Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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révolution russe de 1917 (suite)

La position des bolcheviks eux-mêmes n’est pas nette : après une première dénonciation du gouvernement, le comité de Petrograd décide de le soutenir « tant que ses actes correspondent aux intérêts du prolétariat ». Le retour des dirigeants déportés — Kamenev (Lev Borissovitch Rosenfeld, 1883-1936) et Staline* — entraîne un alignement sur les positions mencheviks quant à la poursuite de la guerre. Une conférence bolchevik adopte cette position. Lénine*, cependant, adresse de Zurich quatre « Lettres de loin » à la Pravda pour lutter contre ces tendances conciliatrices. Il écrit : « La deuxième révolution [...] doit faire passer le pouvoir des mains des grands propriétaires et des capitalistes [...] dans celles des ouvriers et des paysans. » La Pravda ne publie que la première de ces lettres.

Lénine, à la suite de négociations avec l’ambassade d’Allemagne, qui l’autorise à traverser le pays, rentre en Russie. Accueilli par le soviet de Petrograd, il prend le contre-pied des officiels et salue « l’avant-garde de la révolution prolétarienne mondiale ». Il publie ses thèses en avril dans la Pravda. Les bolcheviks se divisent : les « vieux bolcheviks » (Kamenev, Alekseï Ivanovitch Rykov [1881-1938]) s’opposent aux thèses de Lénine et affirment : « Devant nous, il y a de gigantesques tâches révolutionnaires, mais leur réalisation ne nous entraînera pas au-delà du système bourgeois. »


La conquête des soviets

Le 1er mai (18 avr.), Pavel Nikolaïevitch Milioukov (1859-1943), ministre des Affaires étrangères, proclame son intention de poursuivre la guerre jusqu’à « une fin victorieuse ». Les 3 et 4 mai (20-21 avr.), des manifestations marquent l’opposition populaire à cette décision. Le 7 mai (24 avr.) se réunit la conférence panrusse du parti bolchevik, qui adopte, en dépit d’une forte opposition, les thèses de Lénine. Trotski et ses amis rejoindront le parti bolchevik sur ces nouvelles bases.

Le gouvernement, remanié pour éliminer Milioukov, comprend des mencheviks et des sociaux-révolutionnaires, que rien ne sépare. Kerenski est ministre de la Guerre.

Pour que la dualité persistante du pouvoir profite aux révolutionnaires, il importe, pense Lénine, de détacher les soviets du gouvernement et donc, pour les bolcheviks, d’y conquérir la majorité. Il s’agit que le prolétariat cesse de brider volontairement son pouvoir ; le changement de majorité au sein des soviets, condition de la prise du pouvoir, doit se faire pacifiquement, mais doit aboutir à la prise par la force de tout le pouvoir par les soviets. C’est uniquement pour la première étape que Lénine envisage un cours pacifique — depuis largement réinterprété comme « passage pacifique au socialisme ». Un programme — adopté au début de mai —, « le pain, la terre et la paix », et un moyen d’action, les soviets : les bolcheviks sont dès lors en mesure de revendiquer le pouvoir. C’est ce que fait Lénine, à la surprise générale, dès l’ouverture du premier congrès panrusse des soviets, le 16 (3) juin.


Juillet-octobre

Kerenski ayant décidé une offensive sur le front pour le 1er juillet (18 juin), le congrès des soviets, encore dominé par les mencheviks, décide pour le même jour une manifestation à Petrograd de soutien à la coalition gouvernementale, mais la majorité des manifestants scande les mots d’ordre bolcheviks. Du 16 (3) au 18 (5) juillet, les groupes armés bolcheviks, puissamment développés dans la période récente, tentent une insurrection spontanée, qui échoue et déclenche la répression contre les bolcheviks. Kamenev, Trotski sont arrêtés. Quant à Lénine, il se cache avec Zinoviev (Grigori Ievseïevitch Radomylski, 1883-1936) en Finlande. Kerenski devient président du Conseil.

Le VIe Congrès du parti bolchevik s’ouvre cependant le 8 août (26 juill.). Le Comité central, élu alors et qui représente 240 000 militants, comprend Lénine, Trotski, Zinoviev, Kamenev... Il va préparer l’insurrection, puisque la voie pacifique est désormais bouchée.

Au début de septembre, la tentative de putsch du général Lavr Gueorguïevitch Kornilov (1870-1918) échoue grâce à la détermination des bolcheviks plus qu’à l’action du gouvernement. L’influence des bolcheviks s’en accroît d’autant.


Octobre 1917


Hésitations sur l’insurrection

Dès septembre, Lénine juge qu’il n’est plus que deux voies : « Ou bien tout le pouvoir reste aux soviets [...] ou bien le kornilovisme. » Il écrit au Comité central de profiter de la réunion (fin sept.) d’une « conférence démocratique » convoquée par Kerenski pour exposer le programme bolchevik et annoncer, en cas de refus — prévisible — de ce programme, l’insurrection. La majorité du Comité central s’oppose à Lénine, et, tandis que la « conférence démocratique » désigne un Préparlement, une conférence bolchevik décide de participer à cette nouvelle instance, où mencheviks et sociaux-révolutionnaires sont majoritaires. Kerenski forme un nouveau gouvernement, tandis que la crise du ravitaillement recommence. Les Allemands menacent Petrograd. De Finlande, Lénine écrit au parti qu’il faut déclencher l’insurrection sans attendre le congrès des soviets, prévu pour novembre. Face à l’attentisme persévérant du Comité central, il offre sa démission. De justesse — 9 voix contre 8 —, le Comité central, travaillé par Trotski et Staline, décide de boycotter le Préparlement. Mais les bolcheviks ne préparent toujours pas l’insurrection ; Lénine, déguisé, rentre à Petrograd (faubourg de Vyborg) et obtient enfin, grâce à l’appui de Trotski, une résolution de préparation du soulèvement armé. La minorité hostile à cette décision — Rykov, Kamenev, Zinoviev — en fait une critique quasi publique, avertissant ainsi le gouvernement provisoire.

Trotski, président du soviet de Petrograd, et le Comité militaire révolutionnaire (C. M. R.), formé au sein de celui-ci par les bolcheviks, recensent les troupes au quartier général de Smolnyï : gardes rouges ouvriers, marins, soldats de la garnison et du front nord.