Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

rocaille (art) (suite)

Oppenordt, architecte et décorateur, entra au service du Régent, Philippe d’Orléans, et renouvela pour lui le décor intérieur du Palais-Royal à Paris. Il présida aussi à la reprise des travaux à l’église Saint-Sulpice. Dans les lambris du salon de l’hôtel d’Assy, au Marais, apparaît son style ornemental, varié, opulent, d’un dynamisme qui avoue son inspiration baroque, nuancée de fantaisie. Dessinateur fécond, il confia à l’éditeur Gabriel Huquier le soin de réunir ses compositions en trois recueils de gravures qui servirent de références aux praticiens. Moins soucieux du répertoire architectural, Meissonnier, qui obtint le titre officiel de dessinateur de la Chambre et du Cabinet du roi, se livra aux fantasmes de son imagination, donnant des projets pour des décors de fêtes, des feux d’artifices et des pièces d’orfèvrerie. Avec lui, l’art se fait irréel, onirique, rompant l’équilibre, la symétrie, refusant la ligne droite au profit de toutes les combinaisons de courbes et de contre-courbes. Une fantaisie si éperdue pouvait difficilement être traduite dans la réalité, et Meissonnier illustre bien la part de gratuité qu’il y a chez tout artiste rocaille.

Il convient effectivement d’observer que c’est dans le domaine des objets d’art, dans l’orfèvrerie, dans la porcelaine, dans le mobilier que l’art rocaille trouva surtout son expression. Les architectes français restèrent fidèles à une certaine sobriété de lignes durant toute cette époque ; l’art rocaille fournit cependant la note délicieuse de ses cartouches chantournés, de ses agrafes asymétriques aux formes étranges, de ses ferronneries aux entrelacs échevelés, de ses lambris où s’ébattent des Chinois, des singes ou des chimères. Rocailles sont les marqueteries et les bronzes des meubles, les torchères et les consoles, œuvres d’un Cressent* ou d’un Antoine Gaudreaux (1680-1751). Rocailles les chandeliers ou les salières d’un Thomas Germain*, qui cisèle une flore d’une virtuosité confondante, sans jamais tomber, n’en déplaise à Cochin, dans le mauvais goût. Ses pièces de vaisselle précieuse lui valurent une vogue internationale. Il se voulut à son tour architecte, et l’église Saint-Louis du Louvre, malheureusement disparue sous l’Empire, peut être considérée comme une tentative à peu près unique de la rocaille dans l’architecture religieuse en France, l’autre exemple que l’on pourrait citer, et qui existe encore, se dressant en Lorraine : les tours de l’église Saint-Jacques de Lunéville. Meissonnier avait proposé un projet de façade pour l’église Saint-Sulpice de Paris, dont la gravure garde le témoignage et qui eût été un chef-d’œuvre rocaille, mais on lui préféra le double portique déjà presque néo-classique de Giovanni Niccolo Servandoni (1695-1766). Cet aventurier de l’art, né à Florence, qui promena son humeur capricieuse dans la plupart des grandes capitales européennes, Paris, Bruxelles, Londres, Dresde, Vienne, prodiguant les décors de ballets et d’opéra, donna lui-même des gages à la rocaille. Il doit beaucoup aux Bibiena, à Giovanni Paolo Pannini (v. 1691-1765) ; encore une fois l’Italie est l’inspiratrice.

D’autres dessinateurs féconds méritent d’être cités : Nicolas Pineau (1684-1754), introducteur de la rocaille en Russie, « Mondon fils », Jacques de Lajoue (1687-1761), dont il ne subsiste, comme décorateur, que des projets où il montre un sens très poétique du paysage, avec une verve et une liberté de facture assez proches de l’art de son ami Watteau. Il propose à l’envi des dessins pour fontaines, vases, trophées. D’origine méridionale, Bernard Toro (1672-1731) est aussi un inépuisable inventeur, volontiers porté au délire et dont l’influence est encore mal définie. Il faut faire une place aussi à des artistes plus officiels, les frères Slodtz*, Sébastien Antoine et Paul Ambroise, qui furent successivement après Meissonnier, dessinateurs de la Chambre et du Cabinet du roi. Sculpteurs de formation, ils fournirent dessins et maquettes pour des meubles et des lambris, pour des décors de fêtes et firent régner la rocaille dans un domaine où on l’attendait moins, celui des pompes funèbres ; ils eurent droit eux aussi aux critiques dédaigneuses de Cochin. On n’omettra pas de mentionner parmi les maîtres de la rocaille le Wallon François de Cuvilliés (1695-1768), qui vint se former à Paris avant de s’établir à la cour de Bavière : avec lui, l’art rocaille et l’art rococo se marient et se confondent. Son Livre de cartouches, paru à partir de 1738, servit de bible aux décorateurs, et Amalienburg demeure un des hauts lieux de cet art rocaille qui s’est exporté et acclimaté pour trouver un nouvel épanouissement en Europe centrale.

Y a-t-il une sculpture, une peinture rocailles ? Des maîtres comme Jean-Baptiste Lemoyne* et les frères Adam* témoignent à l’hôtel Soubise, sous la direction de Germain Boffrand*, un des architectes qui a le mieux, en France, senti la rocaille, que l’art du relief peut justifier cette épithète ; de même les Adam, encore, au bassin de Neptune à Versailles. Mais la réaction vint assez vite avec Bouchardon*. Pour la peinture, le genre des fêtes galantes, à commencer par Antoine Watteau*, entrerait sans peine dans ce chapitre, et aussi Jean-Marc Nattier (1685-1766), Charles Natoire (1700-1777) et même, si l’on cherche bien, ceux qui ont cultivé le genre plus « noble » de la peinture d’histoire, comme Jean-François De Troy*. Et l’on peut affirmer que de la fantaisie et de la poésie de la rocaille, Boucher*, Fragonard* et Hubert Robert* ont tiré leurs meilleurs effets. Dans une large mesure, l’art rocaille s’assimile à la recherche de grâce, de charme et de surprise qui caractérise la phase la plus séduisante du Siècle des lumières.

F. S.

➙ Baroque / Classicisme / Louis XV (styles Régence et).

 S. F. Kimball, The Creation of Rococo (Philadelphie, 1943 ; trad. fr. le Style Louis XV, origine et évolution du rococo, Picard, 1949).