, date de 1597, et que les premiers documents qui le concernent proviennent de Castille : en 1598, « peintre et clerc ordonné prêtre », il travaille au cénotaphe que l’université de Valladolid a commandé après la mort de Philippe II, et, trois ans plus tard, dans la même ville, il collabore avec le Florentin Bartolomeo Carducci. C’est à partir de 1603 qu’une prébende à la nouvelle collégiale d’Olivares, près de Séville, le fixe en Andalousie. Il peint pour les églises de Séville les grands tableaux d’autel qui firent sa réputation ; il est aussi le témoin de l’ardeur religieuse sévillane : son curieux tableau du musée de Valladolid fait revivre la « croisade conceptionniste » de 1615 et la procession de quarante mille personnes qui réclama la proclamation de Marie Immaculée. En 1616, Roelas, nommé chapelain royal, est à Madrid, mais sans obtenir, bien que célèbre comme « très vertueux et bon peintre », le poste de peintre de la Chambre qu’il postulait. En consolation, il est promu chanoine d’Olivares, où il revient et où il mourra.
Son œuvre — quel que soit le lieu où l’artiste se soit formé — est imprégnée d’un « vénétianisme » qui l’oppose aux derniers maniéristes sévillans, dont Francisco Pacheco (1564-1654) est le coryphée. Les dimensions, insolites même à Séville, de ses grandes compositions à deux registres, terrestre et céleste, avec de multiples figurants, évoquent Véronèse* : Circoncision (1606) avec saint Ignace martyr et saint Ignace de Loyola, pour l’église des Jésuites (auj. à l’université) ; Mort de saint Herménégilde et Martyre de saint André, au musée ; Mort de saint Isidore (1613), à San Isidoro ; Triomphe de saint Grégoire (1608), aujourd’hui à Ushaw College (Londres). Même dans les sujets plus intimes (Éducation de la Vierge, musée de Séville ; Lactation de saint Bernard [1611], hôpital de las Bubas), il affirme sa prédilection pour les grands formats. Mais il est plus « vénitien » encore par l’éclat et la douceur de sa palette, la chaleur des carmins, des verts et des orangés, les « gloires » rousses et dorées, par la maîtrise dans l’emploi d’un clair-obscur à la Bassano* (Libération de saint Pierre [1612], Séville, San Pedro), par cette profusion d’accessoires familiers, « buffet avec des victuailles, chat et chien par-dessous, corbeille à ouvrages et jouets » dont Pacheco, à propos de l’Éducation de la Vierge, blâme la vulgarité.
Il faut ajouter que Roelas ne vaut pas seulement par l’ampleur décorative et l’habileté de composition : il est capable, à l’occasion, d’un large souffle épique (le magnifique Saint Jacques matamore, chargeant sur son cheval blanc [1609], cathédrale de Séville), comme de l’expression de la ferveur et d’une douleur sobre et poignante : le chœur des fidèles de la Mort de saint Isidore, qui entourent l’archevêque mourant, est sans doute l’un des plus beaux ensembles de portraits, divers d’âge et de condition, mais unis dans un sentiment commun, que nous ait légués l’école espagnole.
Si Roelas conquit l’admiration des Sévillans, s’il contribua à l’avènement d’un naturalisme moins tendu, moins sévère que celui des Valenciens, son influence immédiate semble moindre qu’on ne l’a cru longtemps : le ténébrisme caravagesque qui gagne Séville vers 1610 semble avoir attiré davantage l’avant-garde des peintres. C’est sa brutalité qui domine la jeunesse de Vélasquez* et de Zurbarán*, beaucoup plus que la suavité de Roelas — dont ce serait plutôt chez Murillo*, par la suite, qu’on trouverait la trace. L’artiste n’en reste pas moins l’un des plus vigoureux et séduisants représentants du « Siècle d’or » espagnol.
P. G.