Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Révolution française (suite)

Pour éviter la maraude, source d’indiscipline, les généraux commencèrent à systématiser les contributions forcées. Après 1794, et notamment à l’époque du Directoire, ils y furent encore poussés par des hommes politiques qui y trouvaient leur compte. Certains étaient liés aux entreprises de marchands et de spéculateurs qui suivaient l’armée à la trace. D’autres, oubliant les grands principes, ne pensaient plus qu’à sauver l’État du péril financier qui le menaçait. De la guerre de libération des peuples, on passa peu à peu à l’impérialisme.

Ce furent souvent les paysans et les artisans qui subirent le plus le poids de cette politique. Pour eux, il n’y avait, en regard des charges ainsi imposées, aucun avantage. La vente des biens nationaux fut beaucoup plus limitée qu’en France ; les dîmes et les droits féodaux ne furent pas partout abolis. C’est « dans cette rénovation des structures économiques infiniment moins complète qu’en France qu’il faut chercher, selon J. Godechot, l’explication des multiples insurrections qui ont marqué les derniers mois d’existence du Directoire ».

Mais, en face de ce passif, comment oublier l’actif que fournissent les profondes transformations sociales et politiques. « Plus de privilèges, plus de clergé formant un corps tout-puissant, plus d’esclaves, plus de serfs, plus de juifs tenus à l’écart de la société et régis par des lois d’exception. » Les peuples ont appris le contenu révolutionnaire des termes de nation et de nationalités. L’État a été complètement modifié dans sa nature : c’en est fini de la monarchie de droit divin, le gouvernement constitutionnel représentatif et élu par le peuple la remplace. Même si l’expérience fut médiocre et de courte durée, elle marqua si bien les esprits que les rois devront en tenir compte en 1815. Il en sera de même de l’opinion publique : avec les Français sont apparus les clubs, les journaux et les débats publics. Les réformes administratives préparèrent les unifications du xixe s. Partout la justice devint gratuite et égale pour tous, la procédure se déroula publiquement, les châtiments furent humanisés. Partout fut aussi proclamée et appliquée l’égalité devant l’impôt. Enfin, comme en France, une nouvelle délimitation fut faite dans les rapports entre l’Église et l’État, qui laïcisa l’enseignement.

L’œuvre de la Révolution en France et en Europe est donc considérable. Elle a, en quelque sorte, atomisé la société. Avant 1789, l’individu est pris dans tout un réseau de contraintes, mais aussi, il est vrai, de protections qu’on appelle alors libertés. Chaque sujet du roi de France, en effet, n’existe que par son appartenance à une famille, à un ordre, à une religion, à un métier, à une province, à un village ou à une ville, avec des privilèges plus ou moins étendus. Après 1789, l’État ne connaît plus que des individus tous libres et égaux. Cette égalité des droits que les classes populaires voulurent plus réelle demeure, comme le soulignait G. Lefebvre, au sein de chaque nation et entre les nations mêmes, le problème fondamental de notre monde contemporain. Au plan politique, avant 1789, il y a un roi qui, par le sacre de Reims, reçoit la marque de Dieu et n’a plus de compte à rendre qu’à Lui seul dans l’exercice de son pouvoir. Après 1789, il y a une nation une et indivisible qui délègue ses pouvoirs à des représentants élus. L’exemple de la Révolution anime encore de nos jours les partisans du régime parlementaire. Mais c’est à ce même exemple que se réfèrent ceux qui présentent au xxe s. la démocratie représentative comme purement formelle ; elle ne serait qu’un leurre pour les masses populaires privées de toute réelle participation au pouvoir. Dans le domaine économique la Révolution offre l’exemple d’un passage sans compromis entre l’ancien mode de production et le nouveau. Par la liberté d’entreprise, elle fonde le capitalisme* moderne.

À chaque génération, les hommes qui s’affrontent sur la scène politique déterminent leur action en fonction de la Grande Révolution. 1848 se veut girondine, mais les ouvriers rappellent 1793. On frappe des monnaies sur lesquelles on peut encore lire : « 1789 a tué les privilèges, 1848 tuera les écus », ou bien, à Lyon : « Aristocrates, modérés, égoïstes, tremblez ! À la première atteinte portée à la Liberté, les ondes ensanglantées du Rhône et de la Saône charrieront vos cadavres aux mers épouvantées ; tremblez ! le peuple est debout et 93 peut encore renaître ! » La Commune de Paris imite l’an II. Le parti radical copie les attitudes des Constituants et admire Danton. La bataille de la Marne sera le nouveau Valmy d’une démocratie en armes, comme en 1792. Le parti socialiste, avec Jaurès, historien de la Révolution, écoute le message de l’an II. Avec le parti communiste, il est sensible au mouvement babouviste, regardé comme le premier essai d’un parti encadrant les masses laborieuses et leur fournissant un programme d’action. La Résistance, durant la Seconde Guerre mondiale, se bat au nom des mêmes principes que ceux de 1789.

De même que la Révolution est vivante parmi nous, la Contre-Révolution n’a cessé de captiver certains esprits. Chaque année, une messe est dite pour le repos du roi-martyr. Dans l’Ouest, il y a peu de temps encore, on apprenait aux enfants non pas l’histoire de la Révolution, mais l’histoire des chouans. Tous les ans, un pèlerinage vers un martyrium des « blancs » s’organisait, et, après la messe en plein air, les jeunes, prenant les habits des anciens, représentaient sur une scène de théâtre improvisée la guerre menée contre la République. Pour certains chrétiens, la Révolution demeure une œuvre satanique, et les massacrés de Septembre sont considérés comme des martyrs de la foi. La pensée des doctrinaires ultras de la Restauration a trouvé des échos dans l’Action française et dans l’intégrisme catholique, alors que ceux qui réconcilient Dieu et la Liberté cherchent auprès de l’abbé Grégoire et de ses amis des modèles anciens à leur action présente.