Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

rhétorique (suite)

Inventio

Longtemps, l’inventio fut la pièce maîtresse du système. Il s’agit là d’une activité qui se situe en deçà de la distinction de la forme et du contenu, aussi est-elle difficile à concevoir. L’inventio fournit à la fois un répertoire des arguments et son mode d’emploi ; elle se présente comme un catalogue, la « topique ». Elle propose une cartographie des lieux (topoi en grec), « cellules où tout le monde peut aller prendre, pour ainsi dire, la matière d’un discours et des arguments pour toutes sortes de sujets » (Du Marsais [1676-1756]). Les lieux enregistrent un savoir considéré comme clos et immuable, bien commun d’une société fortement intégrée.

La crise de l’inventio correspond à la crise des valeurs classiques et notamment à l’ébranlement dont témoigne la naissance du discours de la science, fondé sur une méthode de découverte liée, depuis Descartes, à la notion d’évidence. Le « bon sens », dont l’inventio était le lieu d’exercice, doit mener, désormais, une existence moins explicite.


Dispositio

La théorique classique régissait l’organisation de l’ensemble du discours, réglant l’ordre de succession des grandes unités de l’argumentation. Loin de se limiter à l’ordonnance des « mots », elle déterminait la composition d’ensemble des énoncés en vue de leur fin persuasive. La dispositio était une tactique. Cette préoccupation, étroitement liée à une conception pratique du discours, perd de son importance dans le passage du délibératif à l’épidictique, du discours parlé au texte imprimé, de l’action oratoire au « morceau » d’apparat.

La concentration de la rhétorique dans l’élocution correspond donc à une modification fondamentale du statut du discours, et la rencontre d’une linguistique de la phrase et du mot avec une rhétorique restreinte à l’elocutio ne peut qu’accomplir ce processus.


Elocutio

La théorie de l’elocutio, devenue la rhétorique tout entière, se construit autour de la notion d’écart entre un usage « normal » des mots (sens « propre ») et un usage détourné (sens « figuré »). C’est ainsi que Pierre Fontanier, un des derniers théoriciens de cette discipline, donne de la figure la définition suivante : « Les figures du discours sont les traits, les formes et les tours plus ou moins remarquables et d’un effet plus ou moins heureux par lesquels le discours, dans l’expression des idées, des pensées ou des sentiments, s’éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l’expression simple et commune. »

L’activité rhétorique apparaît ainsi comme une activité substitutive : un mot est mis pour un autre, et la terminologie compliquée qui se constitue est une tentative de classement de ces opérations. L’impossibilité où se trouve une théorie linguistique qui limite son champ à la phrase de construire une théorie sémantique laisse le champ libre aux entreprises strictement taxinomiques de la rhétorique moderne. L’autonomisation de l’elocutio interdit d’emblée toute démarche explicative ; la « science » qui se constitue ainsi reste uniquement descriptive. Alors que la rhétorique classique ne pouvait éluder la question de l’enjeu du discours, l’élimination de la préoccupation pratique sous couleur de scientificité rend inexplicables les opérations de substitution et la fonction de la mise à l’écart.

L’écart sur lequel se fonde la théorie des figures trouvait, dans la rhétorique classique, son origine dans l’écart initial qui sépare les arts libéraux des arts mécaniques, c’est-à-dire dans une exclusion de caractère « politique ». Il ne peut se légitimer aujourd’hui qu’à la faveur de l’opposition entre une langue littéraire et une langue commune.

La théorie moderne des figures se voit donc amenée à instituer, sans jamais l’expliciter ni l’assumer, une séparation entre un discours scientifique, supposé neutre et innocent, un discours sans figures (le sien, notamment) et un discours littéraire, qui est à la fois, selon un schéma dont le xviie s. (Port-Royal, Bernard Lamy) a élaboré le modèle, le discours des passions et le discours autonome d’une pure littérarité.

Ce clivage permet de distinguer trois domaines : un domaine du discours « scientifique », notamment celui d’une « linguistique » qui traite d’une langue neutralisée, conçue comme addition de phrases autonomes ; un domaine de la psychologie, dont la naissance coïncide, en fait, avec la réduction à l’elocutio ; un domaine « littéraire », enfermé dans son propre discours et se prenant lui-même pour objet.

Aussi la condition de la construction d’une nouvelle rhétorique est-elle la remise en question de ces trois domaines. Elle ne saurait se présenter comme la réactivation de la rhétorique classique.

P. K.

 P. Fontanier, les Figures du discours (Maire-Nyon, 1827 ; nouv. éd., Flammarion, 1968). / H. Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik (Munich, 1960 ; 2 vol.). / G. Genette, Figures (Éd. du Seuil, 1966-1969 ; 2 vol.). / R. Barthes, « l’Ancienne Rhétorique » dans Communications (Éd. du Seuil, 1970). / Groupe μ, Rhétorique générale (Larousse, 1970). / A. Kibedi-Varga, Rhétorique et littérature (Didier, 1970).

rhétoriqueurs (les)

Historiens, orateurs et poètes qui ont vécu dans la seconde moitié du xve s. et dans le premier tiers du xvie s.


On appelait alors rhétorique*, rhétoricien, rhétoriqueur celui qui savait manier, en prose ou en vers, l’art de la parole. Les rhétoriqueurs n’ont pas formé d’école proprement dite, mais on les trouve attachés à la cour des princes : à la cour des ducs de Bourgogne, autour de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire, en Flandre auprès de Marguerite d’Autriche, enfin dans les demeures seigneuriales de Bretagne, de Normandie, du Poitou, d’Angoumois, du Bourbonnais et de Paris.

Ils ont au moins deux devanciers immédiats : Jean Meschinot (v. 1420-1491), connu par ses ouvrages politiques, et Georges Chastellain (v. 1405-1475), qui donne, dans sa Chronique (1420-1474), la mesure de son talent.

Jean Molinet (1435-1507) fit ses débuts à la cour de Bourgogne. De son œuvre considérable, il faut retenir la Chronique (1474-1504) et ses Faicts et dicts publiés en 1531 qui révèlent un moraliste attentif à dénoncer la misère du peuple et à proclamer son désir de paix. Homme de grand talent, chantre et musicien, il se délecte des formes et des sons dans un art raffiné.