Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Rimbaud (Arthur) (suite)

Malgré la volonté de « tenir le pas gagné », de faire durer coûte que coûte les « illuminations » (pour reprendre le titre d’un autre recueil, Illuminations, [1886]), la désillusion succède à l’espoir. Damné, il n’est pas possible de demeurer longtemps dans les sphères de l’impossible : la charité apprise dans l’enfance, la moralité dont il est pétri s’en offusquent. Qu’il le veuille ou non, Rimbaud fait partie de ce monde occidental qu’il malmène et maltraite. Il ne peut y échapper malgré tous ses efforts. Il se sent coupable. La honte apparaît : « Je vois que mes malaises viennent de ne pas m’être figuré assez tôt que nous sommes à l’occident. » Monsieur Prud’homme y règne en maître tout-puissant. Le Christ, « éternel voleur d’énergies », domine dans un silence efficace. Même vilipendé, méprisé, il n’en continue pas moins de culpabiliser celui qui cherche le « dégagement », le « brisement de la grâce croisée de violence nouvelle ». La saison passée dans l’Enfer apparaît alors comme une évasion, une incapacité à vivre dans la réalité, un refuge, alors qu’elle devait être un moyen pour connaître autre chose : la « vraie vie » ; les mots réinventés. La résignation semble s’installer : « Nous existerons en nous amusant, en rêvant amours monstres et univers fantastiques, en nous plaignant, en nous querellant les apparences du monde. » L’Éternité ne peut être conquise. Mais l’espoir encore demeure : « Quand irons-nous, par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin des superstitions, adorer — les premiers ! — Noël sur la terre ? » Certes, nous sommes encore « esclaves », mais « ne maudissons pas la vie ». Pourtant, Rimbaud ne fera pas de carrière littéraire. Il cessera d’écrire à l’âge de vingt ans. « Eh bien, je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée ! Moi qui me suis dit page ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan. » L’écriture s’est révélée impuissante à dégager une morale nouvelle et universelle, à trouver un langage suffisant. Il faut se contenter de vivre et de chercher, sur la terre, d’une autre manière, à « posséder la vérité dans une âme et dans un corps ».

Cri continu, incessant, l’œuvre de Rimbaud marque l’évidence de l’impuissance de la science de l’écriture qu’il voulait instaurer, l’évidence de l’impossibilité de forger, sur-le-champ, une « vraie vie ». L’attente du poète ne peut durer indéfiniment. Quand ce qui est à dire a été dit, quand ce qui fut espéré n’advient pas, la « main à la charrue » devient obligatoire. L’écriture annonce. Mais, si ce qu’elle promet tarde trop longtemps, il n’est pas nécessaire de la prolonger, de ressasser incessamment ce qu’elle a déjà dit, ce qu’elle ne peut atteindre. « La science ne va pas assez vite pour nous. » Il est alors préférable de se taire, de se faire marchand, la « main à la charrue » et les pieds sur la terre. Le « déluge » provoqué par la saison passée dans l’Enfer de la connaissance exigée n’a pas changé la vie. Celui qui « crut acquérir des pouvoirs surnaturels » est toujours identique à lui-même. Pourtant, la vie a suivi son cours. L’adolescent, prématurément devenu homme, décide d’étreindre la réalité telle qu’elle est, de s’en contenter dans sa quotidienneté. Ce choix n’altère pas le poète, mais le confirme comme un homme à part entière, vivant sur la terre. Faute d’avoir pu « créer », il essaie de se satisfaire le mieux possible dans le quotidien, non sans garder la nostalgie entrevue durant sa descente aux Enfers.

M. B.

 F. Ruchon, Jean Arthur Rimbaud, sa vie, son œuvre, son influence (Champion, 1929 ; nouv. éd., Slatkine, Genève, 1970). / J. Rivière, Rimbaud (Émile-Paul, 1938). / E. Starkie, Arthur Rimbaud (Londres, 1938 ; 2e éd., 1947). / W. Fowlie, Rimbaud (New York, 1946). / G. Izambard, Rimbaud tel que je l’ai connu (Mercure de France, 1946). / A. Rolland de Rénéville, Rimbaud le voyant (la Colombe, 1947). / P. Zech, Jean Arthur Rimbaud : ein Querschnitt durch sein Leben und Werk (Berlin, 1948). / A. Breton, Flagrant Délit (Thésée, 1949 ; nouv. éd., Pauvert, 1964). / E. Delahaye, les « Illuminations » et « Une saison en enfer » de Rimbaud (Messein, 1949). / Étiemble, le Mythe Rimbaud (Gallimard, 1952-1961 ; 4 vol.) ; Nouveaux Aspects du mythe de Rimbaud : Rimbaud dans le monde slave et communiste (C. D. U., 1965 ; 2 vol.). / H. Miller, The Time of the Assassins, a Study of Rimbaud (Londres, 1956, nouv. éd., New York, 1962 ; trad. fr. le Temps des assassins, essai sur Rimbaud, Oswald, Honfleur, 1970). / B. Morrissette, The Great Rimbaud Forgery (Saint Louis, 1956 ; trad. fr. la Bataille Rimbaud, Nizet, 1959). / C. Chadwick, Études sur Rimbaud (Nizet, 1960). / Y. Bonnefoy, Rimbaud par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1961). / H. Matarasso et P. Petitfils, Vie d’Arthur Rimbaud (Hachette, 1962) ; Album Rimbaud (Gallimard, coll. « la Pléiade », 1967). / M. Matucci, le Dernier Visage de Rimbaud en Afrique (Didier, 1962). / S. Fumet, Rimbaud, mystique contrarié (Plon, 1966). / C. Hackett, Autour de Rimbaud (Klincksieck, 1967). /M. Ruff, Rimbaud (Hatier, 1968). / S. Briet, Madame Rimbaud (Lettres modernes, 1969). / J. Chauvel, l’Aventure terrestre de Jean Arthur Rimbaud (Seghers, 1971). / P. Gascar, Rimbaud et la Commune (Gallimard, 1971). / M. J. Whitaker, la Structure du monde imaginaire de Rimbaud (Nizet, 1972). / L. Forestier (sous la dir. de), Arthur Rimbaud (Lettres modernes, 1973-74 ; 2 vol.). / M. Perrier, Rimbaud. Chemin de la création (Gallimard, 1974). / A. Thisse, Rimbaud devant Dieu (Corti, 1975).

Rimski-Korsakov (Nikolaï Andreïevitch)

Compositeur russe (Tikhvine, province de Novgorod, 1844 - Lioubensk, près de Saint-Pétersbourg, 1908).



Sa vie

À sa naissance, son père — un ancien gouverneur démis de ses fonctions en raison de sa tolérance — a atteint la soixantaine ; sa mère est âgée de quarante-deux ans ; son frère, Voïne, officier de marine, a vingt-deux ans. Dès sa sixième année, Nikolaï reçoit ses premières leçons de piano. S’il s’intéresse plus aux récits de voyages, à la mer, aux étoiles qu’aux études musicales, il n’en compose pas moins un duo vocal en 1855. L’année suivante, il est inscrit à l’École navale de Saint-Pétersbourg. Il assiste à des représentations d’opéras de Mozart et de Weber, mais apprécie davantage Lucie de Lammermoor de G. Donizetti et surtout la Vie pour le tsar de M. Glinka. En 1859, il suit les cours de piano de F. A. Canille, qui lui fait découvrir les œuvres de Bach et de Schumann, l’incite à composer et le présente à Balakirev. Ce dernier, avec Cui, Moussorgski*, Borodine* et Rimski-Korsakov, constitue le « groupe des Cinq* ». Tous repoussent l’académisme et les œuvres de Bach (qu’ils opposent à Händel), préférant une musique issue du folklore national, comme le prônait Glinka. Alors que Rimski-Korsakov ébauche la première symphonie de l’histoire de la musique russe, il est contraint de faire un voyage de trois années sur un bateau-école (1862-1865). À son retour, officier de marine, il termine son œuvre et retrouve Balakirev. Il fait la connaissance de Tchaïkovski* (qui lui donnera des cours théoriques par correspondance) et élabore un tableau symphonique, Sadko. Après Antar, inspiré par des airs arabes, une Ouverture sur des thèmes russes et une Fantaisie sur des thèmes serbes, il entreprend la Pskovitaine, son premier opéra. Ses amis accueillent avec joie sa nomination comme professeur au conservatoire de Saint-Pétersbourg (1871). Un an après, il épouse la pianiste Nadejda Nikolaïevna Pourgold (1848-1919), dont il aura quatre enfants, et abandonne la chambre meublée qu’il partageait avec Moussorgski. Devenu inspecteur des Musiques des équipages de la flotte, directeur de l’École musicale gratuite de Saint-Pétersbourg et après des débuts de chef d’orchestre, il éprouve le besoin de parfaire sa culture musicale, tout en composant sa troisième symphonie et un quatuor. Rompant avec Balakirev, il étudie la clarinette et la flûte ainsi que les partitions de Palestrina et de Bach : trente-six fugues et seize canons datent de cette époque. Un morceau pour hautbois, un autre pour trombone s’ajoutent à quarante chansons russes, qu’il prend en note en 1876. Cette date marque le début du Journal qui nous renseigne sur la vie du compositeur jusqu’en 1906. Réconcilié avec tout le « groupe », Rimski-Korsakov compose néanmoins une Fugue sur le thème de B. A. C. H. Il accède au poste de directeur adjoint de la Chapelle impériale (1883) après la composition de Snegourotchka. Il aime alors se retrouver avec Anatoli Konstantinovitch Liadov (1855-1914) et Aleksandr Konstantinovitch Glazounov (1865-1936) chez le mécène-éditeur Mitrofan Petrovitch Beliaïev (1836-1903). Hormis un Traité d’harmonie, nous notons durant cette période, où l’auteur se spécialise dans l’écriture pour le violon, trois œuvres maîtresses : Schéhérazade, la Grande Pâque russe et le Capriccio espagnol.