Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution française (suite)

Les bataillons de volontaires levés en 1791 ont été le premier type de cette armée de masse. Ils se sont constitués par enrôlement volontaire dans le cadre des municipalités. Cette origine régionale a produit une homogénéité que n’auront pas les levées de 1792. Comme le remarquera un officier, les volontaires ne quittèrent pas la maison paternelle sans un vif chagrin, mais, assurés de retrouver au sein de leurs unités mêmes habitudes et même langage, ils s’imaginèrent rester au milieu de leur famille. Leurs bataillons furent pour ces hommes une seconde patrie, dont la gloire devint vite l’affaire de chaque soldat.

Jeunes, puisque près de 80 p. 100 ont moins de vingt-cinq ans, ces hommes sont en majorité des artisans (66 p. 100), mais il y a aussi parmi eux, à côté des paysans, près de 11 p. 100 de fils de bourgeois. Ce sont ces notables qui, avec quelques nobles, les encadrent. L’analyse des registres d’inscription et des procès-verbaux d’élection révèle qu’un quart des capitaines, par exemple, étaient d’anciens sous-officiers ou officiers totalisant sept ans et plus de service. Ces officiers surent établir et maintenir une discipline qui était comme la projection de celle qui existait dans la société civile. Une légende tenace a trop représenté les volontaires de 1791 comme une bande de maraudeurs plus gênants qu’efficaces sur le champ de bataille. En fait, comme le remarque un officier, leur instruction militaire et leur discipline furent vite à la hauteur de celles des régiments de « blancs ». Mais, trop longtemps, on les confondit avec les volontaires de 1792.

Jeunes, eux aussi, mais sortis du monde du salariat, proches des sans-culottes et prompts, comme eux, à dénoncer des chefs et une discipline héritée des camps de la monarchie, ces volontaires de 1792 se montrèrent rebelles à toutes les contraintes qu’impose la vie militaire. Leurs bataillons, formés de la somme de multiples communautés, furent, mais à un degré moindre que ceux de 1791, un lieu où se répétaient les gestes appris dans le milieu social d’origine. La guerre fut pour ces volontaires une « vacance », une mise entre parenthèses des contraintes coutumières. Politiquement radicalisés par les luttes de l’été 1792, moins bien encadrés, moins tenus, ils imposèrent dans l’armée un style de « démocratie directe » qui répugnait aux « blancs » et aux « bleus » de 1791. Et pourtant leur présence innombrable, en avant et en arrière du front, rappela à tous, hommes politiques versatiles ou chefs de guerre ambitieux, aristocrates français ou étrangers, qu’ils étaient l’avant-garde d’une masse agissante, celle de la France entière défendant son bien nouveau, la liberté.

Mais le citoyen qui a fait son devoir à Valmy ou à Jemmapes rentre chez lui maintenant que l’hiver est là. Des vides se creusent dans les bataillons ; pour les combler, il faut lever de nouveaux citoyens, et, pour la première fois, on envisage l’application prochaine d’une conscription. Pour incorporer ces nouvelles recrues à la ligne, il faut l’unité de l’armée. Unité de solde d’abord : sans elle, la levée nouvelle ne pourra pas être dirigée indistinctement dans tous les bataillons. Embrigader, ce sera aussi, pour la troupe, créer ces unités tactiques à trois bataillons dont la dernière campagne a révélé l’utilité. Les généraux ont d’ailleurs déjà formé de telles unités en unissant volontaires et troupes de ligne.

La République a une armée, mais elle la connaît peu. Elle apprend que la conduire, c’est en assurer d’abord la direction administrative. Sans elle, les approvisionnements sont mal faits et les ordres opérationnels impossibles à donner. Les causes d’une telle ignorance viennent des conseils d’administration inexistants ou presque chez les volontaires. Les « capacités » manquent souvent pour tenir les registres et la comptabilité des corps. Celui qui a de l’instruction préfère briguer le commandement d’une compagnie ou passer dans les états-majors des généraux, voie d’accès rapide aux grades supérieurs. Embrigader, ce sera unifier les cadres et les mieux répartir d’une unité à l’autre : quartiers-maîtres et sergents-majors des anciennes unités royales donneront aux volontaires nationaux les nécessaires habitudes de gestion.

Ce sera aussi faire disparaître ces disparités d’encadrement qui, au moment du combat, nuisent aux opérations. Des unités réduites à rien ou presque remplissent tous leurs postes d’officiers, alors que d’autres « au complet » attendent les ordres du ministère. Il y a le va-et-vient des officiers et des sous-officiers entre les deux armées qu’il faut faire cesser. Attirés par un avancement plus rapide, les « blancs » sont passés aux volontaires ; la crainte d’un éventuel licenciement en cas de dissolution du bataillon les a fait revenir dans leur régiment d’origine à la recherche d’une propriété, celle du grade, confirmée par le gouvernement.

Porter au complet les bataillons, unifier l’encadrement, réaliser ces unités tactiques nécessaires, les mieux connaître enfin, telles étaient les nécessités techniques qui motivaient le projet présenté le 25 janvier 1793 par Dubois-Crancé (Edmond Louis Alexis Dubois de Crancé, 1747-1814). Mais il y avait aussi des raisons politiques. Il fallait faire de l’armée une image de la nation. Elle devait, pour éviter les risques d’une contre-révolution ou d’un fédéralisme que l’on commençait à craindre, être une comme la nation elle-même. Il fallait républicaniser l’armée tout entière : le projet d’amalgame présenté par Dubois-Crancé rapprochait tous les soldats par le lien de l’égalité et les unissait par le sentiment de la fraternité. Il les attachait à la patrie par la promesse faite à tous les pauvres, qui seraient désormais requis, d’accéder à la propriété lorsque la paix reviendrait. Ainsi, la société militaire serait toute traversée par le patriotisme, et celui-ci affaiblirait, puis ferait disparaître l’esprit hérité des temps anciens.